Théâtre

Quatre filles en liberté

En septembre 2016, on soulignait le peu de pièces écrites par des femmes dans les théâtres montréalais. Un an plus tard, quatre jeunes femmes présentent en même temps leur nouvelle création sur quatre scènes de Montréal. Discussion avec des créatrices qui ont des choses à dire.

Les textes de femmes au théâtre

La Presse : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vos pièces étaient toutes programmées au même moment ?

Catherine Léger (C.L) : Je me suis dit : « Ils ont voulu nous neutraliser ! » (rires)

Marianne Dansereau (M.D) : J’étais heureuse de voir qu’il y avait un effort par rapport à la parité. Après ça, il faut que ça dure, pas que ce soit un beau flash.

Sarah Berthiaume (S.B) : Oui, il ne faudrait pas que ce soit la saison des femmes et après, c’est terminé.

L’écriture « en tant que femme »

La Presse : Sentez-vous une responsabilité, une pression d’écrire « au nom des femmes » ?

C. L. : J’ai envie d’écrire des personnages de femmes qui détonnent pour qu’on arrête de penser que les femmes, c’est un tout et qu’on pense toutes pareil. Je veux rappeler qu’on n’est pas juste des blondes, des mères, des filles de… Le personnage féminin n’est pas là pour représenter toutes les femmes.

S. B. : Je suis féministe, mais, avant d’écrire, je ne me dis pas : « Cette œuvre doit être un porte-étendard du féminisme. » Sinon, toutes les œuvres vont finir par tenir le même discours et ce ne sera pas intéressant. Comme artiste, je revendique d’aborder les sujets de mon choix, avec ma sensibilité de femme et d’humaine.

C. L. : Quand on revendique l’égalité et la parité, c’est pour être libre dans l’acte de créer. Il faut pouvoir écrire des personnages de filles pas fines qui sont « politically incorrect ». On ne demande pas aux gars de parler au nom de tous les hommes !

Catherine chabot (C. C.) : Pour mes pièces Table rase et Dans le champ amoureux, j’ai fait lire mes textes à une amie militante féministe quatrième vague avec une conscience de la lutte intersectionnelle ! (rires) Cette amie est ma petite lumière radicale, celle qui me dit si je suis en train de reconduire des clichés. Il y a un souci de ma part de ne pas remâcher des affaires sexistes, de me faire valider par quelqu’un qui a cette grille d’analyse là.

M. D. : Moi, quand j’écris, j’ai un souci paritaire. Mes personnages principaux sont naturellement des femmes et j’y tiens. Quant à la parole des femmes… C’est à la mode de dire « une parole féminine forte », « un personnage féminin fort »… Je revendique cette force-là, oui, mais je revendique aussi le côté imparfait des personnages féminins, des tout croches. C’est important pour moi de faire une place à ces filles-là dans mon écriture.

Idéalistes ou conformistes ?

La Presse : Plusieurs de vos personnages doivent se résigner, renoncer. Est-ce un constat d’échec face aux idéaux qu’on nous propose ?

M. D. : À la fin de Savoir compter, mon personnage se retrouve seul. Moi aussi, comme personne et comme auteure, je sens une sorte de pression sociale. Ça a l’air gros de dire ça (rires), mais j’ai comme une idée préconçue du bonheur que je n’arrive pas à casser. On est conditionnées à être en couple, à avoir des enfants… On dirait que je ne sais pas comment être heureuse autrement… C’est quoi, être heureux autrement ? Les gars ont des modèles : ils peuvent être des voyageurs, écrire des livres sur le fly et avoir des enfants dans d’autres pays (rires). Il y a certaines femmes qui l’ont fait, mais elles sont marginalisées. On dirait qu’on a moins d’avenues et je trouve ça désolant.

C. L. : Dans Filles en liberté, le personnage de Méli est sacrifié, car elle est trop frontale. Sa façon de vivre sa liberté, de confronter les hommes sur ce qu’ils cherchent par rapport à une femme… elle met en lumière le fait qu’ils sont plus conservateurs que ce qu’ils voudraient laisser croire. Méli, c’est la fille toujours le fun, mais le gars va aller vers la première de classe, le bon modèle.

C. C. : Moi, je parlerais d’impuissance plutôt que de résignation. Les personnages principaux de ma pièce sont placés face à la chute de leurs idéaux politiques et amoureux. Je pose la question : est-ce qu’on peut encore croire en quelque chose ? Ils se sont rencontrés au printemps érable, ils ont milité, lutté et les lendemains sont noirs, durs, difficiles. Il y a un désenchantement face aux idéaux qu’on ne peut pas atteindre.

C. L. : Les idéaux sont tellement hauts, la pression pour le bonheur est tellement forte… Je pense qu’il faut se dire « Je n’y arriverai pas, je me résigne » pour être heureux.

M. D. : C’est vrai que les idéaux sont hauts et on nous vend l’amour tout le temps, c’est gossant. Il y a quelque chose qu’on ne peut pas atteindre dans cette idée du bonheur. Et on passe à côté de plein d’affaires le fun en essayant d’atteindre l’inatteignable. J’ai l’impression qu’il faut qu’on teste de nouvelles avenues. Le polyamour, ça marche-tu ? On va l’essayer ! On va brasser la cage un peu, essayer des nouvelles affaires. Les anciens modèles ne marchent plus, on est déçus alors let’s go ! On va se pitcher partout ; c’est ça l’espoir pour moi.

Le mouvement #moiaussi

La Presse : Impossible de ne pas vous poser la question : que pensez-vous de la vague de dénonciations à laquelle nous assistons ces jours-ci ?

M. D. : Ma pièce commence avec le monologue d’un gars qui fait la file au McDo et qui cruise la fille devant lui. C’est littéralement un pastiche de choses que j’ai entendues ou qu’on m’a dites ! Quand j’ai vu sortir #moiaussi, je me suis dit : « Ok, j’avais raison. » Je suis contente que ce monologue existe et qu’il soit présenté aujourd’hui.

C. L. : C’est un mouvement absolument nécessaire, il faut que ça sorte, mais, en même temps, j’espère que c’est un tournant parce que ce n’est pas intéressant d’avoir à réfléchir à ça… J’ai hâte qu’on n’ait plus à parler de ça. Je veux être solidaire des filles qui sont dans le mouvement #moiaussi, je veux les appuyer du mieux que je peux, mais il y a un côté de moi qui se dit : « Pourquoi ce ne sont pas les gars qui sont en train de faire de la thérapie de groupe ? » C’est encore nous qui gérons la colère, qui réparons l’intime. Comme société, ce serait le fun que les hommes s’en occupent.

S. B. : Je parle de libération de la parole dans Antioche, mais, une fois que la parole est libérée, on fait quoi ? C’est aux gars d’attraper la puck maintenant. Maintenant qu’on sait que les filles subissent ça tout le temps, c’est à eux de dire : « Quelle est la prochaine étape ? »

C. C. : Autour de moi, les gars se sont questionnés sur leur pratique, je trouve ça super. Ils se sont demandé : « Est-ce que j’ai déjà fait ça, moi ? » Ils ont revu leur vie à travers cette perspective-là.

La Presse : Est-ce que #moiaussi aura un impact sur votre écriture ?

S. B. : On a écrit nos pièces dans la foulée d’#AgressionNonDenoncee. C’est sûr que ce genre de choses a un impact. Le théâtre, c’est presque immédiat. C’est sans doute le média qui donne le plus rapidement le pouls d’une société.

C. L. : En ce moment, je travaille sur un texte avec deux personnages féminins dans les mêmes thèmes, en lien avec l’intimité et la sexualité. J’ai eu une petite tendance à me demander : « Est-ce que c’est le bon moment de parler de ça ? Est-ce trop tôt pour avoir une conversation sur la liberté sexuelle des filles ? » J’ai failli me censurer, mais, finalement, je me suis dit : « Non, je continue et je vais peut-être même aller plus loin que ce que je voulais faire au départ. » Je vais avoir une réponse punk, à la Kill Bill. Je pense que c’est féministe de parler de la sexualité des femmes et des jeunes filles.

C. C. : Dans ma pièce, il y a un cunnilingus live. J’avais comme un désir de parler de plaisir au féminin. Comme dans Table rase, les filles parlent de manière super crue, j’ai une volonté de briser les tabous, d’en parler encore plus fort. Je trouve que c’est punk, un cunni sur scène.

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