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Remue-ménage a 40 ans

Depuis 1976, les Éditions du remue-ménage donnent la parole aux femmes en publiant des livres féministes. Pour souligner ce 40e anniversaire, la maison d’édition présente l’exposition 40 ans deboutte : l’édition féministe selon Remue-ménage, (un clin d’œil au journal Québécoises debouttes publié dans les années 70).

Les visiteurs pourront entre autres redécouvrir des maquettes de livres, des documents audio, des photos d’archives, etc. Remue-ménage a toujours voulu être le lien entre les intellectuelles, le mouvement des femmes et la réalité des femmes sur le terrain, et c’est ce qu’illustrent les différents tableaux de l’exposition. On veut aussi faire découvrir le métier d’éditrice.

Plusieurs activités sont au programme, dont une table ronde sur la pensée féministe noire où on discutera de sexisme et de racisme en présence de Marie-Eveline Belinga, d’Agnès Berthelot-Raffard et de Diane Lamoureux. Le 23 septembre, la journée sera consacrée à l’édition et à l’enseignement du féminisme. Bref, une programmation riche et une expo qui vaut le détour.

— Nathalie Collard, La Presse

Jusqu’au 2 octobre à l’Écomusée du fier monde, 2050, rue Amherst

EXTRAIT

Babylone

« Avant l’arrivée de Jeanne et de son mari, nous sommes restés un moment tous les six. Une durée particulièrement vide, d’intense flottement, les deux couples s’étant chacun resserrés aux deux extrémités du canapé, tandis que Pierre et moi, à moitié debout, étions affairés à manier des boissons ou des soucoupes de crudités. Jean-Lino se tenait en bordure du coussin, mèche bien collée au crâne, mains croisées entre ses jambes écartées, dans une position d’attente confiante. Il portait une chemise parme que j’ai trouvée très élégante, à emmanchure américaine, et des lunettes que je ne connaissais pas. Un modèle semi-rond couleur sable. Lydie relayait les branches de céleri. Aucun mot ne prenait son essor. Aucun échange ne tenait la route. Le silence guettait chaque fin de phrase. À un moment donné, Nasser a prononcé le mot boulevard Brune et Lydie s’est exclamée, ah boulevard Brune, c’est là qu’on fait notre prochain jam ! Jam ? a dit Nasser, ça veut dire quoi ? Des sessions de jazz, en public, a répondu Lydie tout sourire.

— Ah, très bien…

— Un bœuf si vous préférez ! Des copains ou des inconnus viennent faire le bœuf.

— Ah le bœuf ! Oui, oui, très bien. Vous jouez d’un instrument ?

— Je chante.

— Vous chantez. Bravo.

Jean-Lino hochait la tête avec fierté. J’ai ajouté, elle chante très bien, et ils ont tous acquiescé par des mouvements aimables. On aurait pu espérer un petit prolongement, une curiosité minimale, non la conversation est retombée dans le trou béant d’où elle avait surgi. »

Critique

L’insignifiance de nos vies

Babylone

Yasmina Reza

Flammarion

219 pages

3 étoiles et demie

On aime Yasmina Reza pour le regard impitoyable qu’elle pose sur ses semblables. Que ce soit dans ses pièces de théâtre (Art, Carnage) ou dans ses livres (L’aube le jour ou la nuit, Heureux les heureux), l’écrivaine fait preuve d’un sens de l’observation quasi radiographique.

Dans le magazine Le Point, l’écrivain Jean-Paul Enthoven, visiblement un admirateur, parle de « rézisme » pour décrire l’approche employée par l’écrivaine, qui a un talent fou pour décrire les petits travers, les tics et les manies des gens qui l’entourent.

Dans Babylone, que la presse française présente comme son premier « vrai » roman, Yasmina Reza délaisse les « bobos » et les candidats à la présidence et s’intéresse cette fois à des gens sans histoire.

Dans la petite ville de Deuil L’Alouette (on imagine une banlieue grise de Paris), Élisabeth, la narratrice, organise une soirée à laquelle sont conviés des collègues de travail, des amis ainsi que le couple voisin invité par politesse parce qu’elle souhaite leur emprunter quelques chaises.

La soirée se déroule plutôt bien, mais la nuit qui suit sera le théâtre d’un drame dans lequel Élisabeth sera entraînée.

ÉCRIVAINE DE TERRAIN

L’histoire est cousue de fil blanc, mais ce n’est pas l’intrigue qui est réjouissante que l’écriture de Yasmina Reza. 

Une écriture vive et nerveuse qui se lit d’un souffle, comme les idées qui se bousculent dans le désordre quand notre esprit vagabonde.

Aucun détail n’échappe à l’écrivaine : la narratrice âgée de 60 ans qui utilise des crèmes anti-âge recommandées par Gwyneth Paltrow, la mauvaise teinture d’une voisine, les vêtements trop serrés d’une amie, la façon dont le frère du conjoint drague les femmes, dont le conjoint dort en ronflant… En filigrane, des thèmes plus sérieux comme l’héritage familial, le temps qui passe, les enfants qui quittent le nid, l’insignifiance de nos vies.

On dit qu’au cours des derniers mois, Yasmina Reza a hanté les cours de justice françaises et assisté à plusieurs grands procès. L’écrivaine s’est entretenue avec des avocats, a observé et pris quelques notes. On retrouve des traces de ses observations dans ce roman qui raconte un fait divers aux accents de vaudeville. On sort la femme du théâtre, mais pas le théâtre de la femme.

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