Portrait Louis Vachon

le banquier sans cravate

Il sera question de chars d’assauts, d’arts martiaux et de la fois où on l’a confondu avec un voiturier de stationnement. Portrait de Louis Vachon, doyen des patrons de banques du pays et qui deviendra bientôt celui qui a dirigé la Banque Nationale le plus longtemps.

Portrait

Lieutenant-colonel Vachon

Installé dans la tourelle d’un char d’assaut allemand de la Seconde Guerre mondiale, le banquier montréalais attend que les mécaniciens actionnent le moteur en tournant la manivelle à l’arrière du blindé beige et verdâtre. Puis le moteur vrombit. L’homme s’engouffre dans le char Tiger, puis l’énorme véhicule avance dans un bruit assourdissant. 

Le banquier en question est le président de la Banque Nationale, Louis Vachon. Il y a sept ans, pour son 50e anniversaire de naissance, il est allé en Angleterre s’offrir une balade dans le seul char d’assaut de type Tiger encore en état de marche. 

Ce n’est pas anodin. C’est qu’il s’en est fallu de peu que Louis Vachon fasse carrière dans les Forces armées plutôt qu’en finance.

Maintenant âgé de 56 ans, Louis Vachon dirige la Banque Nationale depuis 12 ans. S’il est le doyen des présidents de banques au pays, il est probablement le moins conservateur du groupe. Et s’il reste en poste encore un an – ce qui semble acquis –, il détiendra le record de longévité à la tête de la Banque Nationale.

« C’est la vie qui m’a amené en finance. En 1979, j’étais à la croisée des chemins. J’avais fait application pour aller étudier aux États-Unis. Si je n’y allais pas, probablement que je m’enlignais pour faire application au Collège militaire royal de Saint-Jean. J’ai toujours eu un intérêt pour ça [le militaire]. »

Très jeune, il lisait déjà sur le sujet dans la maison familiale de Lévis, sur le cap, face au Château Frontenac. « Les livres et les G.I. Joe, c’étaient ses passe-temps préférés », se rappelle sa sœur Diane.

Son amour des G.I. Joe a évolué vers l’histoire militaire. Quand il a fait sa maîtrise en finance à la Fletcher School (un programme coopératif pour les diplômés des universités Harvard et Tufts), dans la région de Boston, il a fait son mémoire sur l’application de la stratégie militaire dans les affaires.

Chez les Fusiliers

Mis au courant de sa passion pour les forces militaires, le régiment des Fusiliers Mont-Royal a intronisé Louis Vachon lieutenant-colonel honoraire en 2016. « C’est un des moments où je l’ai vu le plus fier et le plus heureux dans sa vie », affirme sa sœur Diane.

Il aurait été contre nature pour lui d’accepter le titre en se contentant de se présenter à des événements-bénéfices et d’offrir des conseils de gestion. C’est pourquoi il participe deux fois par an à des exercices militaires, en forêt ou en zone urbaine, qui s’étirent sur un week-end complet.

« Ça me tient en forme ! Si tu veux comprendre ce qui se passe, tu dois suivre les troupes », dit Louis Vachon, qui pratique le CrossFit pour s’assurer de « suivre la parade ». 

« Quand je sais que je vais aller m’entraîner avec les soldats du régiment, je fais mon CrossFit avec une ceinture de 40 livres sur le dos, car la plus grande source de blessures chez les soldats est au dos. »

« C’est certain qu’il y a une partie d’adrénaline, lance le commandant adjoint de brigade Alain Cohen, mais je ne crois pas qu’il le fait parce que c’est un trip. Je pense que, pour lui, le rôle joué par les Forces armées canadiennes au pays est important sur la scène internationale. C’est sa façon à lui de dire : “Je suis ici avec vous parce que j’y crois.” »

Au printemps 2017, Louis Vachon a pris part à un exercice d’infanterie qui consistait à effectuer des attaques. Il a participé à un assaut dans des conditions difficiles, sous la pluie, et avec une température proche de zéro degré, relate le lieutenant-colonel Benoit Lefebvre. « Il n’a pas froid aux yeux. C’est vraiment exceptionnel. Je n’ai jamais vu de toute ma carrière un honoraire participer aux activités de l’armée de cette façon », dit-il.

Comme dans tout, a-t-on constaté, Louis Vachon se donne à fond.

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Au front de la crise

Nous sommes en 2018. Louis Vachon porte un masque à gaz. Il participe à un exercice à l’intérieur d’une pièce dans laquelle un gaz est insufflé. On lui demande de changer la bonbonne adjacente à son masque, mais il éprouve des ennuis techniques à un moment critique de la manœuvre.

« C’est un samedi après-midi. Je pourrais être chez moi en train de relaxer ou être en Floride. Mais je suis en train de me faire inspirer du gaz lacrymogène. Là je me suis dit : “Criss, qu’est-ce que je fais ici ?” », raconte Louis Vachon.

Ce n’était pas la première fois de sa carrière qu’il se retrouvait dans une position délicate.

Lorsqu’il s’est amené à la barre de la Banque Nationale à l’été 2007, il était loin de se douter que le début de son mandat allait être aussi turbulent. Les marchés étaient sur le point de s’effondrer, et la Banque Nationale était au cœur de la tempête au pays pour son rôle important dans le marché du papier commercial adossé à des actifs (PCAA).

« La décision qu’il a prise, durant un week-end de la crise financière, de racheter 2 milliards de dollars de papiers commerciaux vendus à des petits investisseurs, il fallait avoir des couilles pour faire ça. »

— Luc Paiement, ex-haut dirigeant de la Banque Nationale

Il faut dire que Louis Vachon connaissait plutôt bien ce qui avait contribué à la création de la « balloune », lui qui avait travaillé dans les produits dérivés et les produits hypothécaires au début de sa carrière, en plus d’avoir déjà été premier vice-président, trésorerie et marchés financiers, de la banque. Sa connaissance des dessous du PCAA a été déterminante pour traverser la tempête.

La crise financière a été un test important pour lui, un test qui aurait pu écourter son mandat de PDG. « Ça faisait 73 jours que j’étais en poste comme président quand ça a frappé ! dit Louis Vachon. Tout le monde parle des 90 premiers jours. Moi, je ne les ai pas eus. Après les deux premiers mois, je me disais : “Tabarouette, ça m’arrives-tu vraiment, ça ?” »

Cette période a été difficile au point que des clients se sont publiquement retournés contre la banque. Certains ont même quitté l’institution financière. Louis Vachon aurait pu se défiler. Il n’a pas abandonné.

« Je l’ai souvent entendu dire “never surrender”, lance sa sœur Diane. Il est fou de Winston Churchill. »

Leçons militaires

Avide lecteur, Louis Vachon a cette capacité de traduire ou de tirer des leçons de ses lectures pour les appliquer dans son travail, affirme Alain Cohen, réserviste dans l’armée et aussi consultant chez McKinsey.

Luc Paiement peut en témoigner :

« Louis a lu beaucoup sur les affaires militaires. À un moment donné, il n’arrêtait pas de faire des analogies entre des situations d’affaires et des livres militaires. Moi, je lui disais : “Essaye pas de te servir de manœuvres militaires pour gérer la banque, tu vas faire peur aux employés et aux clients !” »

Luc Paiement, qui a notamment dirigé le groupe Gestion du patrimoine et coprésidé la Financière Banque Nationale durant sa carrière, se rappelle entre autres une leçon particulière que Louis Vachon avait tirée de ses lectures : « Quand le général shake dans ses culottes, tu élimines le général et tu continues. »

« J’ai toujours eu un intérêt pour les questions de défense nationale et ces choses-là. Et là, étrangement, après 12 ans comme président de banque, je me retrouve aujourd’hui sur la ligne de front géopolitique en raison des enjeux de cybersécurité. »

C’est notamment pour cette raison que Louis Vachon a décidé de s’associer avec la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM pour mettre en place prochainement un observatoire sur les conflits multidimensionnels, c’est-à-dire sur les conflits entre États touchant la cybercriminalité et l’économie. « C’est une réalité qu’on ne peut ignorer », dit Louis Vachon.

Les banques canadiennes se font attaquer assez régulièrement, soutient Alain Cohen. « Avant, les enjeux de cybersécurité, c’était un problème d’informatique, indique-t-il. C’est rendu un problème pour PDG. »

Ça adonne bien, Louis Vachon aime l’adversité.

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Le goût du risque

Un jour, Louis Vachon a vu un de ses collègues arriver à la banque avec de l’équipement de kendo.

« C’est quoi, cette affaire-là ? », lui a demandé le banquier.

Le kendo est un peu la base d’entraînement des samouraïs japonais, précise Louis Vachon au sujet de cette discipline qui se pratique notamment avec un casque et un sabre. « J’étais dans la trentaine. Faire du jogging ne me tentait pas. Ça me changeait les idées. Le groupe [de combattants] devient un peu ton club social », dit-il.

Il faut dire que Louis Vachon avait toujours aimé la compétition.

Amateur de chasse qui affectionne particulièrement la chasse aux oiseaux migrateurs et au faisan, il ne veut pas être celui de ses compagnons qui ramène le moins de proies, souligne son ami et ex-patron Jean Turmel.

L’esprit compétitif de Louis Vachon s’est aussi développé à travers le sport. Lorsqu’il a quitté le Québec pour aller faire un baccalauréat en économie dans le Maine au Bates College, il a fait partie de l’équipe universitaire de rugby, malgré sa carrure un peu chétive. 

« Je n’avais jamais joué avant. J’ai joué quatre ans, dit Louis Vachon. C’étaient tous des Irlandais de Boston dans l’équipe, une gang assez rock’n’roll. J’ai eu ben du fun avec eux. »

Puis, il a eu un coup de cœur pour les arts martiaux vers la fin des années 90.

« Quand j’ai appris qu’il faisait des arts martiaux, ça ne m’a pas surpris », dit André Bérard, président et chef de la direction de la Banque Nationale de 1989 à 2002. 

« Louis, c’est un pitbull. C’est un bonhomme qui aime forcer et se dépasser. C’était probablement une bonne échappatoire pour lui. »

— André Bérard, ex-grand patron de la Banque Nationale

Louis Vachon s’est passionné pour le kendo au point d’obtenir sa ceinture noire et de participer à des compétitions. « Ça me mettait en forme et ça m’a appris à canaliser mon énergie de façon un peu plus positive. » 

Il a arrêté le kendo lorsqu’il a été nommé chef de l’exploitation, un an avant de devenir PDG de la banque, à l’été 2007.

Il continue toutefois d’appuyer l’équipe nationale. « Je leur offre un soutien financier. C’est ma façon de demeurer en contact avec eux », dit Louis Vachon.

Des risques

Il y a chez Louis Vachon un fil conducteur qui ne se défait jamais, affirme sa sœur Diane. « Le rubgy avec la stratégie, l’aspect physique exigeant et la discipline ; le kendo, un sport de combat très rigide à caractère militaire. Ce n’est pas doux comme activité. Louis a subi des blessures au kendo. C’est un combattant et un battant. Il a dû arrêter, car c’était périlleux pour son travail. Il ne peut pas se permettre d’être en congé de maladie », dit-elle.

« Ça devenait un peu compliqué, précise Louis Vachon en faisant référence à la conciliation travail-famille-loisirs. Comme tout sport de contact, si tu n’es pas dans la zone, ça devient long et pénible et même un peu dangereux. Si tu n’es pas là 2-3 fois par semaine, tu sors de la zone et ça devient vite désagréable de recevoir des coups sur la tête et sur les bras. Ça pince. Tu arrives chez vous et tu as des bleus partout. »

Cela ne veut pas dire qu’il craint le risque.

À la Banque Nationale, un président qui a du succès est un président qui aime prendre des risques, soutient André Bérard.

« Louis Vachon sait prendre des risques, mais calculés », renchérit Luc Paiement. « Il a une excellente moyenne au bâton quant aux décisions qu’il prend. Et il en prend des milliers par année », dit-il.

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Du talent et de l’agilité

Au milieu des années 2000, Louis Vachon avait demandé à rencontrer le gouverneur de la Banque du Canada de l’époque, David Dodge. Les deux hommes ne s’étaient encore jamais rencontrés en tête à tête, et la requête avait causé la surprise. Mais elle a néanmoins été acceptée, même si ce n’était pas dans les habitudes de la maison, se souvient Miville Tremblay, alors directeur principal de la Banque du Canada à Montréal.

Au début de la rencontre organisée dans une petite salle de conférence attenante à son bureau dans la capitale nationale, le gouverneur était assis sur une chaise en équilibre sur les deux pattes arrière, le dos appuyé au mur, trahissant ainsi un certain détachement, voire un manque d’intérêt. Mais rapidement, lorsque le banquier a commencé à expliquer la dynamique des marchés et les risques qu’ils posaient, le gouverneur a positionné sa chaise sur ses quatre pattes pour commencer à prendre des notes abondantes.

« Louis est capable d’expliquer clairement des phénomènes complexes et de montrer en quoi ils sont pertinents pour son interlocuteur », dit Miville Tremblay, aujourd’hui Senior Fellow à l’Institut C.D. Howe et Fellow invité au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Un « whiz kid »

Plusieurs personnes interrogées pour ce reportage ont souligné l’intelligence et la capacité de comprendre supérieure à la moyenne de Louis Vachon. Les qualificatifs « bollé des marchés financiers » et « surdoué » ont notamment été mentionnés pour le décrire.

« Il faut que tu expliques vite car il comprend vite », dit André Bérard.

« C’est un whiz kid », résume simplement Richard Rousseau, qui a travaillé avec Louis Vachon au pupitre obligataire de la banque à la fin des années 80. « On se servait de lui lors des présentations à nos conseillers en placements pour expliquer les produits alternatifs », dit celui qui est aujourd’hui vice-président exécutif, chef de la gestion de patrimoine, groupe gestion privée, chez Raymond James.

Quand il était petit, il était déjà évident que Louis était un enfant intellectuellement doué, souligne de son côté Diane Vachon, une de ses sœurs. « En maths notamment. Tout lui venait facilement en ce qui concerne l’école », dit-elle.

« Mais c’était un enfant solitaire. Il ne cherchait pas l’attention. Il était très dans sa tête. Il pouvait passer des journées entières à lire des encyclopédies. Mon père s’inquiétait un peu de son côté solitaire. On n’aurait pas pu deviner qu’il allait devenir le leader qu’il est devenu malgré toutes ses capacités intellectuelles. »

À ses débuts à la banque, Louis Vachon n’était pas très porté sur le « small talk », dit Jean Turmel. « Il se tenait bien loin de ça. Il a toutefois réussi à mater ce problème. »

Préférant la bière et le Coke diète au vin, il n’a jamais été non plus un amateur d’événements mondains qui se terminent après 21 h. « Il n’aime pas les grandes soirées qui ne finissent plus. Ce n’est pas son style. Le soir, il veut rentrer chez lui », dit Luc Paiement.

« Je ne le fais pas toujours en bougonnant, ce n’est pas vrai. Mais quand tu as eu une semaine de 70 heures, rendu le vendredi soir, c’est plus difficile de faire semblant d’avoir envie d’être là. »

— Louis Vachon

Mais il a réussi là aussi à s’adapter, selon Jean Turmel. « C’était une de ses faiblesses dans le temps. »

« J’aime ça quand c’est prompt et succinct et que ça ne s’éternise pas trop », se défend Louis Vachon.

Un président qui change

Louis Vachon était un gars un peu froid au départ, de l’avis d’André Bérard. « Mais il est devenu beaucoup plus chaleureux. La patience reste toutefois sa moins grande vertu. Il peut avoir la fuse un peu courte à l’occasion », dit l’ex-patron de la banque.

« Quand il travaillait pour moi, il était responsable des marchés financiers. Je l’ai déjà vu entrer dans mon bureau en coup de vent, modérément en calvaire. Il pompait facilement à l’époque, ce qu’il ne fait plus. Aujourd’hui, il maîtrise bien cette facette de sa personne. C’est souvent le cas des surdoués. Ils ne sont pas patients et ils se choquent de voir que les choses prennent plus de temps à se réaliser qu’elles le devraient. »

L’ex-patron de la Banque Nationale Réal Raymond soutient que Louis Vachon a dû apprendre à mettre de l’« eau dans son vin », notamment à réfléchir plus longuement avant de prendre certaines décisions. 

« Il avait tendance à être un peu rapide sur la gâchette. Une organisation n’est pas une transaction financière. Ça implique des humains, des émotions et d’autres aspects qu’il a appris à bien gérer. »

— Réal Raymond, ex-patron de la Banque Nationale

André Bérard admet avoir porté un jugement prématuré lorsque Louis Vachon a été nommé à la tête de la banque en 2007.

« J’avais peur que sa capacité d’aller voir les employés et les clients des régions ne soit pas naturelle. Je craignais que l’intellectuel reste au-dessus de la mêlée et ne soit pas aussi chaleureux qu’il devrait l’être. Ce ne fut pas le cas. J’avais oublié qu’il est venu au monde dans une famille d’entrepreneurs : les Vachon de la Beauce [son arrière grand-mère Rose-Anna est derrière la création des petits gâteaux Vachon]. Il a cette fibre de l’entrepreneur », dit-il avec admiration.

Depuis que Louis Vachon est aux commandes de l’organisation, l’actif de la Banque Nationale a doublé à 260 milliards. C’est aussi sous sa direction que la banque a commencé à faire l’acquisition de participations de groupes financiers dans des économies en émergence (Cambodge, île Maurice, Côte d’Ivoire et Mongolie). 

Si l’objectif avoué est de voir si le modèle d’affaires de banque canadienne suprarégionale peut être reproduit ailleurs, l’initiative a néanmoins été accueillie avec une certaine incrédulité par les analystes de Bay Street parfois plus prudents que le secteur bancaire lui-même.

« What you see is what you get »

Dans les années 90, Louis Vachon dirigeait BT Bank of Canada, la filiale canadienne de l’ancien Bankers Trust. Il était atterri là après un passage chez Citibank et chez le gestionnaire d’actifs Lévesque Beaubien Geoffrion. 

À cette époque, Louis Vachon s’est présenté chez un concessionnaire d’un chic quartier torontois pour acheter une voiture de luxe. Il était vêtu d’un chandail de rugby et portait des souliers de course. Le vendeur l’avait regardé de la tête aux pieds avant de lui faire remarquer qu’il ne semblait pas être au bon endroit. Louis Vachon l’avait écouté et était reparti sans argumenter.

« J’ai demandé à Louis pourquoi il n’avait pas demandé à parler au gérant, dit sa sœur Diane en racontant l’anecdote. Il m’avait répondu que si le gérant était assez niaiseux pour avoir un vendeur de même, il ne méritait pas son argent. »

Non, l’apparence n’est pas une grande préoccupation pour Louis Vachon.

Pour preuve cette autre soirée avec des amis au restaurant L’Orchidée de Chine, à Montréal, il y a quelques années. À la sortie de l’établissement, deux personnes se pointent devant Louis Vachon pour lui remettre leur coupon de stationnement afin qu’il puisse aller chercher leur voiture.

Il s’est mis à rire. « Je n’irai pas chercher votre auto, mais si vous voulez me donner un pourboire, je vais le prendre. »

Il portait son Kanuk, et les deux clients croyaient qu’il était le valet.

Au revoir, la cravate

Si Louis Vachon est le président de banque actuellement en poste depuis le plus longtemps au pays, il n’est manifestement pas le plus conservateur. Il a, par exemple, fait disparaître la cravate de son quotidien il y a quelques années.

« Mon père [ex-doyen de la faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke et ex-PDG d’une entreprise de camionnage] doit se retourner dans sa tombe, dit sa sœur Diane. Il aimait la cravate. »

Louis Vachon était assurément « tanné » de porter une cravate. Mais plus important est le signal qu’il a envoyé aux employés pour les encourager à utiliser leur jugement. Autrement dit, s’ils sont plus à l’aise sans cravate, qu’ils en profitent. Et s’ils savent qu’ils rencontrent un client plus conservateur, qu’ils en portent une. Dans son langage coloré bien à lui, Louis Vachon se plaît à dire qu’il gère une banque, pas un CPE.

Avec lui, « what you see is what you get », lance Réal Raymond, PDG de la Banque Nationale de 2002 à 2007.

« C’est un homme discret qui n’a pas besoin de voir son nom dans les journaux tous les jours. Pour un banquier, c’est un plus. »

— Réal Raymond, ex-PDG de la Banque Nationale

Le type de discussions qu’il entretient avec les analystes financiers n’a pas d’égal par rapport à la transparence et à la clarté, note par ailleurs Luc Paiement. « Les analystes apprécient sa candeur lors des appels trimestriels. Il dit des choses que les autres présidents de banque ne se permettent pas de dire. Il dit ce qu’il pense comme il le voit, sans langue de bois. Ce qui est apprécié par les analystes. Il les a souvent surpris par des commentaires. Il répond à des questions auxquelles d’autres hésitent à répondre. »

L’analyste Scott Chan, de la firme Canaccord Genuity, est d’accord avec Luc Paiement. « Mais en tant que dirigeant d’une banque suprarégionale, c’est probablement plus facile pour lui d’agir ainsi que pour le président d’une banque du Big 5. »

Et s’il faut un autre exemple d’une décision qui détonne dans le secteur bancaire, il se trouve sur la glace.

Plongée dans le hockey

À sa meilleure saison de hockey à Lévis dans le bantam B, Louis Vachon a compté six buts. C’est ce que lui a rappelé en 2016 sa conjointe Chantal, qui le connaît depuis son enfance et avec qui il a deux enfants. « Tu n’as pas l’intention d’aller dire à Marc Bergevin et Geoff Molson comment gérer leur équipe ? », lui a-t-elle lancé.

Louis Vachon s’en souvient précisément. Il venait d’être invité à siéger au conseil d’administration du Club de hockey Canadien (Groupe CH).

Si Louis Vachon est devenu membre du conseil, c’est parce qu’il avait pris la décision d’appuyer Geoff Molson lors de l’achat de l’équipe en 2009. En plus d’accorder du financement, la Banque Nationale était devenue actionnaire durant la crise financière en prenant une participation d’environ 5 %, l’équivalent d’une trentaine de millions de dollars.

« Ce n’était pas prévu comme ça. C’est un hasard, dit Louis Vachon. Au moment de signer la transaction, certains associés du groupe se sont désistés. C’est là que des gens du groupe Molson m’ont demandé pourquoi la banque ne deviendrait-elle pas actionnaire. » Louis Vachon et Geoff Molson ne se connaissaient pas encore à l’époque.

« Je l’ai rencontré. Il m’a écouté. Il a vu la passion que j’avais. C’est un homme qui comprend très bien la culture au Québec et ce qui est important pour les Québécois. Et le Canadien en fait partie. »

— Geoff Molson, président du Groupe CH

En tant qu’administrateur du Groupe CH, Louis Vachon est notamment appelé à conseiller Geoff Molson à propos de tout ce qui touche au financement des investissements de l’organisation.

« Depuis 2009, nous avons beaucoup accompli, dont l’acquisition de Spectra, l’avènement du Rocket de Laval et la participation dans la Place Bell, l’investissement dans la Taverne moderne – qui est notre sports bar à nous –, et les différentes rénovations apportées ici. Tout ça nécessite des partenaires banquiers. Sa perspective est très utile. »

En plus, ajoute Geoff Molson, les salaires des joueurs sont en dollars américains. « Comme on gagne des dollars canadiens, lorsque vient le temps de parler du taux de change, Louis nous aide à bien comprendre la dynamique. C’est aussi quelqu’un qui a énormément d’expérience en gestion des ressources humaines, en stratégie, en acquisitions. Il amène une vaste expérience, très utile. »

Pour Luc Paiement, qui se définit comme un ultraconservateur, il était hors de question que la banque prenne une participation dans un club sportif. « Mais Louis Vachon avait dit le CH, c’est le CH, et personne ne va nous en vouloir d’avoir fait ça. Deuxièmement, avait-il ajouté, ça aide un de nos clients – la famille Molson –, à qui il manque 4 ou 5 % de capital pour attacher la transaction. On l’a donc fait. Louis Vachon a eu raison. Ç’a été bon pour la communauté et pour la fierté des employés de la banque. »

Encore une fois, le conservatisme et le traditionalisme, très peu pour le PDG de la Banque Nationale.

Aujourd’hui, le Club de hockey Canadien, à lui seul, a triplé la valeur de l’investissement fait par le consortium Molson en 2009. Si investir directement dans le Tricolore pouvait représenter un risque important aux yeux de certains, ça n’en était pas un pour Louis Vachon, qui est par ailleurs reconnu pour exercer un contrôle serré sur les coûts.

« Il compte les sous, dit Luc Paiement. C’est un gars anti-dépenses. Les acquisitions, il trouve tout le temps que c’est trop cher. »

Louis Vachon a néanmoins décidé l’année dernière de faire construire pour la Banque Nationale un nouveau siège social à Montréal qui doit être prêt dans trois ans ; un projet de plus d’un demi-milliard de dollars. Une décision prise pour faciliter le recrutement et la rétention des employés. Les espaces de travail sont aujourd’hui devenus un avantage comparatif suffisamment important pour justifier un tel investissement aux yeux de Louis Vachon.

« S’il demeure en poste jusqu’à l’ouverture du nouvel édifice en 2022, ça fera 15 ans qu’il est à la barre d’une grande banque comme PDG. Si ce n’est pas un record, ce n’est pas loin », souligne Luc Paiement.

Le PDG qui a dirigé l’organisation le plus longtemps dans l’histoire de la banque est André Bérard, durant 13 ans.

« Sous le leadership de Louis Vachon, dit Jean Turmel, la Banque Nationale est arrivée au XXIe siècle. Il a modernisé l’institution dans sa façon de voir les choses, dans sa façon d’opérer. Ça se voit partout. Louis a acquis le respect de tous ses pairs dans les autres banques, ce qui, entre vous et moi, n’était pas quelque chose de très apparent auparavant. Il a remis la Banque Nationale au goût du jour. On avait accumulé au travers des années un retard assez important à tous les niveaux par rapport à ce que les autres faisaient. Ce n’est pas la même banque qu’il y a 50 ans. »

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