Les enfants du Québec

Les garçons de 5 ans et le risque masculin

Le 21 novembre dernier, l’Observatoire des tout-petits publiait un premier portrait des 0-5 ans du Québec. Camil Bouchard, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants (1991), nous propose une série de trois billets portant sur des aspects importants de ce portrait. Aujourd’hui : les garçons de 5 ans et le risque masculin.

Dès la petite enfance, les garçons sont plus à risque que les filles de développer un trouble du langage, de l’attention, de l’hyperactivité ou du comportement

Parler de vulnérabilité masculine a généralement mauvaise presse. Après tout, ces « vulnérables » ne sont-ils pas encore et toujours plus nombreux à exercer le pouvoir dans les PME, dans les conseils d’administration, en politique ? Et puis, ne retrouve-t-on pas aussi chez ces « vulnérables » des taux beaucoup plus élevés de violence conjugale et d’agressions sexuelles ? C’est la première réaction que l’on risque de rencontrer.

Mais peu importe cette réaction épidermique, les données ont la vie dure. Richard Cloutier, professeur émérite de psychologie à l’Université Laval, publiait un livre à ce sujet en 2004 : Les vulnérabilités masculines. On y trouve un palmarès peu réjouissant des états de détresse, de dérives ou de maladies associés à la condition masculine. 

Comparés aux filles et dès la petite enfance, les garçons se montrent moins résistants aux infections, leur maturation psychique et physique est plus lente. Ils sont plus présents dans les statistiques de troubles du langage, de l’attention et de l’hyperactivité, de l’autisme, de problèmes du comportement, de délinquance. Plus tard, ils apparaîtront plus souvent au tableau peu enviable du tabagisme, de l’alcoolisme, de la toxicomanie, de l’itinérance. Ils occuperont la très grande majorité des cellules en prison et leur taux de suicide excédera largement celui des femmes.

La durée de vie des garçons est plus courte que celle des filles. Le professeur Richard Cloutier parle de « risque masculin ».

Nous savons aussi que les garçons affichent un taux de décrochage scolaire plus élevé que celui des filles (19,8 contre 12,9 en 2012). Cela fait la une des journaux annuellement et provoque un émoi momentané, les uns s’en inquiétant, les autres soulignant que l’écart rétrécit petit à petit. Si on est chanceux (entendre : si les médias manquent de nouvelles), on assistera à quelques débats sur ce qui expliquerait ces écarts persistants et sur les moyens à prendre pour les faire disparaître un de ces jours. Puis, fin des émissions et à l’an prochain.

Ce que nous ne savions pas, cependant, c’est que cette différence garçons-filles apparaît avant l’entrée à l’école. La toute récente Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle (EQDEM) révèle que 24,6 % des enfants de maternelle sont vulnérables dans au moins un domaine de leur développement. Mais ce taux est beaucoup plus élevé chez les garçons que chez les filles : 32,6 % versus 18,5 %. Et cet écart garçons-filles se manifeste pour chacun des cinq domaines de développement évalués : santé physique et bien-être, compétences sociales, maturité affective, développement cognitif et langagier, habiletés de communication et connaissances générales.

Un objectif modeste

Les résultats obtenus à l’EQDEM sont un excellent indicateur de la capacité des enfants de se mesurer avec succès aux défis de l’école primaire. L’écart de décrochage entre garçons et filles se montre le bout du nez avant même le seuil de l’école. On peut choisir de regarder ailleurs, mais c’est un fait.

La nouvelle politique de prévention en santé lancée le 23 octobre dernier fixe comme objectif de faire passer ce taux de vulnérabilité chez les enfants de maternelle de 24,6 % à 20 % d’ici… 10 ans, une diminution d’à peine 0,5 % par année. C’est un objectif qui, disons-le, ne pèche pas par ambition et qui gomme la partie la plus importante du défi à relever, soit la réduction du taux beaucoup plus élevé de vulnérabilité chez les garçons. Pas un mot là-dessus. Pourtant, sans une réduction importante du taux de vulnérabilité des garçons, oubliez l’atteinte d’un objectif, aussi peu ambitieux soit-il. 

Il est plus que temps que nos chercheuses en éducation et en développement de l’enfant, que nos enseignantes et que nos éducatrices du préscolaire se mobilisent autour de cet enjeu majeur. Et le leadership du gouvernement en la matière ne serait pas malvenu !

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