THÉÂTRE

Poétique et décoiffant

Tungstène de bile

Texte et mise en scène de Jean-François Nadeau. 

À la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 4 avril

3 étoiles et demie

C’est assurément la proposition théâtrale la plus étrange et la plus décoiffante à l’affiche à Montréal. Ce spectacle concocté par le duo de créateurs formé de Stéfan Boucher et Jean-François Nadeau, d’après le recueil de poésie de ce dernier, Tungstène de bile, ne ressemble à rien qu’on ait déjà vu !

Naviguant entre le cabaret existentialiste, le conte d’horreur, le spectacle de « slam » et la performance poético-musicale, Tunsgtène de bile rassemble les 16 courts textes du recueil dans une prestation d’une heure quarante minutes. L’acteur polyvalent (Nadeau) et le musicien (Boucher) ont créé un objet scénique hybride, aux multiples couches de sens.

Pour l’occasion, la salle Jean-Claude Germain est transformée en un cabaret avec tables, bougies et service de bar. Les deux interprètes sont repliés dans un petit coin, avec une porte et une trappe permettant des changements de scène. Une guitare électrique est accrochée au mur parmi des bidules électroniques.

Dans cet espace exigu, ingrat, les deux interprètes arrivent à créer diverses atmosphères, toutes plus étranges et inquiétantes les unes que les autres.

Ils sont aidés par les éclairages d’Étienne Boucher, qui vont des néons aveuglants à la lumière tamisée, ainsi que par la musique et les arrangements sonores de Stéfan Boucher.

CONTE DE LA FOLIE ORDINAIRE

Or, au-delà de l’esthétique, Tungstène de bile nous convie surtout à la rencontre de l’univers et de la parole de Nadeau. Ce dernier est un formidable acteur qui maîtrise parfaitement sa partition et rend son texte extrêmement vivant. Il incarne plusieurs personnages qui semblent tout droit sortis d’un conte de la folie ordinaire. Son corps parle autant que ses mots, tant Nadeau est habité par sa poésie.

Difficile de résumer le propos. Le récit est sombre et banal à la fois. Nadeau aborde le quotidien, la banlieue, la misère et la violence de notre époque avec une sensibilité d’écorché vif. Tungstène de bile parle surtout du désenchantement du monde, à travers une langue très imagée, joualisante, parfaitement maîtrisée et diablement originale.

La production n’est pas parfaite. La mise en scène s’égare par moments. On aurait pu ramasser et couper ici et là, question d’enlever quelques longueurs et confusions dans la trame dramatique. Toutefois, la pièce a les qualités de ses défauts. Ses (petites) imperfections en font un spectacle encore plus unique et touchant.

Finalement, avec sa création, Jean-François Nadeau plonge sans filet pour nous montrer l’état d’urgence qui habite son âme. La lumière incandescente qu’elle dégage risque de vous habiter longtemps.

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