Au-delà des maux

La zooanimation pour apprivoiser la maladie mentale

Au-delà des lits trop durs, du « manger » trop mou et de l’engorgement aux urgences, les hôpitaux et les centres de santé du Québec regorgent d’histoires heureuses, petites ou grandes. Deux fois par mois, La Presse passe une bonne nouvelle, une bonne action ou un dénouement heureux au scalpel. Cette semaine, des animaux qui font du bien.

À l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, anciennement l’hôpital Louis-H.-Lafontaine, Valérie Pepin Gagné passe beaucoup de temps avec son compagnon préféré, Loulou. Malgré la différence d’âge – c’est encore un bébé –, l’un et l’autre se sont pris d’une réelle affection. Le coquet cochon d’Inde, dont la coiffure hipster laisse seulement un œil dégagé, est le cadet des locataires de l’animalerie sise dans l’aile 107 du pavillon Guillaume-Lahaise.

« J’aime quasiment mieux être ici que chez mes parents [la fin de semaine] parce que je dois passer l’aspirateur », rigole la jeune femme en cajolant le rongeur noir ébène. Deux ou trois après-midi par semaine, la résidante de 29 ans le caresse, le brosse, lui tend un pied de salade ou de céleri…

Dans la foulée des coupes dans le milieu de la santé, les services de loisir offerts aux résidants par l’institut, jugés accessoires, ont été réduits à néant. Ou plutôt, auraient été réduits à néant si ce n’était de l’implication d’une petite équipe de bénévoles obstinés. Joyeuse équipe qui tient à bout de bras une friperie, où les fringues s’échangent contre quelques pièces, un minimum d’activités sportives et culturelles, un service de prêt de livres – la bibliothèque a été sacrifiée par l’administration sur l’autel de la rigueur budgétaire –, puis, enfin et surtout, une modeste animalerie qui fait office de lieu d’échanges, de rencontres et de créativité.

« Trois lapins, trois cochons d’Inde, deux inséparables, un cockatiel… » Assise en face de Valérie, Lise Richard, 69 ans, énumère les occupants qui animent le petit local. Bénévole depuis huit ans, elle offre deux après-midi par semaine pour nourrir les bêtes, laver les cages tout confort et accueillir les visiteurs. L’atmosphère allègre du local tranche avec celle des couloirs grisâtres : on y placote, y blague et y chante.

« De plus en plus de patients sont dirigés vers des ressources externes. Mais lorsqu’ils ont un rendez-vous médical à l’hôpital, ils arrivent plus tôt pour venir nous voir, nous raconter où ils en sont rendus et dire bonjour à nos petits animaux. »

— Lise Richard, bénévole depuis huit ans

Usagers, enfants d’employés et visiteurs d’occasion convergent vers le petit local pour cultiver leur amour des bêtes, apprivoiser leurs peurs ou simplement briser la routine, souvent synonyme de solitude. « Certains de nos visiteurs arrivent une première fois avec des intervenants, et quand on les salue, ils sont complètement fermés, raconte Mme Richard, qui offre aussi de remplir les déclarations d’impôt des résidants. Déjà à la deuxième visite, ils se sentent en plus grande sécurité. On leur fait des sourires, on retient leur nom. Ici, ils savent qu’ils ne sont pas des numéros. »

Vertus thérapeutiques

De nombreuses études indiquent que la présence d’animaux comporte des vertus thérapeutiques pour les patients souffrant de problèmes de santé mentale. Si les services offerts par l’animalerie depuis 1995 portent le sceau « zooanimation » plutôt que « zoothérapie », une pratique réservée, ils n’en demeurent pas moins bénéfiques aux yeux des bénévoles : effet d’apaisement, bris de l’isolement, responsabilisation, travail sur la mémoire, etc.

La dynamique équipe, composée majoritairement de retraités et d’étudiants en sciences humaines du Collège de Maisonneuve, se décrit comme une « famille rassurante ». Et la chef de famille, c’est Ninon Châtelain, seule salariée de l’animalerie, qui veille à la formation technique des bénévoles et au bien-être des bêtes. Tous les animaux qui entrent à l’institut sont inspectés et suivis par la technicienne en santé animale, de concert avec le Centre hospitalier universitaire vétérinaire de Saint-Hyacinthe.

« Il y a des bénévoles sept jours par semaine, 365 jours par année… Noël, jour de l’An, Pâques, peu importe, il y a quelqu’un qui passe pour s’occuper de la nourriture et de l’eau. Les animaux en général vivent plus vieux que la normale parce qu’ils ont des bons soins, de grandes cages. L’un de nos lapins a vécu 13 ans. »

— Lise Richard, bénévole de l’animalerie

Une fois par semaine depuis six ans, la travailleuse sociale Francine Boutin, 51 ans, franchit la porte du local 1005. « Ce qui est le fun, c’est qu’on a vraiment une clientèle variée : autant des jeunes que des personnes âgées, des gens qui ont des troubles psychotiques que d’autres qui souffrent de dépression ou de schizophrénie. C’est un vaste portrait », explique la bénévole au sourire affable, alors que des perruches vont et viennent sur son épaule.

En plus d’accueillir les usagers de l’institut, jusqu’à une trentaine par jour, l’animalerie offre d’héberger, dans une pièce distincte, les animaux de la clientèle hospitalisée en échange d’un maigre dollar par jour. « Une femme menaçait de se suicider si on n’allait pas chercher son chat, raconte Mme Richard. C’est dire l’importance qu’un animal peut avoir pour les patients. »

Les activités de l’animalerie sont financées majoritairement par la fondation de l’hôpital, et dans une moindre mesure par l’institut lui-même. Or, avec les récentes réformes dans le milieu de la santé, l’incertitude plane année après année sur l’avenir de l’animalerie. Chaque nouveau budget amène son lot d’angoisse pour les bénévoles et les fidèles visiteurs.

« Ce n’est pas évident de mettre des sous pour les animaux, consent Lise Richard. Certains se demandent si c’est vraiment utile. Mais nous, on la voit chaque jour, l’utilité. »

Valérie, qui brosse Loulou une dernière fois avant la fermeture de l’animalerie, fait signe que oui.

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