Turquie

Derrière la crise économique, un long conflit politique

Il a suffi d’un tweet de Donald Trump, vendredi dernier, menaçant d’imposer des tarifs sur l’aluminium et l’acier exportés par la Turquie, pour provoquer une brusque dégringolade de la livre turque et accélérer la crise économique qui secoue ce pays. En arrière-plan de cet affrontement : un conflit entre Washington et Ankara qui persiste depuis deux ans, et qui est de nature bien plus politique qu’économique.

Qu’est-ce qui a provoqué le conflit entre la Turquie et les États-Unis ?

Il s’agit d’un conflit essentiellement politique. Il y a deux ans que la Turquie demande aux États-Unis d’extrader le leader religieux Fethullah Gülen, qu’elle accuse d’avoir fomenté le coup d’État raté de l’été 2016. Devant le refus de Washington, Ankara a fait arrêter un prédicateur évangélique américain, Andrew Brunson, qui vit à Izmir, en Turquie, depuis plus de 20 ans, et qui a été accusé d’appartenir à une organisation terroriste et d’avoir des liens avec l’organisation de Fethullah Gülen. Le président Recep Tayyip Erdoğan a clairement évoqué la possibilité d’échanger Brunson contre Gülen, mais là encore, il s’est heurté à un refus.

Les dernières négociations visant à faire libérer Andrew Brunson, qui a fini par être placé en résidence surveillée après avoir passé 21 mois en détention, ont échoué le mois dernier.

« Les États-Unis imposeront de lourdes sanctions à la Turquie pour la longue détention du pasteur Andrew Brunson, un grand chrétien, père de famille et merveilleux être humain », a alors averti Donald Trump dans un de ses gazouillis, après avoir imposé des sanctions à deux ministres turcs. Puis, vendredi dernier, le président Trump y est allé d’un autre tweet annonçant la hausse des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium turcs.

La Turquie a répliqué hier, en haussant à son tour des tarifs douaniers sur le tabac, les véhicules touristiques et les cosmétiques, pour un total dépassant les 500 millions. En même temps, le président Erdoğan multipliait les menaces, allant jusqu’à évoquer l’éventualité d’un retrait de l’OTAN. Avant d’appeler les Turcs à boycotter les appareils iPhone !

Pourquoi l’annonce de la hausse des tarifs douaniers a-t-elle eu un impact aussi brutal sur l’économie turque ?

Lundi, il en coûtait 7 livres turques pour se procurer 1 $US, une baisse de valeur inégalée dans l’histoire de cette devise. Parallèlement, les prix ont recommencé à s’emballer. Mais il faut savoir que l’économie turque est fragile depuis des mois. Depuis le début de l’année, la livre turque a perdu plus de 40 % de sa valeur ! Le prix des denrées essentielles, comme le pain, augmente de semaine en semaine, dit Vahid Yücesoy, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, et spécialiste de la Turquie. Le problème, c’est que la Turquie est en train de « frapper un mur », après des années de croissance basée en grande partie sur l’endettement et les investissements étrangers, rappelle le chercheur. Or, si la Turquie était « cool » pour les investisseurs au début des années 2000, des années d’autoritarisme, marquées par quelques attentats, ont passablement terni son lustre. L’exacerbation de la crise politique n’a fait qu’accélérer ce processus.

Quelles sont les options de la Turquie face à cette crise ?

Elle pourrait se rapprocher de l’Union européenne, note Vahid Yücesoy, qui voit déjà des signaux en ce sens. Ainsi, la Turquie vient de libérer le président d’Amnistie internationale en Turquie, Taner Kılıç, dont la détention était très critiquée par l’UE. Elle multiplie par ailleurs les échanges avec le Qatar, qui vient de promettre d’investir 15 milliards en Turquie. Elle pourrait aussi envisager des réformes structurelles, comme augmenter la marge de manœuvre de la Banque centrale. « Mais ça entraînerait une augmentation des taux d’intérêt, et Erdoğan refuse ce scénario », dit Vahid Yücesoy.

Il y a aussi une autre option : Erdoğan pourrait mettre un peu d’eau dans son vin et finir par rétablir progressivement ses relations avec Washington. Dans le passé, rappelle M. Yücesoy, des crises diplomatiques aiguës, comme celle avec la France sur la question du génocide arménien, ou avec l’Allemagne, lorsque Recep Tayyip Erdoğan est intervenu dans la campagne électorale de l’automne dernier, ou encore avec la Russie, après qu’un avion russe eut été abattu par l’aviation turque, ont toutes fini par s’apaiser, les relations revenant peu à peu à la normale.

Y a-t-il un risque que la crise turque fasse des vagues ailleurs dans le monde ?

À l’évidence, oui. Avec ses 80 millions d’habitants, la Turquie est un poids lourd économique, qui accueille toujours beaucoup d’investissements étrangers. Des banques étrangères ont des liens avec des banques turques. Si la crise s’aggrave, elle finira forcément par déborder.

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