OPINION JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES

Sortir de la culture du viol

Entre tous les sujets qui attirent l’attention en ce 8 mars, je retiens celui qui aura fait couler le plus d’encre ces dernières années : les efforts inlassables des femmes pour dénoncer ce qu’on appelle la culture du viol.

Certains trouvent ces mots exagérés, comme l’ont démontré plusieurs chroniques, notamment dans ces pages. L’une des raisons de cette hésitation tient sans doute au fait qu’on n’explique pas assez ce que veut dire l’expression « culture du viol ». Or entendons-nous sur une chose : elle ne signifie pas que tous les hommes sont des agresseurs potentiels. J’espère qu’on peut prendre un peu de hauteur et réfléchir plutôt à la partie « culture » de l’expression, c’est-à-dire à ce qui permet aux agresseurs de passer à l’acte sans trop de conséquences.

Socialisées pour satisfaire

La culture, cet ensemble de codes, de signes, de comportements issus de la socialisation des hommes et des femmes, ainsi que le poids des traditions favorisent une vision des choses.

Dans notre monde, cette vision assigne aux femmes un rôle social traditionnel de pourvoyeuse de soins, de services, de plaisir. Ce modèle, plus ou moins semblable dans toutes les sociétés, a créé les inégalités desquelles on essaie de sortir – ce qui a donné naissance au féminisme.

Grosso modo, ce rôle donne aux femmes la responsabilité de plaire (être gentille, jeune, belle, disponible, excitante), de satisfaire.

Pourtant, elles souhaitent passer à autre chose, et depuis longtemps. Mais la pression à la sexualité, autres mots pour dire la culture du viol, pèse de toute sa force sur leur liberté d’agir. Par exemple, et comme le confirment chaque jour les scandales sexuels (je n’énumère pas, ils prendraient trop de place…), elles portent encore le fardeau de la preuve en cas d’agression ou de harcèlement. Et elles le savent tellement qu’elles ne portent pas plainte spontanément, et qu’elles se demandent même parfois si elles ont « vraiment » été agressées.

La culture populaire (publicité, médias, réseaux sociaux, cinéma, musique, etc.) tout comme le poids des habitudes et de la hiérarchie (familles, systèmes du travail, des lieux académiques, du sport, de la politique, etc.) renforcent souvent ce rôle. C’est cela, la culture qui agit : elle enjoint aux femmes, par la socialisation ou par la force, de se rendre disponibles en tant qu’objets de plaisir et de satisfaction.

L’intimidation par le sexe

Celles qui veulent changer les règles de ce système archaïque ne suivent pas la logique du « satisfaire ». Et en cela, elles font trembler les murs de la maison patriarcale. Voilà pourquoi certains sortent les griffes, comme l’illustrent la quantité de messages haineux que reçoivent les femmes qui écrivent et publient féministe. Que ce soit sur les ondes, par lettre, dans les journaux ou les réseaux sociaux, il s’agit toujours des mêmes coups portés : on sexualise les attaques, l’intimidation, les menaces. Les femmes qui écrivent vivent cela depuis le Moyen Âge. Usant d’un droit de cuissage même à l’ère numérique, ceux qui les attaquent humilient les femmes savantes parce qu’ils ont peur que la maison s’effondre sur eux.

Pour garder leur liberté de parole, nombreuses sont celles qui ont appris à prendre des détours, à choisir leurs mots pour ne pas prêter flanc aux attaques. Plusieurs se retirent momentanément ou abdiquent devant l’ampleur de la tâche.

Or comme l’a dit la journaliste Lili Boisvert au micro de 24-60 à RDI la semaine dernière, cette culture de l’intimidation met en péril la liberté d’expression des femmes, sinon leur liberté tout court. Qui aurait cru que nous en serions là en 2017 ? Alors qu’on nous répète que l’égalité des sexes est chose faite ? Bien sûr que les hommes journalistes et chroniqueurs connaissent leur lot de reproches, mais ceux-ci ne sont jamais formulés autour de leur corps, de leur sexualité, de leur apparence. C’est l’un des visages de la culture du viol : la sexualité des femmes est à la disposition de la société, qui en fait ce qu’elle veut.

C’est pourquoi il est nécessaire de penser « collectif » :  un peu comme les politiciennes quand elles sont déterminées à passer une loi en faveur de toutes les femmes, loi qui va au-delà des intérêts partisans. Comme l’ont fait aussi les militantes, les auteures, les activistes, à travers l’histoire des femmes.

Regrouper les forces, voilà l’une des solutions pour décourager la culture du viol. Commençons par soutenir toutes les femmes qui affrontent chaque jour cette culture hostile, obstacle majeur à l’égalité des sexes.

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