Dans la tête des Russes

Poutine supertsar

Le président russe est aujourd’hui la bête noire de l’Occident, mais dans son pays, l’ancien agent du KGB a rarement été aussi populaire. Un récent sondage indiquait même qu’un Russe sur deux croit qu’un culte de la personnalité de Vladimir Poutine existe en Russie. Pourquoi ? Notre envoyée spéciale a posé la question aux principaux intéressés.

MOSCOU — Le magasin Cœurs de la Russie n’est pas le plus facile à trouver de la célèbre galerie marchande Goum, qui flanque la place Rouge. Il faut grimper trois étages et trouver la bonne allée. Ça ne l’empêche pas de faire des affaires d’or.

Le principal produit en vente n’est nul autre que le président russe, Vladimir Poutine. Il orne une cinquantaine de t-shirts, des étuis de téléphone cellulaire, des portefeuilles, des porte-clés.

Alors qu’ailleurs en ville les aubaines pleuvent – la chute du rouble ayant incité plusieurs magasins à réduire leurs prix –, ici, un t-shirt en coton arborant un clin d’œil du président au-dessus de ses Ray-Ban vaut 2000 roubles, soit 37 $.

Irina Ivanova en achète huit. « Ce sont des cadeaux pour des amis. Nous aimons tous Poutine. Parce qu’il est fort et que tout ce qu’il fait, il le fait pour le pays », explique la cliente moscovite en déboursant l’équivalent d’un salaire mensuel moyen pour ses achats pro-poutiniens.

Étudiante de 23 ans, originaire de Volgograd, Evguenia Kasenko hésite devant l’étalage. Elle arrête son choix sur un t-shirt serré montrant Poutine en treillis militaire. L’inscription dit : « Ne doutez pas de vous-mêmes. »

« Poutine est le symbole de notre pays en ce moment. Nous sommes au milieu d’une guerre de l’information avec l’Ouest ; c’est le moment de serrer les rangs derrière notre président », dit la jeune femme, en ajoutant que derrière ce que certains pourraient voir comme un culte du président, il y a surtout beaucoup d’humour. Un humour amoureux.

STAR DES JEUNES ET DES VIEUX

Cet engouement pour la figure du président est repérable aux quatre coins de la capitale russe. On vend des objets à son effigie dans le métro et dans des machines distributrices qui ont été installées dans les supermarchés. « Nous sommes tous Poutine », peut-on lire à l’avant de ces Poutinomat.

La popularité du président ne se dément pas dans les sondages. Même si le rouble a perdu 40 % de sa valeur en six mois et qu’une récession se dessine en Russie, la cote de popularité du chef d’État atteint 85 %.

Selon les sondeurs, les jeunes et les personnes âgées sont les plus grands fans de Poutine. Les retraités sont particulièrement reconnaissants envers le président, qui a doublé la valeur de leurs pensions et remis en place des services sociaux, après 10 ans sans aucun filet social sous Boris Eltsine. 

« Il n’est peut-être pas parfait, mais on n’a jamais vu un aussi bon président de mon vivant. »

— Galina Denisieva, retraitée de Saint-Pétersbourg âgée de 78 ans

Les travailleurs russes, eux, ont vu en général leur revenu croître de 40 % depuis l’accession de Poutine au pouvoir en 2000.

JAMES BOND RUSSE

Beaucoup de jeunes de moins de 25 ans, nés sur les cendres de l’Union soviétique, voient en l’ancien patron des services secrets et champion d’arts martiaux l’équivalent d’un James Bond des temps modernes, défendant la Russie contre l’ennemi.

Organisation de la jeunesse poutinienne, la Molodaya Gvardia (en français, la Jeune Garde) compte 160 000 membres et n’a aucune difficulté à recruter. Surtout depuis l’annexion de la Crimée, un geste vertement critiqué par la communauté internationale, mais qui a valu à Poutine une véritable poussée d’admiration en Russie.

« La Crimée, c’est historiquement notre territoire. J’y suis allée trois fois depuis l’annexion et les gens pleuraient de bonheur. Ils se sont sentis abandonnés tellement longtemps. »

— Denis Davidov, chef de la Jeune Garde

Le nom de l’organisation n’est pas anodin. La Jeune Garde fait référence à un groupe secret de jeunes résistants qui a multiplié les gestes de bravoure pendant la Seconde Guerre mondiale, « dans le combat contre les fascistes », précise M. Davidov.

« Nous ne voulons pas prendre la gloire de la Jeune Garde, mais comme eux, nous sommes là pour défendre notre mère patrie » contre ses ennemis extérieurs et intérieurs, ajoute-t-il.

Le week-end, explique-t-il, ses membres se tiennent près des magasins de bière et de vodka pour s’assurer qu’ils n’en vendent pas aux mineurs. Ils sont aussi là pour prêter main-forte au président et à défendre ses points de vue, notamment à l’égard du conflit en Ukraine de l’Est qui, pour eux, est une agression sanglante contre la minorité russe du pays.

AUTEL POLITIQUE

Le bureau de Denis Davidov est un véritable temple au président. Sur le mur, un portrait du patron du Kremlin à la Warhol. Sur la commode, à côté d’un fusil de la Première Guerre mondiale et d’un drapeau nationaliste, un dessin qui montre Poutine terrassant Barack Obama grâce à une prise de judo. « Nous avons une collection de ces dessins. De manière humoristique, ils montrent tous que Poutine se bat pour le pays », dit le jeune Russe, diplômé en agronomie.

« Le taux de popularité de Poutine est colossal en ce moment et ça fait peur à l’Occident. C’est difficile pour eux de comprendre qu’en ces temps de guerre, nous sommes tous derrière notre leader », ajoute Oksana Tchakeva, responsable des communications de la Jeune Garde, un poste qu’a occupé pendant un temps l’ex-espionne Anna Chapman après avoir été expulsée des États-Unis. La sulfureuse jeune femme a quitté l’organisation pour prendre la barre d’une émission de télé.

LE VERNIS SE FENDILLE

Il ne faut pas chercher très loin cependant pour constater que tous ne suivent pas aveuglément le leader du pays. La vendeuse du magasin Cœurs de Russie, Valéria Bourloutskaya, a attendu que ses clientes partent pour se vider le cœur. Elle n’en peut plus du culte qui est voué au politicien. « Les gens viennent acheter des t-shirts parce qu’ils aiment Poutine. La plupart viennent des régions éloignées. Ils disent qu’il est un patriote et qu’ils le sont aussi. Je pense surtout qu’ils sont un peu simples. Ils croient tout ce qu’il dit à la télévision. Pas moi. Et il y a plein de gens comme moi à Moscou et à Saint-Pétersbourg. »

Étudiant en génie nucléaire, Leonid Fedotov dit qu’il en a plus qu’assez de la propagande du gouvernement, qui est déversée à longueur de journée sur la télévision nationale. « Il y en a tellement ces jours-ci, c’est plus facile à combattre », dit en rigolant le jeune homme de 19 ans, rencontré dans une auberge de jeunesse.

Même s’il n’est pas le plus grand fan de Vladimir Poutine, Leonid Fedotov n’est pas en faveur d’un changement de gouvernement. « Nous n’avons pas de choix en ce moment. Nous avons Poutine et rien d’autre. Même s’il partait, ça ne changerait rien. Le gouvernement, ce n’est pas seulement une personne. Poutine, c’est un symbole. »

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