Cellulaire au volant

Durcir la répression pour « contrer ce fléau »

Saisie du téléphone, brouillage des ondes, amende élevée : un coroner recommande de durcir la répression contre le cellulaire au volant afin de « contrer ce fléau ». À l’instar de la conduite en état d’ébriété, une infraction distincte devrait même être ajoutée au Code criminel, préconise-t-il dans un récent rapport sur la mort d’un jeune camionneur distrait par son téléphone.

Ces recommandations mettent du baume au cœur de la veuve du camionneur, Marie-Chantale Daigle, qui vient d’accoucher de leur premier enfant. « Je suis entièrement d’accord. Je l’ai déjà dit et je le pense encore : la sensibilisation, ça ne sert à rien. Il faut des lois plus sévères », estime Mme Daigle (voir autre texte).

Jimmy Brunet-Rotondo conduisait un train routier sur l’autoroute 13, le matin du 3 mars 2016, et il devait faire une livraison à Laval. Près de l’autoroute 440, un bouchon de circulation a forcé un poids lourd qui roulait devant lui à ralentir. Or, Jimmy Brunet-Rotondo, vraisemblablement distrait par son téléphone, n’a pas ralenti sa course. Une seconde d’inattention à un moment fatidique.

Constatant que la collision était « inévitable », le chauffeur du premier poids lourd a mis les freins pour éviter de percuter le véhicule devant lui, dans lequel se trouvaient une femme et deux enfants. Même s’il a freiné in extremis, le camion de Jimmy Brunet-Rotondo a percuté violemment l’arrière de l’autre poids lourd. Le camionneur de 28 ans est mort sur le coup.

Le téléphone intelligent du jeune homme a été retrouvé par terre, du côté passager, à l’intérieur de l’habitacle complètement écrasé. « Son cellulaire était le prolongement de lui-même », note le coroner Michel Ferland dans son rapport d’investigation du 10 juin obtenu par La Presse. Dans les deux dernières années, il avait reçu cinq constats d’infraction, dont un pour l’usage d’un cellulaire au volant. L’enquête a démontré que cinq minutes avant la collision, Jimmy Brunet-Rotondo avait consulté les réseaux sociaux. « Donc son attention n’aurait pas été dirigée en priorité sur la conduite de son véhicule », écrit le coroner, maintenant retraité. 

Il n’a pas été démontré hors de tout doute que le camionneur utilisait ou regardait son téléphone au moment du drame. Néanmoins, « la seule chose qui explique cette distraction ne peut être que son cellulaire », conclut le coroner. 

« L’absence de ralentissement du véhicule et le freinage de dernière minute suggèrent fortement qu’il n’avait pas les yeux sur la route, mais qu’il était occupé à autre chose. »

— Extrait du rapport du coroner Michel Ferland

Dans son rapport de quatre pages, le coroner dénonce vigoureusement le fait que de nombreux conducteurs utilisent leur téléphone en conduisant même s’ils sont bien conscients des risques qu’ils courent. « Si les gens sont dépendants de leur cellulaire au point de risquer leur vie et leur intégrité ainsi que celles des autres usagers de la route ou des piétons, c’est parce que leur cellulaire est une extension de leur quotidien », constate-t-il.

Il déplore le fait qu’année après année, plus de 60 000 constats d’infraction liés à l’usage du cellulaire au volant sont donnés au Québec, malgré les campagnes de sensibilisation et les amendes sévères. « La répression semble être l’outil qui va devoir être utilisé pour contrer ce fléau qu’est l’usage du cellulaire au volant […]. Parfois, l’outil répression est le seul disponible et le prix à payer pour une meilleure protection de la vie humaine », écrit-il.

« UNE EXTENSION DE LUI-MÊME »

Le coroner Ferland dresse un parallèle « intéressant » entre l’usage du cellulaire au volant et la conduite avec les facultés affaiblies et la toxicomanie. « [Il y a] celui qui peut conduire occasionnellement en état d’ébriété et le récidiviste notoire qui, lui, conduit régulièrement […]. Il y a celui qui se sert à l’occasion [du téléphone] et l’autre pour qui le cellulaire est une extension (pour ne pas dire prolongement) de lui-même », compare-t-il.

Il rappelle que le Code criminel avait été modifié dans les années 80 pour durcir les peines et faciliter la présentation de la preuve dans les dossiers de conduite avec les facultés affaiblies. À l’époque, le législateur fédéral avait jugé que l’alcool au volant représentait un danger injustifié pour les Canadiens. 

« Si on applique le même raisonnement à la conduite avec utilisation du cellulaire au volant, une telle infraction devrait être dictée au Code criminel et les policiers bénéficieraient alors des lois existantes pour faciliter la preuve de cette infraction. »

— Extrait du rapport du coroner Michel Ferland

M. Ferland prône la saisie du téléphone cellulaire pour 30 jours, comme c’est le cas pour un véhicule lors d’une arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies. « Le refus d’obtempérer pourrait constituer une entrave au travail des policiers qui est une infraction au Code criminel », propose-t-il. Il recommande également d’installer un système de brouillage des ondes dans les véhicules neufs et une hausse marquée du montant de l’amende.

Les services de police devraient aussi augmenter les opérations ciblées contre ce fléau, en particulier à Laval. La troisième ville de la province est en tête de liste pour les contraventions concernant l’utilisation du cellulaire au volant, avec plus de 2000 infractions par tranche de 100 000 conducteurs, déplore le coroner. « Il serait grand temps que la région quitte ce triste palmarès. »

Le coroner Ferland n’est pas le premier à recommander des règles plus sévères pour lutter contre l’utilisation du téléphone au volant. En mars 2013, le coroner Yvon Garneau avait recommandé de retirer neuf points d’inaptitude pour une telle infraction, une proposition reprise par le coroner Ferland. Il y a un mois, la coroner Renée Roussel a suggéré de carrément interdire le système de téléphone mains libres, actuellement toléré par la loi.

— Avec la collaboration de Jean-François Bégin et d’Audrey Ruel-Manseau, La Presse

L’UNE DES INFRACTIONS LES PLUS FRÉQUENTES

Le Code de la sécurité routière du Québec interdit depuis le 1er avril 2008 l’utilisation d’un téléphone cellulaire en conduisant. Il est illégal de tenir un téléphone en main, peu importe s’il est utilisé pour faire un appel, envoyer un message texte ou aller sur les réseaux sociaux. Seul un appareil de communication vocale sans fil à mains libres, de modèle « Bluetooth » par exemple, est permis par la loi. L’amende prévue varie de 80 $ à 100 $. Depuis avril 2015, les fautifs sont sanctionnés de quatre points d’inaptitude, contre trois points auparavant. Après les excès de vitesse et le non-respect d’un arrêt, le cellulaire au volant était l’infraction la plus fréquente en 2014, davantage que le non-port de la ceinture de sécurité. Selon la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), l’utilisation d’un cellulaire au volant « augmente considérablement le risque d’accident ». Par ailleurs, la SAAQ ne conseille pas aux automobilistes d’employer un dispositif d’appel mains libres, puisqu’il s’agit d’une source de distraction.

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