Musique 

Le son Kerson

Kerson Leong aime déambuler dans les galeries et les musées, s’asseoir dans les cafés, observer et laisser son esprit vagabonder, afin de se remplir d’émotions qui risquent de devenir sources d’inspiration. Il en faut pour jouer du violon comme il en joue. Avec une maîtrise qui ne faillit jamais, une gravité exempte de lourdeur, une profondeur, une expérience, une élégance immenses.

Kerson Leong est un musicien de son temps. Sur sa chaîne YouTube, le violoniste de 22 ans présente parfois des vidéos de sa vie, qu’il tourne et monte lui-même, pour faire partager sa passion au plus grand nombre. On le suit par exemple dans une journée typique de répétition. Puis, on le voit courir dans la forêt entourant la Chapelle musicale Reine Élisabeth, en Belgique, où il est artiste en résidence depuis quatre ans sous le mentorat du violoniste français Augustin Dumay. « La vie y est géniale ! », s’exclame-t-il énergiquement.

Dans les commentaires sous ses vidéos où il décortique la musique, certains le prient d’aborder des sujets plus intimes, de répondre à des questions plus personnelles (tel le traditionnel : « C’est comment être en relation quand on fait ton métier ? »). Mais ces sujets et ces questions, l’artiste dit les aborder et y répondre déjà. « Ma psyché et mon état peuvent être déchiffrés simplement en écoutant entre les lignes. En captant la façon dont les sons que je joue se développent. »

Parlant de jouer, pendant les Fêtes, Kerson a mis en ligne le souvenir d’une représentation où il avait interprété l’Ave Maria en compagnie de sa mère pianiste. C’est d’ailleurs au piano qu’elle l’a d’abord initié, il y a des années, ouvrant ainsi son appétit musical. Aujourd’hui, il lui dit merci. Comme à son père, un scientifique passionné de classique et avide collectionneur de disques. 

« [Mes parents] m’ont offert l’environnement parfait pour développer mes intérêts. »

— Le violoniste Kerson Leong 

En entretien, le chic musicien ottavien dit d’ailleurs souvent merci. Notamment à Roger Dubois et à sa regrettée femme Huguette, grâce auxquels il joue sur un Guarneri qui sonne exactement comme il souhaitait que résonne « sa voix intérieure ». À l’Orchestre Métropolitain (OM), avec lequel il a noué une belle relation au fil des années. À ses membres, avec qui il se sent « very comfortable ». À Yannick Nézet-Séguin, qui lui a fait l’honneur d’être soliste en résidence cette saison-ci et dont il admire « la passion, l’enthousiasme, l’habileté à rassembler, à communiquer ».

« À la maison »

À Montréal, dont il aime l’énergie, la culture, la diversité, la gastronomie, Kerson apprécie tout particulièrement la Maison symphonique, où il se sent véritablement « à la maison ». C’est cette « salle à l’acoustique phénoménale » que l’artiste globe-trotteur aime le plus au monde. Ce soir, il y sera pour Le château de Barbe-Bleue, opéra de Bartók présenté en version concert par l’OM avec la mezzo-soprano Michèle Losier et la basse John Relyea. Kerson interprétera le Concerto pour violon n1.

Il s’enthousiasme soudain en parlant de l’état amoureux dans lequel se trouvait le compositeur hongrois lorsqu’il a composé cette pièce en 1907-1908, fort probablement à l’intention de la violoniste Stefi Geyer. « Bartók était follement épris d’elle, et ce concerto en est le témoignage. C’est un cadeau à son adresse. Et cela s’entend. C’est si intense ! Comme s’il se vidait le cœur. » 

« Ça sonne comme doit sonner un amour fou de jeunesse. »

— Kerson Leong, parlant du Concerto pour violon n 1 de Bartók 1 de Bartók

Se disant lui-même réservé et concentré, celui qui fut un grand sportif dans son adolescence, s’adonnant à l’athlétisme, au badminton, au volleyball, raconte toujours courir, nager, s’entraîner physiquement. « Le violon est une activité qui demande énormément de subtilité et de micromouvements. » Comme on le constatait déjà en 2016 à l’écoute de son album Bis, paru sous étiquette Analekta, où Kerson jouait magnifiquement, accompagné du pianiste Philip Chiu. « Mon but était modeste, dit-il tout aussi modestement. Je souhaitais faire un disque de courtes pièces souvent offertes par les violonistes en rappel, chacune de ces pièces étant, à mes yeux, une perle. »

Des perles, il en a présenté souvent au cours de sa jeune carrière dans des écoles, des hôpitaux. « J’ai joué pour des personnes malades, des personnes âgées, des écoliers, des jeunes défavorisés. Des gens traversant de durs moments, faisant face à des soucis et à de grands défis. Par la musique, j’ai toujours souhaité les aider à passer au travers de leurs émotions. Les aider à les libérer. »

Comme lui-même les libère sur scène. « Chaque compositeur, chaque œuvre fait ressortir une autre facette de ma personnalité », observe-t-il.

Ajoutons que chaque compositeur, chaque œuvre lui permet aussi de mieux se connaître. « Pour réellement rendre justice à ces pièces si exigeantes, il faut plonger au plus profond de soi. Tout doit découler de notre propre expérience, de notre quotidien, de ce que nous avons absorbé par le passé, de façon à pousser notre imagination et notre créativité à en teinter notre interprétation présente. »

L’énergie de la révolte

Cela dit, le jeune violoniste si précis, si distingué, si travaillant, a-t-il déjà senti l’appel de la rébellion ? « Bien sûr ! s’exclame-t-il. Encore aujourd’hui, je connais ces moments où je sens que je dois me battre, où les choses ne se placent pas. Mais je sais que je peux réellement tirer quelque chose de ce type de lutte, de ce type de conflit. »

Car l’énergie de la révolte peut être extrêmement forte. « Que l’on se rebelle contre quelque chose ou contre soi-même, le combat fait partie de la vie. Je préfère l’accepter comme une chose précieuse. Une source d’énergie et de passion. » Intarissable inspiration.

Le château de Barbe-Bleue, à la Maison symphonique de Montréal, ce soir, à 19 h 30

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.