Opinion

Excusez-la

Il faut déjà penser au bois de chauffage pour l’an prochain. C’est à l’hiver qu’on fait ça. Les arbres sont effeuillés et ils n’ont plus de sève. L’année d’attente donnera au bois le temps de sécher. Le sol porte aussi. Gelé. C’est plus facile. Et les bûches se fendent mieux. D’un coup sec.

J’ai réussi à fuir Noël cette année. Dans un autre pays. Mais l’autre fête m’a rattrapé. Celle de l’année. Celle des bilans et des envies.

La scie mécanique coupe les arbres. Je tente aussi de fuir les vœux du jour de l’An. Alors je plie en deux cinq cents fois par jour. Et je ramasse, et je corde. J’empile la chaleur. Pour l’autre hiver.

Toujours détesté les résolutions. Elles me font peur. Souhaiter l’ailleurs de soi. Comme si dans ces vœux il restait un peu d’espoir. Quand il n’y a plus d’espoir, il reste l’espérance. On est rendus là. C’est Serge Bouchard, l’autre jour à la radio, qui l’a dit.

31 décembre. Le présent, celui qu’on a vécu sans faillir pendant toute une année, n’était pas assez. Je sais de combien de bois j’ai besoin pour les mois où il faut du feu. Passer à travers l’hiver. Une bûche à la fois. Je n’en souhaite pas plus. Et quand je scie des arbres, chaque fois, sais pas pourquoi, je pense aussi aux bûches de Noël. Que je déteste. Trop sucrées pour rien. Sans goût. Tiens, une résolution pour apaiser mes proches qui s’inquiètent du peu de trucs que je voudrais changer : moins de sucre. Ça va désengorger le système de santé.

J’adore le travail manuel. J’oublie toute ma tête, son narcissisme et ses futilités. J’arrive à oublier que le sang va continuer de couler toute l’année malgré les appels du pape et les efforts de paix.

Si on regarde les statistiques depuis qu’il y en a, il meurt toujours autant de gens des guerres, de famine et de maladies qu’avant. Même depuis Facebook, la télé et les fusées pour aller dans l’espace.

Quand je pars la scie, je mets des écouteurs pour atténuer le son. J’arrive à oublier tous les manques qu’on souhaite combler. Surtout celui du présent. Parce qu’on se fait toujours des promesses d’avenir. Comme si les minutes qu’on vit n’étaient jamais satisfaisantes. Jamais assez.

Je dois remettre du gaz et de l’huile toutes les 45 minutes. J’en profite pour faire une pause. Les mésanges reviennent voir. Curieuses et nerveuses. Elles se posent sur les branches à côté de moi. Ça sent l’essence, le bran de scie et l’ozone de dehors. Odeurs d’hiver. Des fois il vient une bourrasque de vent et de neige. Comme jeudi matin, cette semaine. Une bourrasque comme dans La reine des neiges. Que j’ai regardé à la télé sans que personne m’y oblige. Mais je ne le dirai à personne. Tiens, un autre souhait : j’aimerais beaucoup, belle Providence, qu’en 2017 j’arrête de confondre Olaf (le bonhomme de neige dans le film) avec mon premier ministre chaque fois que je vois l’un ou l’autre. Ça devient malaisant et inconfortable.

Premier de l’an. Promesses et envies. Évidemment, on veut être meilleur. Mais tout est si loin. Toujours ailleurs, caché derrière l’avenir et les semaines qu’on abat. Pour se rendre jusqu’au prochain 1er janvier. On corde les jours. On cherche de la beauté. De la chaleur. Et du sens. On veut se nommer. Tellement qu’on vit face à soi sans se voir, dans nos technologies. Parlant de miroirs, justement, faudrait qu’on sache aussi que La reine des neiges est un conte de Hans Christian Andersen avant d’être un film de Disney. Je suis désolé, je n’aime pas qu’on confonde les créateurs et les interprètes. Il y a des patentes qu’il faut dire.

Se dire. Dire surtout. Pour le vrai. Avec de la salive. Qu’on s’aime, si on en est capable. Qu’à travers les heures humaines, il y a aussi celles des autres et nous ; sociales. Peu importe le nombre de selfies, nous serons toujours inscrits dans une somme. Et la somme inquiète. Avec les conséquences politiques que l’on connaît.

Quand on donne le pouvoir à l’écœurement, c’est que les hommes et les femmes qui nous ont gouvernés jusqu’ici ont échoué.

Les promesses, qu’elles soient pleines d’avenir, de jeunesse, de rage ou de sourires, ne semblent plus avoir d’emprise sur la suite qu’on souhaite.

Cessons de rêver, d’ailleurs. On a ce qu’on mérite : des self-promoters et des bonhommes de neige pour nous gouverner. On aurait besoin d’un bûcheron de temps en temps. D’un homme ou d’une femme qui saurait quel arbre récolter et où le faire tomber. Un peu de vision. Avec de vraies idées et des mots qui viennent d’eux. Je sais, je rêve. C’est le jour de l’An aujourd’hui.

Les arbres poussent aussi parce qu’ils ont des racines. Qui apparaissent seulement quand on veut les arracher. Ce sera à l’été. Chaque chose en son temps. D’ici là, je fais le souhait du présent. Lucide et conscient. Loin des vœux magiques et des histoires de princesses. On va continuer de se taper dessus, de chialer, et de faire semblant que tout va bien. Et de se faire des promesses, pour avancer, comme des racines. Il reste heureusement nos cuisines et les salles de classe comme espérance.

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