Petite enfance

Une approche positive

« Je peux avoir un biscuit ? », demande un petit bonhomme haut comme trois pommes. « Oui, répond sa maman, tout de suite après ton repas. » Très tôt dans l’éducation de ses cinq enfants, Julie Henrie a limité l’emploi du « non » pour favoriser des formulations positives ou affirmatives.

« J’avais lu sur les avantages des consignes positives dans l’éducation des enfants et j’ai toujours trouvé que ça avait plein de bon sens, témoigne Julie Henrie qui a cinq enfants de 17 mois à 21 ans. Et c’est tellement comment j’aimerais me faire parler ! »

Lorsque Milan, son troisième enfant, a eu 2 ans, l’animatrice d’ateliers de cuisine éducative a toutefois senti le besoin d’aller chercher des outils à l’extérieur. « C’était devenu rock’n’roll à la maison. Il pleurait beaucoup, n’écoutait rien et était très difficile à satisfaire. »

Ces outils, elle les trouve dans la parentalité positive, une approche qui se fonde sur la bienveillance, le respect, l’écoute et l’autonomie. « Ça a complètement changé ma manière d’agir avec mes enfants. J’ai appris à accepter leurs sentiments. Dans mes consignes, je leur parle des possibilités (“Tu as envie de lancer ? Viens ici, on va jouer avec la balle”) plutôt que des interdits (“Non ! On ne lance pas ses jouets par terre”). Avec le petit dernier, je suis mise au défi 60 fois par jour en ce moment ! »

LA PHASE DU NON

À partir du moment où un bambin commence à marcher et à explorer son environnement, il apprend à composer avec les limites fixées par ses parents. « Non » devient parfois le mot qu’il entend le plus souvent dans une journée, observe la psychothérapeute Francine Lavergne.

« C’est souvent ce qui sort naturellement de la bouche des parents pour protéger leur enfant, l’empêcher de tomber, de toucher à un objet dangereux, énonce-t-elle. À force d’entendre ce mot, la consigne finit par perdre de l’importance et les parents reçoivent ce non en boomerang. »

Avec les tout-petits, cette habitude peut avoir l’effet de prolonger inutilement la phase du non (aussi appelée phase d’affirmation), affirme la Dre Catherine Gueguen, pédiatre formée à la communication non violente.

« Quand les parents disent constamment non, sans proposer d’autres solutions, ou en punissant, l’enfant risque d’adopter la même attitude butée que ses parents et répéter le mot, souligne-t-elle. Cela peut l’empêcher de passer à une phase de son développement beaucoup plus intéressante où il peut dire oui à la vie et en profiter pleinement. »

DES EFFETS SUR LE DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU

Employées sur un ton anxieux, les formules négatives répétées peuvent occasionner du stress chez l’enfant comme chez l’adolescent, souligne Francine Lavergne, qui anime des ateliers Faber/Mazlish (fondés sur les travaux du Dr Haim Ginott) depuis plus de 20 ans. « À force de se faire dire non, ils réagissent et deviennent opposants ou alors ils se soumettent et n’osent plus rien faire », constate-t-elle.

Pour assurer le bon développement cognitif et affectif de l’enfant, il est impératif de soutenir sa curiosité, son envie d’explorer, son appétit de vivre, soutient pour sa part la Dre Gueguen, qui s’est intéressée aux récentes découvertes scientifiques sur le développement et le fonctionnement du cerveau dans ses livres Pour une enfance heureuse et Vivre heureux avec son enfant.

« Lorsqu’on refrène un enfant, on empêche son cerveau de sécréter les molécules de bien-être comme l’ocytocine, la dopamine, la sérotonine et les endorphines, précise-t-elle. Toute notre façon d’être – le regard, le ton de la voix, le geste, les mots – agit en profondeur sur le développement de son cerveau. Avoir une attitude chaleureuse et bienveillante envers un enfant permet aux structures importantes du cerveau de maturer de manière optimale. »

MEILLEURE COMPRÉHENSION, PLUS DE DIALOGUE

« Quand on est dans le feu de l’action, qu’on est émotif, le non revient forcément, admet Julie Henrie. Ce n’est pas un mot maudit, mais on essaie de l’employer à bon escient. »

Il ne sert à rien de se mettre une pression démesurée pour limiter les formules négatives, insiste toutefois la Dre Gueguen. « L’important, c’est d’y être attentif, mais on doit rester naturel avec ses enfants. En France, j’entends plusieurs parents qui ont remplacé “non” par “stop”. J’ai l’impression que ce n’est pas intégré. Ces parents appliquent une méthode. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir une recette pour comprendre son enfant, lui faire confiance, l’aider à s’exprimer et ouvrir le dialogue avec lui. »

Julie Henrie vit encore des difficultés au quotidien, mais elle dit se sentir beaucoup plus solide et confiante qu’il y a 10 ans. « Les enfants restent des enfants qui aiment explorer et tester les limites, mais j’ai appris à les respecter dans tout ce qu’ils sont, et en retour, ils nous respectent davantage, confie la mère de 38 ans. Je ne sais pas si ça a fait de nous une famille plus sereine et épanouie, mais je constate que mes enfants sont des êtres empathiques et qu’ils n’ont jamais eu peur de venir nous parler, quand ça va bien comme quand ça va mal. »

Pour une enfance

heureuse – Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau

Catherine Gueguen

Éd. Robert Laffont, 2014

Vivre heureux avec

son enfant – Un nouveau regard sur l’éducation au quotidien grâce aux neurosciences affectives

Catherine Gueguen

Éd. Robert Laffont, 2015

Entre parent et enfant

Dr Haim Ginott

Éd. L’atelier des parents, 2013

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