Chronique

Littératie :  derrière les chiffres

Il y a des cycles dans le débat public. Invariablement, le dossier de la littératie revient sur le tapis au mois de septembre, dans le sillage de la rentrée scolaire, autour d’un chiffre qui a frappé l’imagination, les 53 % des Québécois qui n’ont le niveau de compétence souhaitable en littératie. L’enjeu est majeur. Mais il faut aller au-delà des chiffres, voir qui est derrière, penser aux causes et aux solutions.

D’abord, il faut faire attention au vocabulaire. Un analphabète, c’est quelqu’un qui ne peut pas lire ou écrire. Ça existe ici, mais c’est rare. Dans une société avancée, on mesure plutôt la littératie, les aptitudes à comprendre ce qu’on lit et à utiliser l’écrit. L’OCDE a lancé un vaste programme de recherche auprès des adultes de 25 à 65 ans, le PEICA, le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes, qui distingue cinq niveaux de compétences en littératie :  le niveau 1, une maîtrise très minimale, le 2, des aptitudes qui permettent d’être fonctionnels mais insuffisantes pour pleinement fonctionner dans une société moderne, et les niveaux 3, 4, et 5, où cette maîtrise va de bonne à excellente.

Le qualificatif d’analphabète fonctionnel peut s’appliquer à ceux qui se situent au niveau 1 ou plus bas – ils sont 19 % au Québec. Il n’est pas du tout approprié pour les 34 % du niveau 2. Dans leur cas, l’enjeu, ce n’est pas l’alphabétisation, mais le développement des compétences. C’est en additionnant ces deux groupes que l’on obtient les fameux 53 %.

Cela permet de dire que plus de la moitié des Québécois n’ont pas un niveau de littératie suffisant, mais pas qu’ils sont analphabètes.

Il y a eu des abus de langage dans ce dossier. On a souvent étiré l’élastique, moi y compris. Mais je l’ai fait sans trop de regrets, parce c’est cela qui a permis de briser le mur de l’indifférence à l’égard d’un problème très sérieux.

C’est sérieux, parce que le Québec compte des laissés-pour-compte, ceux du niveau 1. On y trouve aussi un groupe important de citoyens qui sont plus vulnérables face aux bouleversements du marché du travail et de l’explosion des technologies de l’information. Et surtout, les résultats du PEICA en 2012 montrent que d’autres réussissent beaucoup mieux. Le Québec a obtenu une note de 268,6, moins que la moyenne de l’OCDE, 273. En queue de peloton canadien, et 18e sur 22 pays de l’OCDE. Notre 53 % se compare aux 38 % de la Finlande et aux 43 % de l’Australie.

L’économiste Pierre Fortin, dans L’actualité, a souligné que les chiffres globaux masquent une réalité plus rassurante. Pour le groupe des 25-44 ans, le Québec fait beaucoup mieux. Seulement 42 % d’entre eux se retrouvent dans les deux niveaux inférieurs, mieux que les pays du G7, quoique bien derrière le Japon ou le nord de l’Europe. Cela s’explique largement par le fait que la moyenne québécoise est tirée vers le bas par les 45-65 ans, dont 64,5 % se retrouvent dans ces deux niveaux.

Cela nous dit que les résultats québécois globaux sont tributaires du passé et que notre performance s’améliore avec le temps.

Mais cela ne change rien au fond du problème, Les 45-65 ans ne sont pas des momies, la plupart ont profité des réformes de la Révolution tranquille et ne sont pas à la retraite. Ils représentent 42 % de la population en âge de travailler. On ne peut pas les enlever des chiffres. L’amélioration de leurs aptitudes est un enjeu majeur, qui passe par la formation et le développement des compétences.

Mais, curieusement, les jeunes ne font pas si bien que cela : 49 % des 16-24 ans se retrouvent aux deux niveaux inférieurs. C’est normal que la littératie soit moins développée à 16 ans qu’à 25, parce qu’on est encore en apprentissage.

Mais encore là, nos jeunes sont au bas de l’échelle canadienne et parmi les derniers de l’OCDE.

Comment concilier cela avec le fait qu’ils réussissent très bien aux examens internationaux ? L’explication la plus probable, c’est le taux de décrochage élevé du Québec. Le niveau de scolarité a un effet direct sur le niveau de littératie. Ce ne sont pas les programmes, les cours, les profs qui font problème, mais le fait que nos écoles échappent trop de jeunes. La solution passe donc en grande partie par la lutte contre le décrochage et la réussite scolaire.

Mais il n’y a pas que l’école. Le PEICA demandait aux jeunes combien il y avait de livres chez eux, parce qu’il est évident que plus on a de livres, plus on lit. La réponse est révélatrice. Chez les Québécois francophones, 27 % disaient qu’il y avait plus de 100 livres. Chez les anglophones, 58 %. Ça dit tout.

Comme on le voit dans sa trop grande tolérance au décrochage scolaire, sa faible valorisation de l’université, son manque d’amour de la lecture, le niveau trop faible de littératie est une autre manifestation du fait que le Québec n’a pas achevé sa Révolution tranquille et pas complètement éradiqué son héritage de pauvreté culturelle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.