Hockey mineur

Tous à la ligne bleue

Des joueurs étiquetés centre, ailier ou défenseur dès le niveau atome ? Sur la Rive-Sud de Montréal, une association de hockey mineur refuse ce modèle. Elle demande à ses joueurs de 9 et 10 ans d’expérimenter toutes les positions. Dans l’espoir de faire naître une ou deux vocations de défenseur.

SAINTE-JULIE — C’est un aréna comme tous les arénas du Québec : un peu beige, un peu terne et grouillant de parents, d’enfants et de bénévoles en ce soir d’hiver. C’est aussi un aréna où a fait ses classes le meilleur défenseur québécois de sa génération, Kristopher Letang.

Nous sommes à Sainte-Julie, sur la Rive-Sud de Montréal. Et ici comme ailleurs, les équipes de hockey mineur ont du mal à convaincre les jeunes de s’aligner sur la ligne bleue. « Sur 15 joueurs, je dois en avoir 12 qui veulent être attaquants ! lance Richard Gionet, entraîneur des Grizzlys atome BB de Sainte-Julie. Ça aide un peu que Letang vienne d’ici. Les jeunes le savent. Mais la plupart aiment quand même mieux marquer des buts. »

Le phénomène se constate partout au Québec et au Canada. Dès leur jeune âge, les meilleurs jeunes hockeyeurs jouent à l’attaque. Les moins bons sont relégués à la ligne bleue. La majorité des parents préfèrent voir leur garçon marquer un but plutôt que réussir un subtil jeu défensif.

Même si Hockey Canada recommande d’attendre la catégorie pee-wee avant d’assigner des positions aux jeunes, la plupart des associations le font dès le niveau atome.

Mais à Sainte-Julie, l’Association du hockey mineur essaie de contrer le phénomène. Depuis trois ans, les Grizzlys tentent une expérience qui a d’abord dérangé certains parents mais qui porte maintenant ses fruits : une rotation obligatoire des joueurs au niveau atome.

Ici, les hockeyeurs de 9 et 10 ans doivent chaque saison jouer un minimum de cinq matchs à une position qui n’est pas la leur. Les défenseurs vont jouer à l’attaque et les attaquants vont jouer à la défense.

Ce peut être pour cinq matchs, mais ce peut être davantage. Le but est de les initier à toutes les facettes du jeu et, qui sait, de faire naître une vocation de défenseur chez des joueurs de grand talent.

« Il y a quelques années, on s’est retrouvés avec un problème : au niveau pee-wee, il n’y avait jamais de défenseurs », explique le président de l’Association du hockey mineur de Sainte-Julie, Éric Boulianne. 

« Niveau atome, les papas dans les gradins voulaient que leur fils compte des buts, ils voulaient tous qu’il joue à l’avant. »

— Éric Boulianne, président de l’Association du hockey mineur de Sainte-Julie

Les meilleurs joueurs atome désiraient être à l’attaque. Les moins bons étaient systématiquement affectés à la défense. Résultat ? Au niveau pee-wee, des joueurs d’attaque de meilleure qualité étaient laissés de côté au profit de défenseurs moins talentueux. Il aurait été périlleux de les choisir pour pourvoir un poste à la ligne bleue, puisque ces joueurs n’avaient aucune expérience de défenseur.

L’idée d’instaurer une rotation est venue de Pierre Allard, qui a longtemps joué en Europe et qui joue maintenant le rôle de préparateur physique avec le Canadien de Montréal. M. Allard a également une firme de consultation, Solution Sports, qui travaille de près avec l’Association de Sainte-Julie.

« Il y avait un double intérêt derrière la rotation : faire découvrir le poste de défenseur à des joueurs qui n’avaient jamais pensé jouer à cette position, et aussi permettre aux joueurs d’apprendre des éléments techniques et d’avoir un meilleur point de vue du jeu dans son ensemble, raconte Pierre Allard. Choisir une position fixe au niveau atome, c’est beaucoup trop tôt. À cet âge, le joueur doit être très polyvalent et apprendre à comprendre tous les rôles. »

DES COURRIELS DE PARENTS

L’Association de Sainte-Julie, qui compte 750 joueurs, a épousé le projet. La première année, son équipe atome BB a même remporté la Coupe Dodge. Preuve que l’expérience n’a rien de loufoque. Mais Éric Boulianne se souvient des résistances suscitées par le projet avant la saison 2012-2013.

« Au début de la saison, ç’a été extrêmement difficile. J’ai reçu de nombreux courriels de parents qui trouvaient ça injuste que leur garçon change de position, dit le président de l’Association de Sainte-Julie. Il y a eu des instructeurs insatisfaits. Mais on a maintenu le cap. Et on a eu des surprises : des petits gars se sont découvert des aptitudes à d’autres positions. On en est bien fiers. »

L’expérience des Grizzlys de Sainte-Julie peut paraître anecdotique. Mais elle pourrait aider à changer les mentalités au Québec et à redorer le blason du défenseur.

La Ligue nationale de hockey (LNH) compte de moins en moins de défenseurs du Québec. Ceux-ci sont aussi très peu nombreux à se tailler une place avec Équipe Canada junior : lors des 11 dernières éditions du Mondial junior, seuls 7 postes de défenseur ont été pourvus par un Québécois, sur un total de 77 disponibles.

« Malheureusement, le rôle de défenseur est moins valorisé, moins compris. Mais tout part des défenseurs, avec la relance. Bien relancer le jeu, ça devrait être aussi valorisé que marquer un but. »

— Pierre Allard, de Solution Sports

Pour ça, il va falloir que les enfants apprennent à apprivoiser le rôle de défenseur. Alexandre, 10 ans, a joué « sept ou huit parties » à la défense cette année avec les Grizzlys. Son entraîneur lui annonce sa position juste avant le match. « Je pense que je me suis amélioré comme défenseur, dit-il. Mais c’est sûr que j’aime mieux jouer à l’attaque. »

Pourquoi ? « Ben, parce qu’on peut jouer en avant, monter jusqu’au gardien, dit-il, comme s’il énonçait une évidence. À la déf’, il faut quand même rester derrière. Ça, c’est moins le fun. »

Même dans le patelin de Kristopher Letang, il est difficile de donner aux jeunes le goût de la ligne bleue. Mais à Sainte-Julie, on pense avoir fait un pas dans la bonne direction.

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