Preet Bharara

L’homme qui fait trembler les élus de New York

NEW YORK — Avant l’annonce des peines qui seront infligées à son fils et à son mari, Gail Skelos se lève et se dirige vers la sortie de la salle d’audience, s’arrêtant une fraction de seconde à la hauteur de Preet Bharara, assis dans la dernière rangée, tête baissée.

« Va-t’en au diable ! », lui lance-t-elle sur un ton rageur avant de pousser la porte.

Vêtu d’un complet sobre, le procureur fédéral du district sud de New York ne bronche pas. Quelques minutes plus tard, la juge Kimba Wood lui donnera gain de cause en condamnant l’ancien chef de la majorité républicaine au Sénat de l’État de New York, Dean Skelos, à cinq ans de prison ferme pour corruption (son fils, Adam, écopera de six ans et demi).

C’était jeudi dernier. Preet Bharara, 47 ans, venait de remporter une autre victoire retentissante dans sa lutte contre la corruption politique à New York. Dix jours plus tôt, une autre de ses cibles – Sheldon Silver, ex-président démocrate de l’Assemblée (chambre basse) de l’État – s’était vu infliger 12 ans de prison ferme.

LES TROIS HOMMES DANS UNE PIÈCE

Né en Inde, diplômé des universités Harvard et Columbia, et doté d’un penchant pour la publicité, Bharara peut aujourd’hui se vanter d’avoir envoyé derrière les barreaux deux des « trois hommes dans une pièce ». L’expression fait référence au trio d’élus new-yorkais – le gouverneur, le président de l’Assemblée et le chef de la majorité au Sénat – qui a longtemps décidé en secret des destinées de l’État.

Ainsi, seul le gouverneur démocrate Andrew Cuomo exerce encore ses fonctions parmi les « trois hommes » qui se trouvaient au faîte du pouvoir politique à Albany, capitale de l’État de New York, au début de l’année dernière. Mais Preet Bharara l’a à l’œil.

« Les condamnations quasi simultanées de Sheldon Silver et Dean Skelos, dont les crimes de corruption ont été mis à nu dans des procès justes et publics, sont sans précédent. […] Ces affaires montrent, et l’histoire l’enseigne, que les enquêtes de corruption les plus efficaces sont celles qui sont vraiment indépendantes et à l’abri d’ingérence ou de conclusion prématurée », a déclaré le procureur fédéral dans un communiqué après les condamnations des Skelos.

La dernière phrase de Bharara était une allusion à peine voilée à la décision controversée du gouverneur Cuomo de mettre fin de façon abrupte, en avril 2014, à une commission instituée neuf mois plus tôt pour faire la lumière sur la corruption endémique à Albany. Aussi furieux que suspicieux, le procureur fédéral avait aussitôt lancé une enquête pour déterminer si l’administration Cuomo avait enfreint la loi en ne permettant pas à la commission de conclure ses travaux.

Au début de l’année, Bharara a annoncé qu’il ne porterait pas d’accusation dans ce dossier, « faute de preuves suffisantes ». Mais les travaux de la commission d’enquête sur la corruption à Albany l’avaient déjà aidé à monter les dossiers d'accusation contre le président de l’Assemblée et le chef de la majorité au Sénat.

Le premier a été reconnu coupable d’avoir empoché plus de 4 millions de dollars de pots-de-vin et de commissions occultes. L’autre a été jugé coupable d’avoir utilisé son poste pour obtenir de trois entreprises plus de 300 000 $ de pots-de-vin et de paiements indus dont son fils était le bénéficiaire.

Et Preet Bharara a ouvert récemment une nouvelle enquête sur deux proches du gouverneur.

« PERSONNE N’EST AU-DESSUS DE LA LOI »

Mais le procureur fédéral ne s’intéresse pas qu’aux politiciens corrompus. Nommé à son poste en 2009 par Barack Obama, il mène aussi la vie dure aux fraudeurs de Wall Street. Il a notamment épinglé le milliardaire Raj Rajaratnam, fondateur du fonds spéculatif Galleon, qui a été condamné à 11 ans de prison pour délit d’initié. Et son combat juridique contre une autre vedette de Wall Street, le milliardaire Steve Cohen, a inspiré les créateurs de la télésérie Billions, présentée à Showtime.

Les gangs de rue sont aussi dans sa ligne de mire. À la fin du mois de mars, Bharara a annoncé l’inculpation de 120 membres de deux gangs du Bronx après le plus important coup de filet de l’histoire de New York contre ce type d’organisation criminelle.

Sa feuille de route lui permettra-t-elle de suivre l’exemple de certains procureurs fédéraux de New York et des environs, dont Rudolph Giuliani et Chris Christie, qui se sont lancés en politique après avoir joué les justiciers ? La question reste ouverte.

En attendant, le gouverneur Cuomo n’est pas le seul élu de New York à continuer à s’inquiéter des investigations de Preet Bharara. Le mois dernier, ce dernier a lancé une enquête sur le financement de la campagne électorale qui a mené Bill de Blasio à la mairie de New York.

« Personne n’est au-dessus de la loi », a-t-il déclaré récemment lors d’un discours devant une association de journalistes.

Au moins deux des « trois hommes dans une pièce » en savent quelque chose.

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