Société

grossesse sans filtre

Lorsque Mélanie Boulay est tombée enceinte, elle pensait vivre neuf mois de félicité, sensiblement sans heurts. « Parce que c’est ce que l’on affiche partout. Des mères enceintes disant que c’est l’instant le plus magnifique de leur vie. » Sauf que la vie n’a pas de filtre Instagram.

Enceinte pour la première fois, Mélanie Boulay ne comprenait pas. Ne comprenait pas pourquoi elle semblait être la seule à trouver ça difficile. La seule à ne pas être à l’aise dans son corps. « J’étais fatiguée. J’avais mal à la tête. J’avais de la misère à fonctionner. Et je me sentais déjà indigne d’être mère parce que je sentais que je n’accotais pas les autres femmes. »

Sur le compte Instagram de la musicienne, seulement quelques photos font du reste allusion à sa grossesse. En octobre 2017, un portrait, beau et en toute simplicité, accompagné de la mention « Et c’est parti pour la bedaine ».

En décembre de la même année, une photo de ses jambes recouvertes de #basdecontention. Puis une autre, quelques jours plus tard, coiffée des mots « Mes veines se font bronzer » et du mot-clic « #sorsdelàdedansbébé ». À la mention de ce souvenir, elle éclate de rire.

Mais elle se souvient aussi de la douleur ressentie, de l’inconfort. Qui, « inconsciemment peut-être », l’ont poussée à ne publier aucune autre image de l’événement. Se présenter dans une scène lisse, joyeuse, lumineuse ? Pourquoi ? Pour faire semblant ? « Ça ne me tentait pas de faire comme si je trouvais ça simple. Ça ne me tentait pas de jouer la carte de la mère en symbiose avec sa bedaine. Ce n’était pas un moment particulièrement glorieux de ma vie. »

Ce qui n’enlève rien, absolument rien, à l’amour infini qu’elle porte à son fils. En septembre, neuf mois après la naissance de son garçon, Mélanie signait d’ailleurs un texte sur le site TPL Moms où elle racontait sa vulnérabilité, les remords ressentis, mais surtout, sa fierté de dire que oui, elle est une bonne mère. « Imaginez-vous donc qu’avoir détesté être enceinte, faire encore des cauchemars suite à un accouchement désastreux, vivre avec la culpabilité de ne pas avoir été capable d’allaiter, et aimer son enfant jusque dans le fond des os, ça peut coexister », écrit-elle dans le texte.

Aujourd’hui, malgré les défis, malgré l’accouchement « super long et super pénible », Mélanie se considère comme « chanceuse ».

« Il y a des femmes qui font des dépressions post-partum. Des femmes qui n’arrivent pas, pendant longtemps, à tisser un lien avec leur enfant. Imaginez ! Imaginez à quel point c’est difficile pour elles d’être bombardées d’images de mères en symbiose avec leur bébé dès la première seconde. »

— Mélanie Boulay

Parce qu’en cette ère ultraconnectée, il est parfois compliqué de résister. « Moi-même, j’avais cette pulsion de voyeur d’aller voir les bedaines des autres, avoue-t-elle. De comparer mon corps avec celui des autres. De suivre les comptes de mères enceintes et de #fitmom parce que… je ne sais pas. À partir du jour 1 de la grossesse, nous sommes bombardées d’informations qui nous font sentir amoindries. C’est malsain. »

Et cette pression, selon elle, vient de moult endroits. « Même entre mères, il y a une compétition de perfection. De celle qui n’a pas de failles, de celle qui est toute-puissante, de celle qui sait déjà comment tout faire avant même de l’avoir réellement appris. »

Ce qu’elle aimerait que nous apprenions, que nous comprenions mieux ? « Qu’Instagram n’est rien de plus qu’une revue de mode. » Que tout n’est pas toujours rose. Que chaque expérience est unique. Qu’il existe « une panoplie de mères différentes qui ne sont pas mauvaises pour autant ». Que l’envers de la médaille existe.

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