Éditorial : Droit de la famille

En attendant de changer de siècle

Mine de rien, avec l’élection d’un gouvernement caquiste, la famille québécoise pourrait faire son entrée tardive dans le XXIe siècle.

Notre droit de la famille remonte aux années 80. À l’époque, la majorité des enfants naissaient de parents mariés à l’église. Aujourd’hui, ils naissent plus souvent hors mariage, et les modèles familiaux sont éclatés.

Or, notre Code civil ne s’est pas adapté. Il fait encore comme si le mariage était l’institution fondatrice du couple, celle qui détermine ses obligations parentales et financières.

Pourtant, ce n’est pas comme si le sujet passait sous le radar. En 2013, dans son jugement Éric c. Lola, la Cour suprême a envoyé un message clair à Québec : le régime québécois est discriminatoire. Selon une majorité de juges, il était injuste que les conjoints de fait soient privés des droits réservés aux mariés.

La Cour a toutefois eu la sagesse de ne pas réécrire la loi. Elle a renvoyé la balle à Québec, en demandant aux élus de faire leur travail.

Le gouvernement Marois a vite réagi, en commandant un rapport d’expert à MAlain Roy. La brique de plus de 600 pages a été déposée en décembre 2015. Et après ? Rien. Le gouvernement Couillard a pris ce rapport et l’a entreposé sur la plus poussiéreuse des tablettes.

On pourrait penser que les libéraux ont fait preuve d’un conservatisme prudent. Il est vrai que le sujet est délicat – on ne change pas à la légère les obligations entre conjoints et leurs responsabilités envers leurs enfants. Mais en réalité, il n’y a pas eu de statu quo. Même pas de stabilité. Car, que cela plaise ou non à Québec, les couples changent. Il y a de plus en plus de parents non mariés, de familles recomposées ou de mères porteuses. Et les juges doivent statuer sur ces cas concrets.

Des juges ont récemment dû répondre à plusieurs questions déchirantes. Par exemple, que faire face à un couple qui se rend en Inde dans un centre de procréation assistée ?

Faut-il valider le contrat ? Ou encore, peut-on reconnaître trois parents à un enfant adopté qui renoue avec son père biologique ?

Chaque fois, les juges ont déploré que la loi actuelle ne permette pas de tenir suffisamment compte des intérêts de l’enfant. Et ils ont imploré Québec de faire quelque chose.

Cela pourrait enfin changer. La nouvelle ministre de la Justice, Sonia LeBel, promet d’agir avant la fin de son mandat. Cela paraît raisonnable – étant donné la complexité du dossier, on ne s’attend pas à ce qu’elle dépose un projet de loi dans les prochaines semaines.

Mme Lebel devrait toutefois résister à deux tentations.

La première, c’est de déposer des projets de loi à la pièce, pour s’attaquer séparément aux mères porteuses, aux pensions alimentaires et au partage du patrimoine, ou encore à l’adoption.

La seconde, c’est de lancer une autre interminable ronde de consultation.

Pour l’instant, les signaux sont encourageants. Le gouvernement caquiste semble comprendre que le droit de la famille constitue un tout cohérent, qui se change en un seul bloc. Et il cherche la façon la plus efficace de prendre le pouls des Québécois.

La tentation pourrait être forte de lancer une vaste tournée pour consulter la population. Mme Lebel ne devrait pas oublier que la Chambre des notaires a déjà sondé les experts au sujet des conclusions du rapport de MRoy.

S’il y a une consultation à faire, ce devrait être pour finaliser ce travail bien avancé, et non le reprendre. Le temps est venu de mettre une proposition concrète sur la table.

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