Québec-Toronto

Rater le train

Arriver à l’heure prévue.

Ne plus arrêter les trains de VIA Rail pour faire passer en priorité les trains de marchandises.

Ç’aurait été un beau projet ferroviaire. Au début des années 1990.

Mais nous sommes en 2021. En pleine urgence climatique, le plus grand défi de notre époque.

Le gouvernement Trudeau, qui dirige le seul pays du G7 à ne pas avoir de train à grande vitesse (TGV), a pourtant préféré un projet de train à grande fréquence.

En choisissant l’option (nettement) moins ambitieuse, Ottawa commet une erreur historique. Dont on parlera encore dans plusieurs décennies.

Justin Trudeau avait l’occasion unique de faire une révolution en matière de transports au Canada. De développer – enfin – un système de transports en commun interurbain adapté aux enjeux des changements climatiques. De cesser de faire du train le parent pauvre des transports au pays. C’est un rendez-vous raté.

Le coût du train à grande fréquence (TGF) : de six à douze milliards de dollars d’ici 2030. Pour faire en sorte que les trains arrivent enfin à l’heure !

D’accord, le réseau sera plus fiable et les trains passeront plus souvent. Mais comme le gain de temps est minime, on peut penser que la grande majorité des gens continueront de prendre leur voiture (ou l’avion) vers Toronto.

Les autres arguments d’Ottawa ne sont pas très convaincants.

Argument nº 1 : le TGV coûte trop cher

Dans la vie, on obtient généralement ce pour quoi on paie.

Les gouvernements dépensent/investissent (c’est selon) des milliards et des milliards par année pour construire et entretenir les infrastructures routières. Contre à peu près rien pour les trains de passagers. Qu’on ne s’étonne pas ensuite que les Québécois et les Canadiens ne prennent pas plus souvent le train…

Selon la dernière étude publique datant de 2011, un TGV Québec-Toronto aurait coûté 25 milliards en dollars de 2021 (en incluant l’inflation), dont 18 milliards pour la portion Montréal-Toronto. Transports Canada arrive cette fois-ci avec une estimation des coûts beaucoup plus élevée : jusqu’à 65 milliards pour un TGV Québec-Toronto, dont jusqu’à 40 milliards pour le tronçon Montréal-Toronto. Comment expliquer un tel écart ? Ottawa n’a pas dévoilé publiquement son évaluation de 2021, invoquant de « l’information commerciale confidentielle ». Pour la transparence, on repassera.

Pour faire une véritable révolution (surtout au Québec), l’idéal aurait été de faire un TGV Québec-Toronto. Ottawa aurait aussi pu couper la poire en deux : un TGV Montréal-Toronto, et un TGF Montréal-Québec.

Ottawa explique qu’il devait choisir entre le TGF et un TGV. Faux : c’est un choix budgétaire et politique d’opposer les deux projets.

Argument nº 2 : on veut relier Trois-Rivières

On aime beaucoup les gens de la Mauricie et il faut des options de transports en commun interurbain en région, mais on ne peut pas laisser tomber un projet historique comme un TGV Québec-Toronto sous prétexte qu’il ne peut pas s’arrêter à Trois-Rivières. En plus, le TGF remplace l’arrêt actuel à Drummondville par celui de Trois-Rivières ; on parle d’un gain microscopique de 60 000 clients potentiels.

Argument nº 3 : on n’est pas en Europe

Le Canada n’aura jamais le réseau ferroviaire de l’Europe, un continent plus densément peuplé. Mais on n’est pas obligé pour autant de rester à jamais le cancre du G7.

Plus tôt cette année, la France a annoncé le financement d’une future ligne de TGV entre Bordeaux (région métropolitaine : 1,3 million de personnes) et Toulouse (1,4 million), deux régions métropolitaines qui ressemblent drôlement à Québec (0,8 million) et Ottawa (1,5 million). Ne parlons même pas de Montréal (4,2 millions) et de Toronto (6,4 millions) : en France, la ligne de TGV Lyon (2,3 millions) – Marseille (1,8 million) est en service depuis longtemps.

La France étudie aussi actuellement un projet de loi qui interdirait les liaisons aériennes entre deux villes françaises où on peut voyager en train en moins de 2 heures 30. Alors qu’au Canada, le lobby des compagnies aériennes devrait applaudir discrètement le TGF dans 3, 2, 1…

En matière de changements climatiques, on reproche souvent au gouvernement Trudeau de parler beaucoup, mais d’agir peu.

Il avait une occasion unique de révolutionner les déplacements dans l’axe le plus populeux du pays.

Il a préféré la solution la plus facile. Pas la meilleure à long terme.

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