OPINION

IMMIGRATION Une violation du droit international

Le Canada doit cesser de refuser de prodiguer des soins de santé aux migrants en situation d’irrégularité

Les migrants qui vivent au Canada sans autorisation légale devraient-ils avoir droit aux soins de santé ?

Selon une décision rendue par le Comité des droits de l’homme des Nations unies en août dernier, la réponse est sans équivoque : oui, surtout si l’absence de tels soins menace la vie des migrants. Malheureusement, le gouvernement du Canada n’a pas encore agi à cet égard.

À l’heure actuelle, les personnes vivant en situation d’irrégularité au Canada ne bénéficient généralement d’aucun avantage en matière de soins de santé et doivent les payer de leur poche, ainsi que les urgences, ou faire appel aux soins de bienfaisance. Il est temps d’apporter des changements à cette situation.

Ces migrants, souvent qualifiés à tort d’« illégaux », forment en réalité un groupe diversifié dont la situation de vie est généralement beaucoup plus nuancée que ce que le terme véhicule.

La plupart des migrants en situation irrégulière au Canada ont eu à un moment donné la permission d’être ici, puis l’ont perdu après un certain temps.

Plusieurs personnes sont venues comme travailleurs temporaires et ont perdu leur autorisation en cherchant à échapper à des employeurs exploiteurs. D’autres ont été licenciées après s’être blessées, être tombées malades ou enceintes, à titre d’exemple.

Le terme « illégal » ne tient pas compte non plus du fait que nombre de ces migrants ont tenté de régulariser leur statut, mais en ont été empêchés par un processus long, ardu, coûteux, et ayant peu de chances de réussite.

LE CAS NELL TOUSSAINT

C’est le cas de Nell Toussaint, qui a déjà été du lot de ces migrants en situation irrégulière. Elle est arrivée en visite au Canada en 1999, de la Grenade, et elle est restée au-delà de l’expiration de son visa après s’être trouvé un emploi. Pendant près d’une décennie, elle a travaillé et contribué au système de taxation et de sécurité sociale du Canada par des retenues à la source. Elle a entrepris à deux reprises les démarches d’obtention du statut de résidente permanente pour des raisons humanitaires et de compassion. Les deux fois, ses efforts ont échoué, en partie parce qu’elle ne pouvait défrayer les coûts de la demande.

Pendant que Mme Toussaint essayait de régulariser son statut, sa santé s’est détériorée. Comme la plupart des migrants en situation d’irrégularité au Canada, elle n’était ni admissible à l’assurance maladie publique ni capable de se payer des services de santé privés. Elle a donc dû se tourner vers les soins d’urgence et les soins de bienfaisance, ce qui n’a pas permis de freiner l’évolution de sa maladie.

Au début de 2009, sa vie était en danger. Heureusement, en 2013, Mme Toussaint a obtenu sa résidence permanente au Canada, ce qui lui a permis de se prévaloir des soins de santé offerts par la province. Depuis, sa santé s’est stabilisée.

Dans ce contexte, Mme Toussaint a déposé une plainte contre le Canada devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, alléguant que son droit à la vie et à l’égalité, en vertu du droit international, avait été violé quand on l’avait privée de soins publics de santé. Le Comité a penché du côté de la plaignante. Dans une décision rendue l’été dernier, le Comité a demandé au Canada de garantir aux migrants en situation d’irrégularité l’accès à des soins de santé essentiels.

Il a justifié cette position afin d’éviter de possibles violations de droits tout en protégeant ces personnes contre des risques de mort raisonnablement prévisibles. Enfin, le Comité a demandé au Canada de faire rapport avant février 2019 afin de l’informer des mesures de réforme mises en œuvre.

Reconnu depuis longtemps comme défenseur des droits de la personne et du droit international, le Canada a tout intérêt à se conformer à la décision du Comité des droits de l’homme.

Des études montrent que le fait d’étendre les soins de santé essentiels aux migrants en situation irrégulière peut contribuer à réduire les dépenses publiques dans certains cas. Des recherches menées aux États-Unis révèlent que, lorsque les femmes migrantes en situation irrégulière bénéficient de soins prénataux financés par des fonds publics, leur risque d’avoir des problèmes de grossesse diminue. En retour, cela réduit les coûts des soins postnataux et du traitement des nourrissons nés aux États-Unis. De même, lorsque des migrants atteints d’insuffisance rénale au stade terminal ne reçoivent qu’une dialyse d’urgence, le coût de leur traitement s’avère beaucoup plus élevé que s’ils étaient placés en dialyse d’entretien.

La décision du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Toussaint ne signifie pas que le Canada doit fournir des soins de santé aux personnes qui entrent dans le pays dans le seul but d’avoir accès à ces soins. Cette décision met cependant en évidence que le fait de refuser des soins de santé et de mettre en danger la vie d’une personne qui vivait et travaillait au Canada depuis près de 10 ans contrevient aux engagements internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada adhère.

Aujourd’hui, les Pays-Bas, la Belgique, la France, la Suisse, le Portugal et bientôt l’Espagne accordent à peu près la même couverture en matière de soins de santé aux migrants en situation irrégulière qu’à leurs citoyens respectifs. Et rien n’indique que le « tourisme de santé » est devenu un fléau dans ces pays.

La plupart des migrants en situation irrégulière, comme Nell Toussaint, sont des membres actifs de la société. Depuis trop longtemps, nous tolérons leur exclusion des soins de santé. Il est temps d’apporter les correctifs qui s’imposent.

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