OPINION JOCELYN COULON

ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE
Trudeau s’active en faveur de Michaëlle Jean

Les grandes manœuvres autour du poste de secrétaire général de la Francophonie se déplacent dimanche et lundi au sommet des chefs d’État de l’Union africaine (UA).

À cette occasion, le président rwandais Paul Kagamé tentera de convaincre ses pairs d’endosser sa candidate, Louise Mushikiwabo, appuyée par la France, afin de remplacer l’actuelle titulaire, Michaëlle Jean.

C’est une étape très délicate et importante pour les deux candidates et Justin Trudeau a, semble-t-il, bien l’intention de bloquer la manœuvre rwandaise.

Une course qui s’annonce compliquée

Les Africains ont l’habitude de faire bloc autour d’une candidature lorsqu’un poste important s’ouvre dans une grande organisation internationale. Ainsi, l’an dernier, ils ont appuyé un ministre éthiopien qui convoitait la direction générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le candidat africain affrontait deux autres candidats, dont un Britannique. La solidarité africaine a payé.

La course à la direction de la Francophonie s’annonce plus compliquée. Si la totalité des 54 États africains sont membres de l’OMS, ils ne sont que 31 à être membres de la Francophonie. Ce n’est pas négligeable, mais toute l’Afrique est encore loin de s’intéresser à cette organisation.

Le Rwanda aura fort à faire afin d’obtenir des appuis pour sa candidate. De plus, le Canada n’a pas dit son dernier mot.

Toutefois, les deux pays entament cette course à forces inégales. À première vue, le Canada dispose d’un atout : Michaëlle Jean est déjà en place. Elle connaît les dossiers et, de ce fait, peut assurer la continuité. Les affaires concernant ses dépenses extravagantes ne doivent pas masquer une chose : sa seule présence a dépoussiéré l’institution et donné une nouvelle visibilité à la Francophonie auprès des jeunes et des femmes. Cependant, ce positionnement compte peu dans l’univers glacé des organisations internationales.

De plus, malgré ses efforts, elle ne connaît pas l’Afrique et n’y a aucun réseau. Dès lors, les chefs d’État africains ne se sentent aucune affinité politique et culturelle avec elle. Ils choisiront le prochain titulaire en fonction de leurs intérêts et de leurs importantes relations avec la France.

Pour sa part, le Canada a peu de moyens et d’influence sur le continent africain pour imposer sa candidate.

Presque trois ans après son élection, Justin Trudeau a passé quelques heures au Liberia et deux jours à Madagascar lors du dernier Sommet de la Francophonie, en 2016. C’est peu, même très peu.

Il ne s’intéresse tout simplement pas à ce continent. Il y a deux ans, il a décliné une invitation à s’adresser aux chefs d’État africains lors d’un sommet de l’UA à Kigali. Or, s’il y a une enceinte où les leaders occidentaux veulent se faire voir en Afrique, c’est bien celle-là. Elle est l’endroit privilégié pour interagir avec les leaders africains et passer des messages.

Macron, atout principal du Rwanda

Un homme a compris cela : le président français Emmanuel Macron. Ce week-end à Nouakchott, il est l’invité d’honneur de l’UA.

Macron est l’atout principal dans le jeu du président rwandais pour faire avancer la cause de sa candidate à la direction de la Francophonie. En mai, Kagamé a été reçu avec tous les honneurs à l’Élysée, même si le contentieux sur les responsabilités du génocide de 1994 reste entier entre le Rwanda et la France.

Le réchauffement entre Paris et Kigali s’inscrit dans la nouvelle stratégie de la France en Afrique, et le Rwanda en est un élément clé. 

Ce pays a une des performances économiques les plus brillantes du continent et il exerce une grande influence en Afrique anglophone et dans plusieurs pays francophones comme le Congo démocratique.

Lors de la rencontre, Macron a publiquement appuyé la candidate rwandaise, jetant le trouble dans le camp de Michaëlle Jean. Depuis, Kagamé affiche une belle assurance. Il a même déclaré à l’hebdomadaire Jeune Afrique que sa candidate bénéficiait « du soutien des autres chefs d’État africains ». Et aucun d’entre eux n’a démenti cette déclaration.

Pourtant, ce ciel n’est pas sans nuage. Le Rwanda manque à ses obligations en matière de respect des droits de la personne et n’a pas que des amis sur le continent.

La France, elle, tente visiblement d’imposer le choix rwandais dans une optique plus géopolitique qu’institutionnelle. Ce style directif et cynique ne plaît pas à tous sur le continent.

Trudeau peut miser sur les faiblesses rwandaises et sur ce sentiment anti-français et passer quelques appels discrets d’ici au sommet de l’UA pour convaincre certains chefs d’États africains de bloquer un consensus autour de la candidate rwandaise. Mais l’indifférence affichée envers l’Afrique depuis une douzaine d’années par les gouvernements canadiens, conservateur comme libéral, risque d’être payée de retour.

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