PATRICK LAGACÉ ESPIONNÉ PAR LA POLICE : OPINION

Une surveillance qui nous concerne tous

La surveillance policière du journaliste Patrick Lagacé, qui a été visé par pas moins de 24 mandats signés de la main d’un juge de paix, constitue une atteinte grave aux garanties constitutionnelles, et au surplus, un dangereux précédent pour notre société de droit.

En tant que juristes, il est de notre devoir d’agir pour protéger les principes fondamentaux qui doivent guider la justice lorsqu’un mandat de surveillance est demandé à l’égard d’un journaliste ou encore d’un avocat ou de tout professionnel à qui l’on se confie sous la garantie de protections constitutionnelles.

Si nous prenons la plume aujourd’hui, c’est que nous constatons depuis quelque temps une récurrence du recours au pouvoir judiciaire à l’encontre de la liberté de la presse.

Il y a quelques semaines seulement, le journaliste Michaël Nguyen a vu son ordinateur perquisitionné pour trouver la source de ses informations quant au comportement de la juge Vadboncoeur lors d’une fête de Noël, alors même que ces informations se sont avérées publiques et accessibles sur le site web du Conseil de la magistrature…

En 2008, le directeur de la GRC lui-même a autorisé la filature du journaliste Joël-Denis Bellavance dans un dessein similaire. Le journaliste Éric Yvan Lemay a fait l’objet d’une perquisition en 2012 à sa résidence personnelle. Quant à lui, Patrick Lagacé a subi des manœuvres d’intimidation de la part de policiers il y a deux ans, dans l’affaire Ian Davidson, alors qu’ils souhaitaient obtenir de lui des informations protégées par le secret des sources journalistiques. Toutes ces démarches ne visaient qu’un seul but : infiltrer le travail journalistique.

Mieux encadrer la protection des sources

Bien que la liberté de la presse soit déjà enchâssée dans les instruments de protection des droits et libertés, la législation doit être précisée afin de mieux encadrer la protection des sources journalistiques. Évidemment, la loi et la jurisprudence protègent déjà de façon stricte les sources journalistiques. Selon les arrêts de la Cour suprême du Canada, ceux qui demandent une telle autorisation ou le dévoilement des sources journalistiques doivent se demander « si l’intérêt public que l’on sert en respectant la confidentialité de la source l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité » et faire la démonstration de l’exceptionnalité de leur demande.

Il est pourtant troublant de constater que les juges de paix responsables de l’émission de tels mandats de filature ou de perquisition soient si prompts à les accorder aux corps policiers.

On leur soumet souvent de longues requêtes quelques minutes avant de leur demander de rendre décision et le tout, à huis clos. Pour le justiciable, cela ressemble davantage à un système organisé pour autoriser simplement toutes les demandes formulées par les corps policiers qu’à un système de protection des libertés fondamentales chargé d’évaluer le caractère exceptionnel des demandes qui lui sont soumises.

Notre système juridique repose sur la confiance accordée aux tribunaux. Pour que ces mandats remplissent leur rôle fondamental, notamment celui de réprimer le crime, il est normal que la loi y associe le bénéfice du secret. Le tribunal ne devrait pas pour autant servir de caution morale et légale à un pouvoir policier en perpétuelle soif de surveillance de ses propres mandataires.

Rien ne sert de lancer la pierre aux juges qui agissent en toute indépendance, mais nous pouvons et devons revoir le fonctionnement du système afin d’assurer que les droits fondamentaux soient correctement protégés. Devant l’abondance des révélations récentes, nous croyons qu’un exercice d’enquête publique est nécessaire.

* Me Yves Ménard, Me Julius Grey, Patrick Taillon, professeur, Daniel Turp, professeur, Me Frédérick Bérard, Me Rémi Bourget,  Me Félix-Antoine D.-Michaud, Me Sophie Tremblay, Me Marie-Ève Gagné,  Me Mireille Beaudet, Me Marie-Hélène Dubé et Me Catherine Ranalli.

OPINIONS PATRICK LAGACÉ ESPIONNÉ PAR LA POLICE

Courrier

Un « meurtre journalistique » ?

Je pense que Patrick Lagacé a été victime d’une tentative de « meurtre journalistique ». Le SPVM a tenté de tuer sa carrière. Qui va maintenant vouloir dénoncer des magouilles à ce journaliste ou à un autre ? L’ego de certains policiers a pris le dessus sur la raison, mais qu’une juge les encourage, ça dépasse l’entendement ! Les policiers font partie d’un clan qui ne permet aucune critique.

— Jean-François Beaudry, photographe

Une situation difficile

Les journalistes sont à peu près le seul rempart qui demeure entre la corruption occulte et l’information du public, même si je doute de plusieurs d’entre eux en ce qui a trait à leur impartialité, surtout sur le plan politique. Cependant, si on commence à douter de leur capacité à conserver la confidentialité et si leurs sources ne leur font plus confiance, il deviendra difficile de leur confier des informations qui devraient normalement demeurer confidentielles.

— Pierre Harvey

Dangereux

Je trouve inconcevable, inacceptable et extrêmement dangereux que non seulement la police trouve justifié de briser cette entente tacite que possèdent toutes les sociétés démocratiques et libres, acceptée par l’ensemble de la population, les gouvernements et, normalement, le système de justice, qui protège les sources journalistiques, mais en plus un juge l’ait autorisé !

Est-ce que M. Lagacé a été spécifiquement visé ou y a-t-il d’autres journalistes qui sont sous le même genre de surveillance ? Il est aussi intéressant de souligner le fait que M. Lagacé dit souvent que la Sûreté du Québec est une police politique. Est-ce une coïncidence ?

— Daniel Lalonde

Près de la catastrophe

Je pense qu’une société qui, avec raison, n’a pas confiance en son gouvernement, sa police et ses médecins frôle la catastrophe.

— Lyne Morin, Cantley

Aucun problème

Je n’ai aucun problème à ce que le cellulaire d’un journaliste, d’un citoyen ou de toute personne soit placé sous surveillance par des autorités policières. Parmi les droits dont chacun dispose, incluant le droit à la protection de la vie privée, le droit à l’information et le droit de vivre dans une société sécuritaire, je favorise avant tout ce dernier. Si l’on n’a rien à cacher ou à se reprocher, je ne vois pas d’ennuis.

— Patricia Guilbeault, Laval

Le devoir des médias

La surveillance de nos appareils cellulaires et informatiques par les corps gouvernementaux doit être dénoncée. Les citoyens ne savent pas à quel point Facebook, par exemple, donne l’accès aux gouvernements et aux policiers à des fins de consultation. Nos élus manipulent l’opinion publique au nom de la sécurité. Les médias sont les seuls à pouvoir défendre le principe de vie privée dans notre société. C’est votre devoir de dénoncer tous les cas d’abus, et pas seulement lorsque vous avez un journaliste qui est touché.

— Éric Hébert

Une juge en mauvaise posture

La juge de paix Josée de Carufel doit faire l’objet d’une sérieuse réprimande par le Conseil de la magistrature. Jamais un tel mandat n’aurait dû être accordé.

— David Pelletier, Montréal

La paranoïa du SPVM

Les actions du SPVM dans ce dossier sont très préoccupantes. Le contrôle de ses agents est plus important que la liberté de la presse. Cette situation nous informe sur la culture interne du SPVM et ça, c’est grave. Après les sensibilités politiques à la SQ, voici la paranoïa au SPVM. Les juges de paix qui ont accordé ces mandats doivent rendre des comptes, de même que la direction du SPVM.

— André Gagné, Montréal

Comme dans 1984 ?

Je trouve cela aberrant. On s’en va vers un État policier. Je comprends que nous devons nous protéger devant la menace terroriste ou le crime organisé, mais on n’est pas dans le roman 1984 !

— Gilles Morin

Prétentieux journalistes

Les journalistes ont toujours eu tendance à dévaloriser la profession policière. Ils se voient comme de grands intellectuels qui savent manier les mots, alors que les policiers sont à leurs yeux surtout des bras. Leur agacement particulier dans cette affaire le démontre une fois de plus.

— Yves Campagna

Je suis inquiet

Ça y est ! Nous sommes devenus une république soviétique à l’ère du KGB ! Et après, ce sera quoi ? L’arrestation de journalistes ou de blogueurs pour propos jugés subversifs contre la police ou les politiciens ? Qui sera le prochain à être espionné ? Vous ? Moi ? Je suis inquiet.

— Jean-François Dufresne

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