Mon clin d’œil

« Est-ce qu’on peut s’occuper de créer l’identité numérique des Québécois ? »

— Desjardins

OPINION

MÉGAPROJET ROYALMOUNT
Consulter en construisant ?

Constatant l’absence d’acceptabilité sociale pour son mégaprojet Royalmount, le promoteur Carbonleo a annoncé en mai dernier une consultation des parties prenantes et des experts.

Après la tenue de rencontres privées au cours de l’été pour présenter l’évolution du mégaprojet, Carbonleo a tenu une première table ronde d’idéation à la fin d’août, puis a lancé une série de rencontres citoyennes au cours de l’automne.

Nous exprimons aujourd’hui notre vive préoccupation à l’égard de la démarche entreprise, qui détourne l’attention des véritables enjeux soulevés par le mégaprojet et qui devrait rapidement être réorientée.

Rappelons que le rapport du groupe de travail Namur-De la Savane, élaboré en collaboration avec le ministère des Transports et la Ville de Montréal, posait des conditions à l’acceptabilité du mégaprojet Royalmount, dont la signature d’une entente avec l’ensemble des parties prenantes.

Nous appelons le promoteur à tout mettre sur la table. Nous demandons également à l’agglomération de Montréal de ne pas précipiter une modification à son schéma pour permettre l’ajout d’un volet résidentiel au projet, et au gouvernement du Québec de se positionner dans le dossier.

OpÉration diversion

Les modifications au mégaprojet proposées par le promoteur ne sont pas sans mérite. La réduction prévue du nombre de cases de stationnement est salutaire et l’ajout d’espaces verts ne peut être que bénéfique.

Reste que l’épicentre du mégaprojet, un imposant centre commercial, n’est aucunement remis en question.

Peut-on débattre de sa forme et de son ampleur ? Peu probable ; la construction va de l’avant malgré la « consultation » en cours.

Carbonleo fait diversion pour éviter de réduire l’envergure démesurée de son mégaprojet comme tout Montréal le demande depuis un an. L’impopularité du mégaprojet étant évidente, il nous invite désormais à réfléchir à un hypothétique quartier résidentiel de 5000 à 7000 logements en marge du centre commercial qui ne se réaliserait que dans une deuxième phase. Cette improvisation caractérise toute la démarche du mégaprojet.

Pendant que Montréal investit massivement pour réaménager son hypercentre à l’échelle humaine, le promoteur s’abstient de remettre en question la vision globale de son mégaprojet, qui fragilisera l’écosystème culturel et commercial de la métropole et qui est loin d’être en accord avec les principes du développement et de la mobilité durables.

Une privatisation de la ville

Carbonleo reconnaît sans broncher que son mégaprojet ne serait jamais allé de l’avant tel quel si l’agglomération de Montréal avait eu le pouvoir de le bloquer. Si le modèle d’affaires du Royalmount s’appuie sur la construction d’infrastructures payées par les Québécois, on ne voit malheureusement toujours pas quels bénéfices ils en tireront.

Quelle est la plus-value de Royalmount ? À quels besoins répond-il ?

Le promoteur parle de la création d’un Midtown pour Montréal. Il suffit de se tourner vers le Midtown de Toronto, un quartier d’affaires véritablement connecté au centre-ville et aux autres quartiers limitrophes, pour constater qu’il n’a rien à voir avec le Royalmount. Ce projet s’apparente davantage au modèle qu’on voit éclore dans différentes villes américaines, qui équivaut à privatiser l’ensemble d’un secteur au profit d’un promoteur.

Peut-on réellement croire qu’il y a place à un changement sur l’essence du mégaprojet alors que les fondations sont en voie d’être coulées ?

Comment ce projet s’inscrit-il en cohérence avec le développement de la métropole au cours des prochaines années ?

Au vu de la « consultation » menée par Carbonleo, il apparaît inadmissible de laisser un promoteur planifier le développement du secteur.

Un nÉcessaire rappel À l’ordre

Rappelons que si ce mégaprojet va de l’avant dans sa forme actuelle, c’est parce que la Ville de Mont-Royal a fait cavalier seul en autorisant sa réalisation. Rien ne l’empêche de collaborer avec ses partenaires qui demandent une modification en profondeur.

La Ville de Montréal et le gouvernement du Québec ont également un rôle à jouer et doivent envoyer un message au promoteur qui s’empresse de construire alors que des « consultations » ont cours. Si l’ensemble du mégaprojet n’est pas sur la table, il n’y a aucune raison de précipiter la modification du schéma d’agglomération pour permettre un hypothétique volet résidentiel.

De nombreuses questions demeurent en suspens. Les recommandations du groupe de travail Namur-De la Savane en matière de mobilité suffiraient-elles à éviter la paralysie du secteur, l’un des plus congestionnés au pays ? Quelle part du financement des infrastructures le promoteur est-il réellement prêt à assumer ?

Qu’il le veuille ou non, Carbonleo a fait du gouvernement son partenaire financier dans ce mégaprojet. Québec doit prendre la pleine mesure des enjeux qu’il soulève, notamment concernant l’application des mesures requises en matière de mobilité.

Réussir le développement du secteur

Beaucoup reste à faire pour que le développement du mégaprojet Royalmount soit complémentaire à celui du secteur Namur-Hippodrome, et son offre commerciale et culturelle, à celle du reste de la métropole. À un jet de pierre du site visé, la mairesse compte faire du secteur Namur-Hippodrome « l’anti-Royalmount », soit un véritable écoquartier carboneutre et inclusif. Voilà qui devrait mettre la barre haute pour l’ensemble du secteur stratégique Namur-De la Savane.

Une vision d’ensemble du secteur à la hauteur des défis de notre époque et des aspirations citoyennes nous apparaît cruciale.

Beaucoup de travail a déjà été fait au cours de la dernière décennie. Il ne reste à l’administration Plante qu’à appliquer son plan de match, et à Québec de faire respecter les règles du jeu.

* Signataires : André Lavallée, ancien vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, responsable du premier plan d’urbanisme et du premier plan de transport de l’agglomération ; Christian Savard, directeur général, Vivre en ville ; Claude Vaillancourt, président, ATTAC-Québec ; Coralie Deny, directrice générale, CRE-Montréal ; Charles Grenier, administrateur, Coalition Climat Montréal ; Gérard Beaudet, urbaniste émérite et professeur titulaire, École d’urbanisme et d’architecture de paysage, Université de Montréal ; Jean-Claude Marsan, architecte et urbaniste, professeur émérite à l’Université de Montréal ; Jean-Marc Séguin, porte-parole, Alliance Mont-Royal ; Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales, Équiterre ; Monique Simard, présidente du conseil d’administration du Partenariat du Quartier des spectacles ; Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie, Greenpeace Canada ; Véronique Fournier, directrice, Centre d’écologie urbaine de Montréal ; et Paul Lewis, professeur titulaire, faculté de l’aménagement, Université de Montréal

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