ANALYSE

Les volte-face de la CAQ

QUÉBEC — La garde rapprochée de François Legault préfère parler d’ajustements, mais pour tout le monde, il s’agit de virages, de volte-face, engagés avec plus ou moins de doigté. La démonstration était quasi pathétique, hier matin : le ministre de l’Agriculture André Lamontagne donnait une conférence de presse pour faire savoir que le Protecteur du citoyen allait se pencher sur le congédiement de l’agronome Louis Robert.

La semaine dernière, le licenciement du professionnel qui avait transmis des informations confidentielles à des journalistes avait obscurci le ciel au-dessus du caucus pré-sessionnel de la Coalition avenir Québec dans l’Outaouais. Sans détour, le ministre Lamontagne avait pris la responsabilité du geste de son ministère. « La décision qui a été prise par le ministère […] est une décision que j’ai personnellement autorisée à la lumière des informations que j’ai recueillies […]. C’est une décision que j’ai jugé importante à prendre », avait alors lancé le ministre.

C’était la retraite dans le désordre, hier. Le même ministre soulignait « avoir fait une erreur en prenant sur [ses] épaules le poids de cette décision qui est en réalité administrative ». « Je me suis mal exprimé, je n’ai ni congédié ni autorisé le congédiement de M. Robert. » En fait, une lecture attentive de la lettre de congédiement de l’agronome, le 24 janvier dernier, laisse entendre que son comportement « inapproprié » avait déjà été souligné en mai 2018 ; on rappelait qu’il n’avait pas observé son devoir de « loyauté », mais aussi de « civilité ». Au « 200 », le siège social du ministère de l’Agriculture, on chuchote que M. Robert s’était aussi, et peut-être surtout, royalement engueulé avec ses supérieurs. Les allégations de l’agronome avait été prises au sérieux. Après vérifications, ses patrons avaient voulu le rassurer, mais lui n’avait jamais voulu les croire. L’ambiance était pour le moins tendue.

Le faux pas de M. Lamontagne, la semaine dernière, avait été occulté par un virage plus spectaculaire encore. En quelques heures, François Legault a soutenu d’abord qu’il n’y avait pas d’islamophobie au Québec, puis le lendemain que certains individus étaient manifestement islamophobes. Il faut dire que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, avait ouvert la trappe à ours en n’écartant pas sur-le-champ l’idée d’une journée contre l’islamophobie au Québec.

Petit effet de toge, au caucus, M. Legault était trop heureux de laisser tomber par la suite : « On y a pensé, et il n’y en aura pas ! » Le lendemain, son bureau diffusait une déclaration soulignant qu’il « existe de l’islamophobie, de la xénophobie, du racisme, de la haine, mais pas de courant islamophobe. M. Legault voulait dire qu’il n’y a pas de courant islamophobe au Québec ». Mais la bévue aura surtout capté l’attention et relégué au rancart une annonce très importante du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant : l’embauche de 800 professionnels, en deux ans, pour dépister les problèmes d’apprentissage chez les enfants d’âge préscolaire. 

Arrivé au poste qu’il convoitait depuis 20 ans, François Legault est encore euphorique ; il vit sur un nuage depuis les élections du 1er octobre. Conséquence : il baisse souvent la garde devant la presse.

D’autres virages ont été moins évidents, mais sont tout aussi importants. La titulaire de la Santé, Danielle McCann, avait bloqué le dossier de la construction d’un hôpital pour la région de Vaudreuil-Soulanges. Après des semaines de doutes, après les craintes des élus municipaux, elle se ravisait la semaine dernière. « Notre volonté dans ce dossier a toujours été de mener le projet à terme, sans délai additionnel. » En campagne électorale, François Legault avait alors promis l’hôpital pour 2022 ; on vise désormais 2026.

D’autres « ajustements » ? M. Legault promettait de ramener de 400 000 $ à 320 000 $ par année le salaire moyen des médecins spécialistes. Un milliard pouvait être récupéré dans cette enveloppe. Plus personne ne parle de cela à Québec ; on sait que les gains seront bien moindres que les chiffres lancés en campagne électorale. Les maternelles 4 ans ? On sera de toute évidence en dessous des cibles, pour les premières années à tout le moins.

Les prochaines victimes sont prévisibles ; il s’avérera impossible qu’on puisse entreprendre les travaux pour le fameux « troisième lien » à Québec dans l’actuel mandat du gouvernement. Le prolongement promis du Réseau express métropolitain sur la Rive-Sud et dans l’est de Montréal a été remis entre les mains de la Caisse de dépôt qui, dès le début, n’était guère enthousiaste.

Même à l’interne, on a dû reporter les changements prévus. Un vaste remaniement de sous-ministres était attendu aux Fêtes. Il est remis à plus tard ; on a constaté que ce n’était probablement pas une bonne idée de mettre de nouveaux mandarins dans des postes où le ministre est aussi un néophyte.

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