Hockey

D’enseignant à recruteur émérite

CLAUDE CARRIER

Les Devils du New Jersey sont la risée de la LNH à la fin des années 80. Les défunts Rockies du Colorado, installés à l’orée de Manhattan depuis 1983, font du surplace. Le capitaine des Oilers d’Edmonton, le légendaire Wayne Gretzky, les qualifie même d’organisation « Mickey Mouse » après une autre dégelée.

En 1987, onde de choc dans la LNH, le propriétaire des Devils nomme Lou Lamoriello à titre de patron des opérations hockey. Issu des rangs collégiaux américains, Lamoriello n’a pas la moindre expérience de la Ligue nationale de hockey.

Quelques années auparavant, David Conte s’était joint à l’organisation dans le rôle de recruteur. Il convainc le Québécois Claude Carrier de se greffer au groupe de dépisteurs de l’équipe. Ce même Carrier qui, en 1990, met son poing sur la table à quelques semaines du repêchage lorsque les Devils hésitent entre Trevor Kidd et Martin Brodeur.

Brodeur est repêché à la toute fin de la première ronde. Ce formidable groupe de dépisteurs repêchera dans les années suivantes Scott Niedermayer, Brian Rolston, Jay Pandolfo, Brendan Morrison, Patrik Elias, Petr Sykora, Scott Gomez, Brian Gionta et compagnie. Sans oublier l’offre hostile à Scott Stevens.

Jacques Lemaire se joint à l’équipe en 1993. Deux ans plus tard, les Devils remportent leur première de trois Coupes Stanley, Martin Brodeur battra tous les records et cette organisation constituera un modèle de structure et de succès pour les autres formations de la ligue.

Le congédiement de Claude Carrier, la semaine dernière, par le nouveau DG Ray Shero, marque la fin d’une époque. Lou Lamoriello était parti l’été dernier pour se joindre aux Maple Leafs de Toronto, suivi par Jacques Lemaire. David Conte a quitté le navire en juillet. Carrier, 67 ans, était le dernier du groupe. On ne l’a pas laissé se rendre au repêchage…

« Je m’y attendais, parce que nous sommes tous associés à Lou [Lamoriello], mais je croyais qu’ils allaient me laisser le travail qui reste à faire jusqu’au début du repêchage. »

— Claude Carrier, récemment congédié par les Devils

« Ils ne m’ont donné aucune raison. Si j’ai un commerce ou une industrie et que j’ai à congédier quelqu’un, je vais donner un motif, sinon je n’ai aucune raison de le mettre à pied. Un gars comme [Paul] Castron, le nouveau directeur du recrutement, n’est pas capable de travailler avec des gens forts. Mais je ne suis pas le genre de bonhomme à me lamenter. Ils ont pris une décision et je vais vivre avec, même si je la trouve très faible. »

DANS LE MILLE

Claude Carrier a fait une première percée dans la Ligue nationale de hockey en 1977. « J’étais entraîneur adjoint chez les Remparts de Québec avec Martin Madden, et Jack Button, le nouveau directeur du recrutement chez les Capitals de Washington, cherchait un recruteur à temps partiel au Québec. Martin, qui le connaissait bien, m’a recommandé. De fil en aiguille, j’ai délaissé mon poste d’enseignant en éducation physique à la polyvalente de Charlesbourg pour me consacrer au recrutement. »

À son premier repêchage comme recruteur à temps plein, Claude Carrier frappe dans le mille.

« En huitième ronde, Jack vient me voir et me demande qui je repêcherais. J’ai répondu Gaétan Duchesne. Il m’a dit : “Repêche-le !” Gaétan a vite eu un impact. Comme il n’avait que 19 ans, les Remparts s’attendaient à le revoir, mais il n’est jamais revenu… »

Duchesne n’est pas devenu un grand joueur offensif, mais il a disputé plus de 1000 matchs dans la LNH et joué un rôle important au sein des quatre équipes auxquelles il a appartenu : Washington, Québec, Minnesota et San Jose.

« Les autres recruteurs ont commencé à me respecter davantage à compter de ce moment-là. Tout a commencé véritablement avec ça. »

DIRECTION NEW JERSEY

En 1984, David Conte quitte les Capitals de Washington pour se joindre aux Devils du New Jersey. Il passe un coup de fil à son ancien compagnon de travail à Washington. Claude Carrier accepte le défi et quitte la capitale américaine.

Durant ses cinq premières années, par contre, il ne parvient pas à convaincre ses patrons de repêcher des Québécois. En 1990, il ose mettre son poing sur la table. Un jeune gardien du nom de Martin Brodeur se fait remarquer avec le Laser de Saint-Hyacinthe, et Carrier le juge incontournable. La plupart de ses confrères n’ont d’yeux que pour Trevor Kidd.

« J’ai eu à les brasser. David hésitait aussi, parce que nous avions déjà Sean Burke devant le filet. Je connaissais très bien la famille Brodeur. Je savais que c’était de bons athlètes aussi. J’avais dit à David que si Martin devenait une star, on n’aurait qu’à échanger l’autre. Il avait des habiletés extraordinaires et une éthique de travail exemplaire. C’était un compétiteur. Je me disais : pourquoi y aller avec un attaquant ou un défenseur dont on n’est pas sûrs ? On lui a fait passer une entrevue, les gars l’ont aimé. 

« Finalement, Martin a été placé devant Kidd sur notre liste, mais Kidd a été repêché au 11e rang par Calgary. Martin était encore libre en fin de première ronde et ça a rapporté des dividendes. Je ne comprenais pas. J’avais vu jouer les deux. Ils étaient proches, mais c’était clair que Martin avait plus de potentiel. Malgré tout, c’est toujours Trevor Kidd qui revenait dans les discussions. Je n’étais pas totalement seul, parce que Dave l’aimait aussi, mais il reste que j’étais pas mal seul. »

Comment expliquer les succès des Devils au repêchage pendant ces trois décennies ? « On voulait avoir le gars qui répondrait le plus possible au critère de jeu des Devils. Le style des Devils n’a pas beaucoup changé, c’est la défense d’abord. On visait des joueurs prêts à se sacrifier pour l’équipe et pas pour leur nom. Je n’ai pas vu souvent de joueurs des Devils faire une grève pour un contrat. Ça s’est toujours réglé de façon très professionnelle. Le caractère du joueur était très important. »

Quel avenir pour Claude Carrier ? « J’ai eu beaucoup d’appels de gens que j’ai côtoyés pendant ces 30 années, mais ce n’est pas le moment d’embaucher. Les éliminatoires des ligues juniors commencent, tout le monde prépare ses meetings pour le repêchage de la LNH, ils ont bien d’autres chats à fouetter. Je ne dirais pas non aux médias, comme analyste, comme Alain Chainey le fait à l’heure actuelle. »

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