Chronique

Parler de « ça »

Je précise dès le départ que je ne suis pas sarcastique en écrivant la prochaine phrase : c’est formidable, la prise de parole des femmes – surtout des femmes – sous les chapiteaux de #moiaussi et de #etmaintenant.

Formidable parce qu’on ne soulignera jamais assez que, non, la société n’est pas égalitaire. Bien sûr qu’être femme au Canada, au Québec est une situation plus enviable qu’en Arabie saoudite. Mais ce n’est pas en se comparant aux cancres qu’on s’élève.

Tripoter des femmes, agresser des filles, les siffler, les humilier, les contraindre pour en arriver à se gratifier sexuellement : ce sont des comportements rétrogrades et délétères. Ces comportements-là existent. Et ces comportements-là passent au cash depuis quelques mois : ce n’est pas rien.

Mais ces comportements-là ne perdurent pas sous une cloche de verre, ils n’existent pas en vase clos : ce sont les fruits d’une inégalité entre les hommes et les femmes.

C’est formidable, les prises de parole des femmes. Ça ouvre les yeux des hommes de bonne volonté, ça leur ouvre les yeux encore plus. Quant aux hommes de mauvaise volonté, par définition, ils demeureront aveugles à cette inégalité.

C’est formidable, mais ce ne sera pas assez. Les dénonciations personnelles et les enquêtes médiatiques ne pourront pas enrayer le spectre extrêmement vaste des comportements regroupés sous l’étiquette des « inconduites sexuelles ».

Le gouvernement du Québec semble avoir pris le taureau par les cornes ces derniers mois, avec un train de mesures, de déblocages de budgets et de modifications législatives ambitieuses.

Le gouvernement Couillard a par exemple consacré 26 millions à bonifier de nouvelles actions dans sa Stratégie pour contrer les violences et l’exploitation sexuels. Un volet de cette stratégie financera l’accompagnement des victimes qui doivent naviguer dans le système, après une agression.

Le budget des Centres d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles (CALAS) a aussi été bonifié, tant pour aider les victimes que pour des campagnes de sensibilisation du public.

Est-ce assez ? On peut en débattre. C’est certainement mieux qu’il y a six mois.

Mais de #moiaussi à un changement concret et surtout durable dans le réel, il y a un million de petites choses qui devront changer, au-delà des prises de parole.

Pour les agressions les plus graves, je pense à un accueil qui soit en toutes circonstances exceptionnel, quand des victimes vont porter plainte à la police, du moment où elles entrent au poste au moment où elles rencontrent un enquêteur, sans oublier ensuite le passage en cour. Il faudra ici des révolutions tant dans les normes que dans les attitudes.

Pour le harcèlement sexuel courant, il faudra aussi des révolutions dans les milieux de travail, dans la façon même de penser les ressources humaines. On va se buter ici à de la jurisprudence et à des précédents qui, dans l’absolu, protègent de façon louable les employés… Mais qui peuvent aussi protéger les mononcles. Là aussi, la partie n’est pas gagnée.

Les employeurs doivent faire preuve de leadership. Voyez ce qui se passe à l’Orchestre symphonique de Montréal, depuis les révélations d’inconduites sexuelles qui pèsent sur son ex-chef mythique, Charles Dutoit. Le mutisme de l’OSM dans cette saga est l’illustration même du contraire du leadership en pareille matière. Celui des gestionnaires de l’ère Dutoit aussi. On se réfugie derrière des communiqués de presse, principalement.

Il faudra aussi que, collectivement, on parle de relations égalitaires. Là, comme en bien des choses, il faudra passer par l’école, par l’éducation sexuelle, enseignée et expliquée dans nos écoles. Porté par le souffle de #moiaussi, le gouvernement Couillard a annoncé que dès la rentrée 2018, toutes les écoles devront offrir de tels cours.

Mais il est quand même hallucinant de constater qu’en 2018, nos élèves – tous nos élèves – sont encore immunisés contre les formes les plus élémentaires d’éducation sexuelle.

On sait pourquoi : parce que certains parents ne voulaient pas. Le PM Couillard a évoqué ces parents en décembre : ce ne sont pas toutes les familles qui sont « enthousiastes devant l’idée » que leurs enfants entendent parler de sexualité à l’école, avait-il dit. Certains parents, donc, ne veulent pas que l’État se mêle de « ça », je dis « ça » parce que j’imagine que ces parents-là disent encore « ça », en parlant de sexe…

Cette frilosité a longtemps refroidi la volonté de l’État de, justement, parler de sexe aux enfants, à l’école. Quel symbole.

Or, à quoi sert l’école publique ? Dans l’absolu, à donner à tous les enfants des chances égales de réussir… nonobstant les conditions socioéconomiques de leurs parents.

À quoi serviront les discussions sur la sexualité, dans nos écoles, de la première année à la cinquième secondaire ? Je dirais, dans l’absolu : à donner à tous les enfants un lexique commun en matière d’éducation sexuelle, de relations égalitaires, de respect mutuel… nonobstant le fait que leurs parents sont prudes ou pas.

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