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Édition du 25 septembre 2018,
section PAUSE SANTÉ, écran 2
Juriste belge, Marie-Hélène Lahaye a eu un enfant en 2012. Elle vient de faire paraître Accouchement – Les femmes méritent mieux, où elle remet en cause la surmédicalisation de l’accouchement. La Presse l’a jointe à Bruxelles, avant son départ pour une série de conférences au Québec, à partir de demain jusqu’au 4 octobre.
Oui. Comme toutes les femmes, j’avais aussi cette idée qu’on ne meurt plus en couches grâce à la médicalisation de l’accouchement. Mais une grosse partie de la mortalité maternelle venait d’infections, de la fièvre puerpérale. C’était les conditions d’hygiène ! Les médecins passaient d’une autopsie de cadavre à une femme qui accouchait, sans se laver les mains… L’asepsie à la suite des travaux de Louis Pasteur, puis la généralisation des antibiotiques juste après la Seconde Guerre mondiale ont fait que la mortalité maternelle s’est effondrée. L’amélioration des conditions de vie des femmes a aussi fait chuter cette mortalité. Au XIXe siècle, bien des femmes étaient des ouvrières qui travaillaient 15 heures par jour, depuis l’adolescence, dans des usines sans lumière, en ne mangeant pratiquement que des pommes de terre, enfin ! On s’imagine que ce qui sauve les vies, c’est toute cette médicalisation de l’accouchement, mais elle est venue plus tard dans l’histoire.
C’est typiquement ça. Le déclenchement aboutit à doubler le risque de césarienne et à le multiplier par cinq quand le col n’est pas mûr. Déclencher, c’est un geste qui mériterait de la réflexion. En Belgique, c’est assez dramatique, parce qu’il y a presque 30 % de déclenchements.
En France, c’est clair. En Belgique, dans une certaine mesure. En France, les femmes reçoivent de l’ocytocine dans une majorité d’accouchements, généralement sans en être informées. Quand on leur dit quelque chose, c’est : « Madame, je vais vous aider », sans expliquer ce qu’il y a dans la perfusion. Celles qui ne sont pas sous péridurale sentent des contractions insupportables et demandent la péridurale. Ça induit toute une série de complications, comme l’augmentation du risque de souffrance fœtale, donc la mise en danger du bébé, qui est sauvé par d’autres gestes médicaux. On le fait pour accélérer les choses, parce qu’on considère que les accouchements doivent aller vite – alors que ce n’est pas nécessairement ce que la femme sent. Ça facilite beaucoup la gestion des services hospitaliers d’éviter que des femmes soient là des heures et des heures à accoucher et à mobiliser une chambre et une équipe.
C’est à la suite d’un petit scandale en France, en 2015. On a découvert des carnets de stage d’étudiants en médecine. Parmi ce qui était attendu d’eux, il était mis en toutes lettres : « S’entraîner aux touchers vaginaux sur patientes endormies au bloc opératoire. » On ne conteste pas le fait que les étudiants s’entraînent, mais on tient au consentement de la femme sur qui les étudiants s’entraînent. À la suite de ça, plein d’étudiants en médecine se sont offusqués, sur le mode : « On peut faire des touchers vaginaux, ça n’a rien de sexuel. » Je me suis beaucoup amusée entre guillemets avec ça, en mettant en évidence leurs contradictions. Je leur ai dit : « S’il n’y a rien de sexuel, entraînez-vous entre vous, comme les coiffeurs et tout un tas de professions. » Là, d’un seul coup, il y a vraiment eu une rétraction. On voit bien que c’est quelque chose de très ambigu.
Pour moi, c’est une avancée considérable. C’est la première fois qu’au niveau politique, un rapport sort sur le sujet. Jusqu’à présent, beaucoup de gens étaient dans le déni, y compris des professionnels. Maintenant, comment va-t-on mettre en œuvre ce rapport ? C’est la question qui reste.
Oui. On part d’une logique industrielle, où les femmes accouchent à la chaîne, selon un système fordiste. On croit que le corps des femmes est défaillant, qu’il faut tout médicaliser et faire peur. On veut arriver à un système beaucoup plus personnalisé, où on part du principe que chaque femme a les capacités d’accoucher et où la médecine est là s’il y a un problème, et non l’inverse. Mon but, ce n’est pas de dire : « Maintenant, toutes les femmes accouchent naturellement et tant pis pour la médecine. » Le but, c’est de donner la liberté aux femmes. Qu’après, elles puissent choisir elles-mêmes leurs conditions d’accouchement, y compris celles qui veulent une épidurale ou une césarienne. Arrêtons de standardiser les femmes et de « normer » les accouchements. Rendons-leur leur liberté.
Note : Les propos de Mme Lahaye ont été édités.
Accouchement Les femmes méritent mieux
Marie-Hélène Lahaye
Éditions Michalon
En 1950, à peine 47,8 % des accouchements ont lieu à l’hôpital au Québec (contre 76 % au Canada). Cela change vite, puisqu’en 1962, 95 % des bébés québécois naissent à l’hôpital. Il faut dire que les soins hospitaliers sont devenus gratuits en 1961.
Source : Rivard, A., « Le risque zéro lors de l’accouchement : genèse et conséquences dans la société québécoise d’un fantasme contemporain », Globe, Revue internationale d’études québécoises, 2013
Non. Pour la période 1941-1945, le taux annuel moyen de mortalité maternelle au Québec est de 3,2 par 1000 naissances vivantes (2,9 pour le Canada). Après 1956, la mortalité maternelle descend sous la barre de 1 ‰ au Québec et au Canada.
Source : Baillargeon, Denyse, Un Québec en mal d’enfants : la médicalisation de la maternité, 1910-1970, Remue-Ménage, 2004
Oui, le déclenchement du travail par des moyens médicaux (rupture artificielle de la poche des eaux et perfusion d’ocytocine) est fréquent. Le taux de déclenchement était de 24,9 % dans les centres hospitaliers du Québec en 2010-2011.
Source : Portail d’information prénatale, Institut national de santé publique
Oui. Le taux de recours à l’anesthésie péridurale était de plus de 72 % pour les accouchements vaginaux au Québec en 2016-2017. C’est le taux le plus élevé au Canada.
Source : Institut canadien d’information sur la santé
Oui. En 2015, 24,9 % des accouchements ont eu lieu par césarienne au Québec. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un taux de césariennes supérieur à 10 % n’est pas associé à une réduction de la mortalité de la mère ou du bébé.
Source : Observatoire des tout-petits, Comment se portent les tout-petits québécois ? Portrait 2017. Fondation Lucie et André Chagnon, 2017