La santé par l’art

On dirait un jeu : à tour de rôle, une quinzaine d’adultes assis en cercle créent un mouvement que les autres s’empressent d’imiter. Les échanges gestuels, rythmés par une sympathique chanson du groupe Pink Martini, se font dans une légèreté ponctuée d’éclats de rire. Certains ont pourtant du mal à suivre : ils sont plus lents, moins précis et parfois pris de tremblements.

C’est que les femmes et les hommes rassemblés en cet après-midi de novembre dans une salle du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) participent à un atelier dirigé par la danse-thérapeute Zuzana Sevickova. « Ce n’est pas vraiment de la danse, c’est plus des mouvements improvisés », nuance François Coulombe qui, comme plusieurs autres participants, vit avec la maladie de Parkinson.

Avec sa conjointe Catherine Dostaler, qui est aussi son accompagnante, François Coulombe cherchait une activité à faire en duo. « On se disait qu’il fallait qu’on trouve une activité à faire ensemble qui soit le fun, pas juste thérapeutique au sens médical », explique cette dernière. En plus de bienfaits sur le plan physique, l’homme de 60 ans estime en tirer profit sur le plan psychologique : ces ateliers lui permettent un contact avec d’autres personnes atteintes, « d’aller vers l’autre », dans un contexte ludique.

« Il y a des moments où je propose des mouvements spécifiques qui sont liés à leur affection, indique Zuzana Sevickova, qui travaille avec l’organisme Parkinson en mouvement, promoteur de ces activités. Je souhaite qu’ils puissent élargir leur palette de mouvements, qu’ils gagnent en amplitude et en expressivité. »

Un musée engagé

Ce n’est pas un hasard si l’activité se déroule au MBAM. L’établissement de la rue Sherbrooke croit tellement aux vertus de l’art qu’il a embauché un art-thérapeute à temps plein, Stephen Légari, qui planifie et coordonne les divers programmes mis en place à l’interne ou avec des partenaires externes. À l’automne, le MBAM a annoncé un partenariat avec Médecins francophones du Canada, en vertu duquel les patients des médecins membres pourront se voir prescrire, en plus d’un traitement traditionnel, une visite gratuite au musée avec leurs proches.

Le musée a par ailleurs été l’hôte, en novembre, d’un symposium consacré à l’art-thérapie organisé par l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui a dévoilé des recherches soulignant les bienfaits de cette approche.

Combiner observation d’œuvre, discussion et création artistique s’est entre autres révélé très positif pour des personnes traitées pour des troubles alimentaires. « On ne va pas guérir le trouble alimentaire par l’exposition à l’art », précise toutefois d’emblée Howard Steiger, chef de programme, troubles alimentaires, à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. L’art-thérapie est, de son point de vue, un ajout au traitement. Un ajout prometteur.

« Ce trouble a souvent à voir avec un manque de contact avec soi, avec son vécu émotionnel, avec une difficulté à exprimer son ressenti. L’art est une bonne porte d’entrée, juge-t-il. L’objectif est d’offrir [aux patientes] la possibilité d’utiliser l’art pour explorer les émotions de manière moins verbale, moins intellectuelle, et l’opportunité de sortir du milieu hospitalier. » Même les patientes d’ordinaire peu attirées par les arts ont apprécié ces visites.

Miser sur les forces

Patricia Garel, psychiatre au CHU Sainte-Justine, juge l’art-thérapie « très utile », mais n’a pas intégré d’art-thérapeute dans son projet Espace Transition, qui favorise la réinsertion d’adolescents suivis en santé mentale. Les jeunes à qui le programme est offert sont déjà passés par un traitement et sont stables. « Ils ne veulent plus de thérapie, ils veulent retrouver une vie normale », dit-elle. Une approche par l’entremise de l’art leur semble moins formelle.

Ses groupes de jeunes travaillent donc avec des artistes qui enseignent par exemple les bases du jeu, des percussions ou de la jonglerie. « Ces jeunes ont perdu confiance en eux, ils ne savent plus comment agir auprès des amis, ils ne savent plus qui ils sont, expose la psychiatre. On les remet dans un contexte où ils peuvent être eux-mêmes et on s’appuie sur leur talent. »

« L’art-thérapie envisage la personne comme un tout. On mise sur ce que les gens peuvent faire, pas ce en quoi ils sont diminués. »

— Zuzana Sevickova, danse-thérapeute

Espace Transition a une particularité : ce projet mêle des jeunes qui ont un diagnostic en santé mentale et d’autres qui n’en ont pas. Les artistes-enseignants ne savent pas qui est malade et qui ne l’est pas. Ce qui n’est pas anodin : le regard neutre qu’ils posent sur le groupe contribue à redonner confiance aux ados qui ont un diagnostic et qui sont souvent surprotégés par leurs parents ou leurs intervenants. « Au début, je me retenais pour ne pas intervenir », avoue Patricia Garel.

Porteur et riche

L’impact des ateliers d’art sur le bien-être général des jeunes est indéniable, selon la psychiatre. « On observe une meilleure acceptation d’eux-mêmes, une meilleure observance du traitement, un changement de regard de la part des intervenants qui les suivent et de leurs parents, énumère-t-elle. On a vu des patients qui débloquaient dans ce contexte-là, alors qu’ils étaient dans une impasse au niveau de la thérapie. »

Ce qui se dégage des projets présentés au symposium tenu au MBAM et des ateliers de Parkinson en mouvement présentés au musée, c’est que même lorsque l’art-thérapie n’est pas envisagée comme un outil curatif, l’intégration d’activités artistiques dans un traitement médical rigoureux a des répercussions positives sur les patients. Patricia Garel juge même que c’est « incroyablement porteur et riche ». Howard Steiger, de l’Institut Douglas, trouve aussi cette approche enrichissante. « Je crois beaucoup à la multidisciplinarité », ajoute-t-il.

Quant à François Coulombe et à Catherine Dostaler, ils sont satisfaits de l’expérience vécue l’automne dernier au MBAM, mais ils ne savent pas encore s’ils y retourneront. Le couple va peut-être opter pour des ateliers de danse. « Je pense que ce serait plus complet pour aider François à gérer ses capacités motrices », dit Catherine Dostaler. Et puis, pour eux, ce choix a une résonance intime : Catherine et François se sont rencontrés en faisant de la danse sociale…

Des éléments clés

Environnement sécuritaire

Tous les professionnels l’ont souligné : une activité thérapeutique intégrant l’art doit se faire dans un milieu sécuritaire où la parole, les forces et les limites de chacun sont respectées. « On doit être prudent tout le temps quand on présente des images corporelles à ces personnes, souligne aussi Howard Steiger, chef de service, troubles alimentaires, à l’Institut en santé mentale Douglas. Il faut le faire dans un environnement contrôlé. »

Estime de soi

Patricia Garel, psychiatre au CHU Sainte-Justine, a lancé un projet misant sur les arts de la scène qui a un impact positif sur les ados suivis en santé mentale. « Eux-mêmes se voient et se sentent différents à la fin, sur scène, dit-elle. Et les parents voient aussi leur enfant différemment : ils ne voient plus l’enfant avec qui c’est difficile ou qui est en situation d’échec, mais un jeune qui a trouvé sa place dans un groupe, qui a fait un solo devant tout le monde. »

Sentiment d’appartenance

Des personnes marginalisées, aux prises avec différents problèmes, dont des troubles psychiatriques ou la toxicomanie, ont notamment fréquenté des ateliers de musique dans des refuges pour sans-abri. Mona Trudel, de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM, a souligné que plusieurs d’entre eux bénéficiaient beaucoup de leur appartenance à un band, d’avoir un projet collectif.

Libérer l’esprit

Sortir du cadre médical est souvent perçu positivement par les participants, comme s’ils se sentaient en vacances de leur traitement. Dans un environnement axé sur la création, le sujet, ce n’est plus les problèmes de santé ou d’itinérance, mais l’art ou le projet artistique. Cette mise à distance de la souffrance ou du traitement médical a aussi un impact positif sur la qualité de vie des participants.

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