« Un parent qui souffre, il l’a, la recette »

Evelyne Martello est infirmière clinicienne spécialiste des troubles du sommeil chez les enfants. Quand elle a écrit Enfin je dors… et mes parents aussi, publié en 2007, son but, dit-elle, était d’aider les parents. Elle avait alors 15 années d’expérience au Centre de développement du CHU Sainte-Justine. Elle avait parlé à plus de 6000 parents.

Son livre, vendu à 25 000 exemplaires, a aidé nombre de parents, si on se fie aux commentaires sur l’internet. « Evelyne Martello est une “sainte” » ; « ça a merveilleusement bien fonctionné » ; « très bel outil ». Mais l’une des méthodes qu’elle propose – la technique de l’attente progressive, ou 5-10-15 – suscite aussi des commentaires très négatifs : « méthode barbare », « encouragement à la maltraitance »…

Les méthodes d’apprentissage du sommeil qui peuvent impliquer de laisser pleurer bébé – aussi appelées méthodes d’extinction – suscitent toutes sortes de réactions et d’émotions chez les parents, du soulagement à la culpabilité en passant par le jugement et la peur. Certains y voient LA solution, d’autres s’y opposent haut et fort.

« Je me suis parfois fait critiquer ouvertement », convient la souriante Evelyne Martello, dont la deuxième édition d’Enfin je dors a été publiée à l’été aux Éditions du CHU Sainte-Justine. 

« Il faut comprendre qu’on me consulte dans un contexte de parents souffrants, qui veulent trouver des solutions rapidement. Je ne vais pas dire à un parent qui ne souffre pas de faire du 5-10-15 avec son enfant. »

— Evelyne Martello

Nous avons rencontré Evelyne Martello dans son bureau de l’hôpital Rivière-des-Prairies, où elle travaille depuis huit ans auprès d’enfants présentant divers problèmes, dont le trouble envahissant du développement (TED) et le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) (la deuxième édition de son livre contient d’ailleurs une section sur les difficultés de sommeil liées à ces troubles).

Parmi les nouveautés de la deuxième édition, qui compte 65 pages de plus que la première, Evelyne Martello propose une technique tout en douceur, celle de la « chaise combinée ». Le parent s’installe sur une chaise à côté du berceau de bébé, le balance, le caresse et lui place ses doigts près de la bouche pour qu’il les tète. Nuit après nuit, le parent diminue ses mouvements, jusqu’à ce que bébé s’endorme seul, sans aide extérieure.

Pourquoi avoir placé cette solution en premier dans la deuxième édition ?

« Parce qu’on peut l’utiliser chez les plus jeunes, avant 4 mois », explique Evelyne Martello, qui rappelle que la méthode du 5-10-15 convient à des enfants à partir de 4 à 6 mois, et jusqu’à 18 mois environ. « Mais ça ne veut pas dire qu’on peut juste utiliser la technique de la chaise combinée à ce moment-là : chez les parents qui ont de la difficulté à laisser pleurer, poursuit-elle, c’est une technique qui est quand même facile à appliquer et ça fonctionne vraiment bien. »

La méthode 5-10-15, de son côté, est rapide, rappelle-t-elle. « En trois jours, trois nuits, un bébé peut faire ses nuits. Un parent qui souffre, il l’a, la recette, il l’a, la méthode », dit-elle, en rappelant qu’un enfant qui ne dort pas peut réellement miner la vie de toute la famille.

QUE DIT LA SCIENCE ?

Bien que plusieurs professionnels souscrivent aux méthodes d’apprentissage du sommeil comme le 5-10-15, certains auteurs s’y opposent, aux premières loges le pédiatre américain William Sears, fervent défenseur du cododo, selon qui ne pas répondre aux pleurs d’un enfant peut miner son estime de soi. La psychologue britannique Margot Sunderland soutient que de laisser son enfant pleurer augmente le taux d’hormones de stress chez lui, ce qui peut nuire, selon elle, à son développement.

À l’autre bout du spectre, le pédiatre américain Marc Weissbluth insiste sur l’importance du sommeil pour le développement d’un enfant (certains enfants qui reçoivent un diagnostic de TDAH ont, selon lui, simplement besoin de davantage de sommeil) et suggère de coucher bébé dans son lit et de le laisser pleurer jusqu’à ce qu’il s’endorme, sans retourner le voir.

Pour un parent, aux prises avec une multitude de conseils contradictoires sur l’internet, il peut être difficile de s’y retrouver.

Que dit la littérature scientifique à propos des conséquences des méthodes d’extinction ? Nous avons posé la question à Reut Gruber, professeure associée au département de psychiatrie de l’Université McGill et directrice du Laboratoire de l’attention, du comportement et du sommeil de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. 

Sa réponse : « Il n’y a pas de conséquences négatives à long terme. » La méthode d’extinction, dit-elle, est efficace et ne prend que quelques jours lorsqu’elle est bien appliquée. « Ce qui est prouvé, poursuit Reut Gruber, c’est que le manque de sommeil touche le fonctionnement cognitif et émotionnel du bébé et des parents et contribue au comportement parental sévère, au risque d’accident, aux mauvaises performances au travail pour les parents, au fait que son enfant soit grincheux… »

Reut Gruber souligne l’importance, pour les parents en quête de soutien, de consulter un professionnel ayant une expertise médicale ou psychologique.

La Société canadienne de pédiatrie, chargée d’éduquer le public à l’égard des besoins et des soins de santé des enfants, nous a dit ne pas avoir de position spécifique sur la méthode d’extinction. Aucun porte-parole ne pouvait donc commenter.

Evelyne Martello sera au Salon du livre de Montréal le 21 novembre pour une séance de dédicace.

Une étude rassurante

Dans la deuxième édition de son livre, Evelyne Martello cite une étude australienne publiée en 2012 dans la revue Pediatrics. Les auteurs, qui ont suivi 225 enfants pendant 5 ans, concluent que les techniques (la méthode 5-10-15 et celle du campement dans la chambre de bébé) n’entraînent pas de conséquences à long terme chez l’enfant, tant sur le plan de son développement émotionnel que de la régulation de son stress, de sa santé mentale et du lien d’attachement avec ses parents.

Qu’est-ce que le 5-10-15 ?

La technique de l’attente progressive (aussi appelée 5-10-15 ou extinction graduelle) a été conçue par le pédiatre américain Richard Ferber. On instaure d’abord un rituel de dodo stable et affectueux. Le parent dépose son enfant dans sa couchette lorsqu’il est encore éveillé, le réconforte et quitte la pièce. Si bébé le réclame et pleure, il revient le réconforter à des intervalles progressifs (comme 5, 10 et 15 minutes), sans toutefois le prendre dans ses bras ou le nourrir.

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