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Mission réussie à La Réunion

Il y a quatre ans, le Québécois d’adoption Florent Bouguin faisait le projet de parcourir la Diagonale des Fous dans son île natale. Après deux nuits blanches et 35 h de souffrance, son ami Jeff Gosselin et lui peuvent dire « mission accomplie ». Récit d’une aventure difficile, mais belle.

La course est partie vers 22 h jeudi, mais ce n’est pas si important. L’important, c’est que la nuit était là, devant eux, et que cette maudite course est partie bien trop vite.

Le favori avait un nom connu de tous : Antoine Guillon. Le Français de 42 ans en était à sa neuvième participation. Il avait terminé trois fois deuxième, une fois troisième, trois fois quatrième. « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver », comme l’écrivait Gaston Miron.

Alors quand Guillon est parti à toute vitesse, les autres ont suivi. Florent Bouguin et Jeff Gosselin aussi, un peu, au début. Les deux amis couraient sans montre GPS, alors ils ne savaient pas trop à quelle vitesse ils allaient. Mais c’était sous les quatres minutes au kilomètre. Vite. Extrêmement vite, même, pour entamer une course de 164 km avec près de 10 000 m de dénivelé positif.

Ils n’avaient pas de GPS, mais un cardiomètre, et ce qu’il disait était limpide : s’ils continuaient à suivre le peloton de tête, ils seraient dans le rouge plus tard.

« À un moment, tu réalises que tu ne pourras pas faire ça pendant un autre 24 h. Rapidement, ç’a été une constatation : on ne pourrait pas tenir ce rythme-là bien longtemps. »

— Jeff Gosselin

Puis la première nuit est arrivée. Les ultramarathoniens sont rompus à la course de nuit. Mais il est impossible de savoir exactement comment le corps réagira. Et ce premier soir, Jeff n’avait envie que d’une chose : un lit douillet.

« Florent a été vraiment fort toute la première nuit, tout le premier matin, raconte-t-il. C’est lui qui a tenu l’équipe. »

Les deux amis sont donc tranquillement tombés dans le classement. Du 17e rang, ils sont passés au 22e, au 44e, au 88e puis au 113e rang. Mais cette chute a eu du bon. Elle leur a permis de se rappeler pourquoi ils étaient là. Pas pour courir après un temps, mais pour finir cette course et se forger quelques souvenirs au passage.

« Ça a fait tomber toute la pression qu’il y a autour des temps et du classement, toutes ces choses qu’on peut avoir dans une course qui ne sont pas forcément très, très saines, explique Florent Bouguin. Là, ça venait de ne plus exister. On a donc profité pleinement des sentiers, de la beauté de La Réunion, des amis et de la famille qui nous soutenaient. »

VOIR LA REDOUTE ET MOURIR

Florent Bouguin a quitté La Réunion à 18 ans. Il habite Québec maintenant, où il a rencontré Jeff dans la petite communauté des coureurs de sentier. Il s’est mis à la course il y a quatre ans, justement afin de parcourir la Diagonale des Fous pour ses 40 ans.

Les deux sont devenus meilleurs amis après une course mémorable en 2014 à l’Ultra-Trail Harricana, remportée ensemble. Puis Jeff a décidé de venir à La Réunion pour partager cette course avec son ami.

Une blessure aurait tout foutu en l’air. Alors ils ont choisi de prendre leur temps. Puis Florent en a même profité pour jouer au guide touristique et lui parler de son île à mesure qu’ils la parcouraient de bout en bout.

La deuxième nuit, ils ont dormi une heure dans un ravitaillement, sur un petit lit de camp. « C’était dur de repartir après ça, se souvient Jeff. Il nous restait plus de 50 km. »

Mais ils sont repartis. « Tout ce qui peut arriver dans une course nous est arrivé : la fatigue, les maux de pied, les maux de dos, les ampoules, le chaud, le froid, raconte Jeff. Des fois, tu ne comprends plus pourquoi t’es là, t’es tanné de faire ça, mais tu persévères. »

Ils sont arrivés au stade de La Redoute et ont franchi le fil d’arrivée vers 9 h 30 le matin. « Il y a une expression ici qui dit “voir La Redoute et mourir” », raconte Florent. Ils étaient en effet un peu morts, après 35 h de course, mais ils avaient réussi. Ils ont terminé aux 88e et 89e rangs, même si ça n’a pas d’importance.

Et Gaston Miron a eu raison : cette fois-ci, Antoine Guillon a finalement gagné en un peu plus de 24 heures.

« On n’était pas dans nos meilleurs jours, mais on a voulu courir pour passer ensemble la ligne d’arrivée, et c’est ce qui s’est passé. Il me fallait quatre ans de préparation. Je le sais maintenant. Pour partir d’un 10 km et réussir à finir la Diagonale, c’était ce qu’il fallait ! »

— Florent Bouguin

Quatre ans, c’est le temps qu’il fallait pour habituer son corps aux exigences d’une telle épreuve, réputée parmi les plus dures. Mais c’est aussi l’expérience qu’il fallait pour apprendre à mettre en veille la soif de compétition. Un coureur moins expérimenté aurait pu tenter de « faire un résultat », au risque d’exploser en vol et de ne pas terminer.

Mais non. Ils n’ont pas explosé. Florent Bouguin a fini cette course sur sa terre natale, entouré de son meilleur ami, de sa femme, de ses enfants, de sa famille et de ses amis d’enfance, qui lui ont tous fait la surprise de venir l’encourager.

« Je suis super content d’avoir réussi à passer cette ligne d’arrivée tant attendue. Et de la passer avec Jeff, ç’a été la cerise sur le gâteau. On n’a pas fait que passer la ligne ensemble, on a couru tout le temps ensemble. C’était une belle fête qui se termine en apothéose. »

D’AUTRES QUÉBÉCOIS

Outre les deux amis, d’autres Québécois ont parcouru la Diagonale des Fous en fin de semaine. Parmi eux, le Montréalais Joan Roch a terminé en 42 h. Le Québécois le plus rapide de cette course a été Éric Breton (34 h 27 min), un coureur de la région de Chaudière-Appalaches. Il a pris le 63e rang au total.

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