Chronique

Sacrez-nous la paix

Au début du nouveau film de Mathieu Denis et de Simon Lavoie, le poétique, radical et assez pompeux Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, un étudiant (Laurent Bélanger) tourne en dérision les discours pacifistes de ses camarades pendant la crise étudiante de 2012.

Le jeune révolutionnaire d’extrême gauche appelle à la rébellion – et aux armes, si nécessaire – contre le pouvoir en place, l’idéologie dominante et l’élite politico-médiatique. Le message de non-violence de Gandhi ? Fuck Gandhi. Il est mort d’avoir trop voulu la paix.

Dimanche, on soulignait l’anniversaire de l’assassinat, en 1948, du père fondateur de l’Inde. Dimanche, six personnes ont été froidement assassinées dans le dos pendant qu’elles priaient dans une mosquée de Québec.

Portant la barbe de Che et l’arrogance de ceux qui croient détenir la vérité, le personnage de Lavoie et Denis est une caricature : un « artiste dans l’âme » qui se promène nu en récitant des vers dans une commune révolutionnaire.

Une caricature comme le sont aussi les personnages de la nouvelle pièce d’Olivier Choinière, le brillant, subversif et assez pompeux Manifeste de la Jeune-Fille, à Espace Go. Une pièce qui renvoie chacun – la gauche en particulier – à ses propres contradictions et aux limites de ses discours, en disséquant ses lieux communs et ses clichés.

L’être humain est ainsi fait : lorsqu’on gratte à la surface, la façade se lézarde et l’on découvre le doute.

Les personnages de Lavoie et Denis sont ébranlés dans leur foi révolutionnaire, ceux de Choinière sont confrontés à leurs paradoxes. Et comme dans un film ou une pièce de théâtre, le présumé coupable des attentats de Québec, pris de remords, s’est arrêté sur le bord de la route pour se livrer aux autorités.

Hier matin, en parcourant son profil Facebook (effacé peu après), j’ai eu l’impression de découvrir la vie soigneusement mise en scène d’un jeune homme correspondant à quantité de clichés de l’« homme blanc en colère de Québec ». Ce francophone américanophile, dont la bio est souvent en anglais, qui sévit dans les deux langues officielles sur les réseaux sociaux, en se félicitant de l’élection de Donald Trump.

Complet-cravate ou t-shirt blanc-casquette camouflage, ex-cadet de l’armée, fan de Megadeth, qui nettoie les médailles de guerre de son grand-père et publie des photos de présidents américains du début du dernier siècle. Un admirateur de Marine Le Pen qui traite les féministes de « féminazies », un drapeau des États-Unis accroché dans ce qui semble être sa chambre. Une caricature.

Je ne sais rien de lui, sinon cette caricature que je m’en suis fait. Celle d’un Timothy McVeigh de Cap-Rouge, qui a comme moi un frère jumeau et a étudié à l’Université Laval. Je ne sais pas s’il écoute les radios-poubelles de Québec ; s’il apprécie le discours antiprogressiste de Jeff Fillion et de ses valets. Je ne sais pas ce qu’il pense du fait que le président Trump se serve de ses présumées victimes pour justifier, par une contorsion dont il est seul capable, son décret antimusulman. Il en est peut-être fier. Je n’en sais rien.

Ce que je sais, en revanche, c’est que les discours d’intolérance désinhibée, de xénophobie socialement acceptable, d’amalgame grossier entre musulmans et extrémistes, nourri et relayé non seulement par des trolls anonymes mais par trop de figures médiatiques, ici comme ailleurs, participe à un climat délétère. Et que ce terreau fertile à la haine, à une islamophobie qui – n’en déplaise à certains commentateurs – existe bel et bien, est indissociable du drame de Sainte-Foy.

Les préjugés que l’on perpétue ont des conséquences. Les dérives des discours identitaires aussi. Surtout lorsqu’ils se drapent des oripeaux du populisme.

Dites aux gens ce qu’ils veulent entendre ; appliquez-vous avec emphase à les conforter dans leurs appréhensions – sur la langue, la religion, le sort de la nation : ils vous porteront aux nues.

J’entendais un ex-ministre péquiste, dimanche soir à LCN, déclarer sa stupéfaction devant un tel acte de terrorisme dans la capitale nationale. Un jour, tu fais de la femme musulmane un enjeu électoral populiste. Le lendemain, tu t’étonnes qu’elle soit prise pour cible par un assassin. « Je ne peux pas croire que ça se passe ici à Québec », répètent-ils en chœur depuis dimanche.

Je vais vous faire un aveu. Je pleure les morts comme vous. L’injustice de ces morts absurdes, cette barbarie qui fait douter de l’humanité m’ont secoué au plus profond de mon être. Mais au risque de vous choquer, je ne suis pas surpris. Ni que ce soit arrivé, ni que ce soit arrivé à Québec.

Quantité d’hommes blancs en colère sévissent sur les réseaux sociaux à Québec – ailleurs aussi bien sûr, mais de façon notable à Québec. Ils sont le produit d’une époque. D’un discours du « Nous » et du « Eux » qui s’est immiscé dans le langage médiatique. Et pas seulement dans celui de ces commentateurs qui, soufflant sur les braises de l’intolérance, sont si prompts à reprocher aux leaders musulmans leur manque de célérité à dénoncer chaque nouvel attentat. (Je ne les ai pas entendus dénoncer celui-ci au nom de tous les hommes blancs catholiques francophones…)

C’est plus pernicieux. Dimanche, interviewant Denis Coderre en direct, le chef d’antenne de TVA, Pierre Bruneau, a livré sans le vouloir le fond de sa pensée : « C’est quelque chose qu’on n’avait pas vu venir. On aurait pu imaginer le contraire : qu’une communauté musulmane ou qu’un groupe extrémiste musulman commette un geste, mais que nous ou quelqu’un de la communauté, d’une autre communauté, attaque les musulmans, c’est un terrorisme à l’envers, si vous me permettez l’expression. »

Non, M. Bruneau, on ne vous permet pas l’expression. Mais on accepte vos excuses. La majorité des victimes d’attentats terroristes dans le monde sont des musulmans. Aux États-Unis, depuis le 11-Septembre, les extrémistes blancs ont fait plus de victimes que les extrémistes islamistes. Rigueur, rigueur, rigueur, comme vous dites. Les extrémistes sont de toutes allégeances et s’en prennent à tous : aux modérés, aux pieux, aux croyants, aux infidèles, aux païens, aux agnostiques…

Je suis athée. Ma religion, si on veut me réduire à mon tour au cliché, c’est l’amour. Je me range avec Gandhi. Une caricature de gauchiste bien-pensant qui défend des valeurs humanistes. Et qui ne souhaite qu’une chose en ce début d’année : qu’on nous sacre la paix.

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