Rencontre avec l’auteur Taras Grescoe

Auteur de six livres de non-fiction, le Montréalais Taras Grescoe vit de sa plume depuis plus de 20 ans. « Plonger dans une époque, dans la vie des gens, c’est addictif », dit-il.

Shanghai Grand 

Périple dans le passé cosmopolite de Shanghai

Dans les années 20 et 30, Shanghai vivait des heures de gloire. Écrivains, hommes d’affaires, vedettes de Hollywood, fumeurs d’opium, criminels : dans les rues de Shanghai, encore aujourd’hui la ville la plus populeuse de Chine, se côtoyaient des univers éclectiques comme nulle part ailleurs sur la planète.

« Shanghai était l’endroit où tout le monde finissait par se poser : les bons, les méchants, les gens glamour, les gens pas très glamour, explique Taras Grescoe, qui raconte avec brio cette période de la ville dans son plus récent livre, Shanghai Grand [HarperCollins Canada en anglais, pas encore traduit en français]. C’était un endroit où vous pouviez vous réinventer, devenir un personnage. Avec très peu d’argent, vous pouviez vivre comme un roi, avec des serviteurs et un cuisinier. »

L’auteur montréalais avait visité Shanghai quatre ou cinq fois quand il s’y est retrouvé, il y a quelques années, pour le travail. Au fil de ses promenades, il y a découvert le Peace Hotel, anciennement le Cathay Hotel, magnifique édifice Art déco de 13 étages dont la construction a été achevée en 1929.

« On pouvait voir que l’hôtel avait eu un passé glorieux, mais que tout ça était aujourd’hui caché par des plafonds suspendus et du béton. Dans le bar, il y avait un vieil orchestre de jazz, des Chinois de 60 et 70 ans qui jouaient des chansons américaines. Peu à peu, j’ai réalisé que Shanghai avait un passé captivant. C’était un endroit très convoité dans les années 20 et 30. »

Les gens riches qui faisaient une croisière autour du monde s’arrêtaient invariablement à Shanghai, sorte de creuset entre l’Orient et l’Occident, dit Grescoe. 

« Charlie Chaplin, Noël Coward… Si vous étiez une vedette, vous alliez visiter Shanghai. C’était un endroit à vivre, à voir. »

— Taras Grescoe, évoquant le Shanghai des années 20 et 30

Taras Grescoe s’est demandé comment aborder cette histoire et a, de fil en aiguille, découvert l’univers d’Emily Hahn. Reporter pour le magazine The New Yorker, Emily Hahn s’était établie à Shanghai au milieu des années 30.

« Hahn écrivait tout le temps. Elle écrivait des lettres à ses parents, des articles, des livres. Elle a écrit plus de 50 livres durant sa carrière. Elle avait un réel talent pour raconter les histoires. Et elle était belle, aussi. Elle avait des aventures sexuelles et n’avait pas de préjugés. Elle a été une observatrice de la vie à Shanghai au sommet de sa période cosmopolite et aussi décadente. »

Hahn est tombée amoureuse du poète chinois Sinmay Zau et évoluait aussi dans l’entourage de Sir Victor Sassoon, riche homme d’affaires et hôtelier, propriétaire du Cathay Hotel. Bref, elle était le personnage tout indiqué par lequel raconter la ville et son époque.

Grescoe a eu accès aux archives personnelles de Sir Victor Sassoon, qui avait l’habitude de noter les détails de sa vie chaque jour dans un journal. L’auteur a passé une semaine à consulter les notes manuscrites de Sassoon, qui se trouvent dans ses archives personnelles à la Southern Methodist University, à Dallas.

Une période très complexe

Si Shanghai Grand est l’histoire d’une ville cosmopolite et de ses habitants, c’est aussi l’histoire des conséquences de l’invasion japonaise et de la création de camps de réfugiés pour les Juifs qui fuyaient l’Europe – un pan de l’histoire du XXsiècle souvent méconnu en Occident.

Le 28 août 1937, peu après 16 h, un avion de chasse chinois a par erreur laissé tomber une bombe destinée aux bateaux de guerre japonais devant le Cathay Hotel, tuant des centaines de civils.

« C’était une période très complexe, avec des factions rivales, des seigneurs de la guerre, des changements de gouvernement. Me familiariser avec tout cela m’a donné plusieurs maux de tête… J’ai aussi étudié le chinois pendant un an. Je ne suis pas allé très loin, mais j’en sais assez pour reconnaître les noms et leurs variations. »

Pour espérer comprendre la Chine d’aujourd’hui, il faut étudier l’évolution du Shanghai d’entre-deux-guerres, a conclu l’auteur.

« C’est à Shanghai qu’on a vu le premier exemple concentré de mondialisation. Il y avait des usines japonaises, allemandes, britanniques, et elles étaient toutes concurrentes dans le secteur du textile. C’était une forme cachée de colonialisme, et les intellectuels chinois de l’époque ont été une inspiration pour le rejet des empires coloniaux à travers l’Asie. »

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