Chronique

Fausse bonne idée

Hier, sur les réseaux sociaux, le maire Coderre a demandé aux internautes ce qu’ils pensaient du port obligatoire du casque à vélo. En ajoutant le mot-clic #OnJaseLà.

Les réponses allaient dans tous les sens, du « POUR ! ! ! ! », du « absolument contre », des vacheries contre les cyclistes, des reproches contre les automobilistes, des montées de lait contre le « gouvernemaman »…

Dur à suivre. Mais pas autant que l’ancien cycliste Louis Garneau.

L’homme est aujourd’hui « conseiller spécial » du ministre Robert Poëti pour la révision du Code de la sécurité routière, là où se pose la question du casque. Et il est aussi président de l’entreprise qui porte son nom et qui… vend des casques.

Le conflit d’intérêts est flagrant. Le « conseiller » ne peut avantager le « président ». Louis Garneau ne peut faire pencher une décision qui permettrait à Louis Garneau inc. de vendre plus de casques.

J’ai tenté de joindre le principal intéressé sans succès, hier, mais je sais qu’il est le premier à le reconnaître. Le premier à dire qu’il doit être prudent, qu’il ne peut profiter de l’oreille du ministre pour se prononcer sur un enjeu dont il pourrait tirer parti.

Et pourtant, c’est très précisément ce qu’il a fait, hier. Il est rentré dans ce dossier à fond de train, la tête baissée comme un cycliste en contre-la-montre…

« Je suis pour [l’obligation du port du casque] à 100 %, a-t-il dit au Journal de Montréal. Je serais en faveur d’une loi même si je suis en conflit d’intérêts. Faire du vélo sans casque, pour moi, ce n’est pas sécuritaire, à la limite d’être criminel… »

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Ayoye. Y a-t-il eu hécatombe au cours des derniers mois pour que Louis Garneau sorte ainsi de sa réserve ? Pour qu’il utilise un tel langage ?

Non. Il y a eu l’accident d’Isabelle Richer, tragique, qui montre l’importance de porter un casque. Mais rien qui justifie qu’on en fasse une obligation absolue, pour tous, partout au Québec. Surtout que ma consœur roulait sur le bord d’une route en zone rurale, là où il est rare de voir des cyclistes sans casque.

C’est en ville qu’on retrouve bon nombre de cyclistes la tête nue. C’est en ville que les vélos sont nombreux. C’est donc en ville que la question se pose véritablement. Et il n’y a eu là aucune hécatombe, pas même un mort cette année.

Au contraire : on constate qu’il y a de plus en plus de gens à vélo et à BIXI, sans qu’il y ait d’augmentation du nombre de blessés ou de morts. Il y a eu 624 accidents impliquant un cycliste en 2014, alors qu’on en dénombre 700 bon an, mal an.

Mieux, 2014 est au deuxième rang des meilleures années depuis 2008. En termes de blessés graves. Et en termes de blessés légers. Quant aux morts, on en a compté deux. Un plancher historique.

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Mais bon, il semble que dans ce dossier, rien ne tienne. Au diable l’éthique, les chiffres, les études, les démonstrations sans cesse répétées…

C’est la quatrième fois en 20 ans, curieusement, que le gouvernement revient à la charge.

Chaque fois avec les mêmes arguments… chaque fois battus par les mêmes contre-arguments.

Le fait, par exemple, que l’obligation de porter le casque est inapplicable. Parce qu’on ne va quand même pas donner des contraventions aux enfants. Et parce que la police n’a pas les effectifs nécessaires pour s’occuper de ce genre d’infractions, sinon en négligeant des choses plus importantes.

Le fait, aussi, qu’il y aura une baisse de la popularité du vélo le jour où on imposera un tel règlement. Certaines études ont beau être contradictoires à cet effet, cela a été vérifié dans bien des villes. Et je vois mal comment le BIXI pourrait survivre à une telle contrainte. Même chose pour l’objectif de réduction des gaz à effet de serre de la province.

Comme la popularité du vélo, le port du casque n’a cessé de progresser depuis 15 ans, par la seule force de la sensibilisation. On peut pousser plus fort si on veut protéger ceux qui font du vélo, tout en en continuant d’en favoriser la pratique. On peut mieux aménager la ville. Et on peut réprimer plus sévèrement les véritables comportements dangereux des cyclistes… plutôt que de leur mettre des bâtons dans les roues.

APÔTRE DE LA PÉDALE

Vous avez été nombreux à réagir à mon top 10 des aberrations cyclistes, publié samedi dernier. Certains pour ajouter leurs propres aberrations, d’autres pour me qualifier d’« apôtre de la pédale » ou pour dénoncer ce « reportage d’enfant qui n’a pas eu sa suce quand il était jeune »… La critique la plus fréquente : les cyclistes ne payent pas leurs pistes, tandis que les automobilistes doivent payer leurs routes. Je préciserais une chose : la plupart des cyclistes payent leur permis de conduire, leurs taxes et leurs impôts… lesquels financent aussi le réseau routier.

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