ANALYSE

Cacophonie à la CAQ

Québec — Cette semaine, elle donnait des entrevues jovialistes, croyant que les médecins céderaient volontiers leur prérogative d’établir des diagnostics pour faire plus de place aux infirmières praticiennes spécialisées. La ministre de la Santé, Danielle McCann, avait péché par optimisme en ouvrant cette semaine un nouveau front pour un gouvernement qui est déjà passablement éparpillé.

Mais à la différence de plusieurs de ses collègues, la ministre de la Santé bénéficie d’un appui très net dans la population qui souhaite que le gouvernement remette à sa place le cartel des médecins. La sortie de Mme McCann cette semaine était un affrontement supplémentaire pour un gouvernement qui les multiplie, dans une cacophonie où chacun joue sa partition. Immigration, taxe scolaire, maternelles 4 ans, places en CPE, registre des armes à feu, autant de marmites sur le feu. C’est sans compter le débat sur la laïcité qui se dessine pour les prochaines semaines et la partie de bras de fer, suspendue pour le moment, avec les médecins spécialistes.

Une impression de désordre. C’est ce qui se dégage de l’activité du gouvernement Legault depuis la reprise des travaux à l’Assemblée nationale. 

Déjà dans les groupes de discussion, avant les élections, François Legault apparaissait comme « brouillon ». Ce ne sont certainement pas les derniers jours qui auront dissipé cette perception.

Au centre de la confusion, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, que François Legault a choisi comme l’homme-orchestre de son gouvernement. L’intention de passer par-dessus bord 18 000 dossiers de ressortissants en attente d’un certificat de sélection du Québec aura été le déclencheur d’une controverse que le ministre n’avait de toute évidence pas prévue. Pas moins de 3500 de ces dossiers sont pour des gens qui se trouvent déjà au Québec. Et le programme Arrima, que l’on propose comme une voie d’évitement, ne peut suffire à la tâche.

Au problème administratif s’ajoutent des couacs parlementaires. Le chef de cabinet du leader parlementaire Jolin-Barrette n’a guère d’expérience, tandis que ses interlocuteurs libéraux ont vu neiger. Le ministre, qui croyait faire avancer son projet rapidement à travers les étapes parlementaires, en sera quitte pour une cruelle déconvenue. Il avait annoncé son intention de faire adopter le projet de loi 9 avant l’été ; les partis de l’opposition ont pris cet ultimatum comme un défi. Même chose pour le projet de loi qui vise à faire passer de 18 à 21 ans l’âge légal pour acheter du cannabis. Dans les deux cas, la mécanique des consultations est enrayée – la journée de travail de bien des députés se termine tôt.

Même chez les stratèges du gouvernement, on n’a pas beaucoup apprécié que le ministre Jolin-Barrette procède aussi vite avec son projet de loi sur l’immigration ; les fils n’étaient pas tous attachés. Attaqué en Cour, le gouvernement est vulnérable. À sa décharge, il faut souligner que c’est François Legault qui tenait à ce qu’on procède au pas de charge sur le terrain miné de l’immigration et de la laïcité. Il veut que son administration soit associée à l’économie avant tout et souhaite que ces dossiers controversés soient rapidement mis derrière lui. L’obsession de l’économie est à l’horizon, mais pour l’instant, l’action de son gouvernement est illisible.

Et c’est sans compter les gaffes ordinaires, les faux pas, les déclarations malheureuses, habituelles en politique. La ministre Isabelle Charest qui dit être désolée pour les commotions cérébrales de son critique libéral, Enrico Ciccone – l’ancien « goon » au hockey qui a eu plus que sa part de coups. À la Coalition avenir Québec (CAQ), on a passé le mot pour qu’on évite les attaques personnelles à l’avenir. Le ministre André Lamontagne qui parle des « ayatollahs » de l’environnement, une deuxième prise après s’être emberlificoté dans ses explications successives sur le licenciement d’un de ses agronomes. 

L’exemple vient de haut : François Legault avait parlé du « pétrole sale » de l’Ouest. Rien pour calmer l’Alberta qui a bien le goût de débattre des paiements de péréquation au Québec.

Sur un autre front, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, et son collègue à la Famille, Mathieu Lacombe, multiplient les annonces. On ouvre des places en maternelles 4 ans et, pour calmer les garderies, on annonce des places en CPE. Ces deux réseaux, en compétition pour les tout-petits, sont paralysés par les interventions incessantes des nombreux groupes de pression, les associations de toutes sortes représentant les employés, les parents, les propriétaires. Sur la stratégie gouvernementale, on peine à percevoir les objectifs ; la stratégie paraît chaotique, et le gouvernement ne semble pas avoir d’évaluation précise sur les besoins. Une chose est admise pour l’heure, la facture sera trois fois plus importante que prévu.

Même surprise pour la note de l’opération sur les taxes scolaires. On frôlera le milliard de dollars ; on n’avait pas tenu compte de l’inflation, confie-t-on, avec une pointe d’embarras. Tout n’est pas à la dérive, il faut le constater. Eric Girard, aux Finances, et Pierre Fitzgibbon, à l’Économie, se montrent à la hauteur, tout comme le Dr Lionel Carmant sur son projet de loi, sur l’âge légal du cannabis, un passage délicat.

Pour l’heure, le gouvernement semble naviguer à vue, avec le programme électoral de la CAQ comme seule carte maritime. Il franchit les récifs comme s’il avait une « to-do list », une série de choses à réaliser de manière urgente. Or, un récent sondage relevé par Claire Durand, la spécialiste de l’Université de Montréal, révélait un constat incontournable : 55 % des Québécois qui ont voté pour la Coalition avenir Québec le 1er octobre voulaient, avant tout, sortir les libéraux du pouvoir. Pour eux, le programme de la CAQ n’est pas une religion.

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