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OPINION 

PROJETS PILOTES RATIO INFIRMIÈRE-PATIENTS
Appel à la vigilance

Quelles garanties avons-nous que ces projets seront réalisés avec toute la rigueur qui s’impose ? Très peu.

En décembre 2015, lors du règlement de la convention des infirmières, le gouvernement s’était engagé à réviser les ratios infirmière-patients afin de trouver une solution au grave problème de la surcharge de travail et du temps supplémentaire obligatoire.

Il aura fallu que cette situation dégénère, que de nombreuses infirmières sonnent l’alarme pour témoigner, dans les médias, des conséquences désastreuses de cette crise tant pour la qualité et la sécurité des soins que pour leur propre santé.

Les nombreux témoignages des infirmières de même que les interventions soutenues de la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ) auront stimulé tout un débat et finalement conduit à l’annonce de 17 projets pilotes dans chacune des régions du Québec, et ce, dans divers secteurs de soins.

Ces projets visent à revoir le nombre de patients par infirmière et d’anticiper un allégement de la charge de travail de cette dernière. Présentée comme une réforme importante, cette annonce suscite beaucoup d’espoir et indique une volonté d’améliorer les conditions de travail des infirmières.

Or, depuis l’annonce de ces projets, peu d’information est diffusée aux infirmières et à la population, laissant ainsi la fausse impression que cette crise est en voie d’être résolue.

Que savons-nous de ces projets qui pourtant doivent conduire à des directives ministérielles ? Nous en savons très peu sur leur déroulement, sinon que leur démarrage se fait très lentement et que, contrairement à ce qui avait été annoncé, la plupart seront en cours à l’automne, en période électorale. Nous avons aussi appris, dans un communiqué, que des ratios ont été proposés, notamment dans le projet pilote d’un CHSLD, permettant au ministre Barrette de se faire rassurant.

À première vue, cela peut sembler une bonne nouvelle, mais ne soyons pas naïfs !

Le problème de la surcharge de travail des infirmières est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et sa solution dépasse largement le simple fait d’ajuster des ratios.

Il est impératif de soulever certaines questions et de s’assurer que les décisions qui seront prises découleront d’une démarche transparente, rigoureuse, crédible, et susceptible de redonner aux gestionnaires en soins et aux infirmières les ressources essentielles à une offre de soins de qualité et sécuritaires.

Il est essentiel de se demander comment se dérouleront ces projets, qui les dirigera, sur quelles données se fiera-t-on pour prendre des décisions sur les ratios infirmière-patients, qui évaluera ces projets, quels sont les cibles ou résultats recherchés ? À qui et comment seront communiqués les résultats ? Comment tiendra-t-on compte des expériences menées ailleurs qui, depuis un certain nombre d’années, ont tenté de résoudre ce problème de la surcharge de travail des infirmières ?

Rappelons que divers pays et des provinces du Canada se sont attaqués au problème de la surcharge de travail des infirmières, et ces initiatives ont été largement diffusées dans le domaine de la planification de la main-d’œuvre infirmière. Un fort consensus se dégage de ces travaux soulignant que la seule proposition de ratios comporte des limites importantes.

Des variations à prendre en compte

D’une part, la proposition de ratios ne tient pas compte systématiquement des variations dans la gravité des problèmes de santé des patients (concept d’acuité des soins), dans les caractéristiques du personnel infirmier (expérience, formation, etc.), et celles de l’environnement de soins (composition des équipes, roulement, flot des patients, etc.).

Par exemple, un ratio infirmière-patients pourrait sembler bien ajusté en fonction de la gravité des problèmes de santé des patients, mais tout à fait inadéquat si le flot de patients est intense, si l’équipe n’est pas stable, ou si elle est souvent constituée de jeunes infirmières peu expérimentées ou de nouvelles recrues qui se retrouvent souvent seules le soir, la nuit ou les fins de semaine.

Une approche centrée sur les ratios ne s’attaque pas systématiquement au problème de stabilité dans l’équipe, de complémentarité des expertises entre les infirmières et infirmières auxiliaires, ainsi qu’à la continuité des soins. Ces considérations sont d’une importance capitale en raison des besoins énormes de soutien de nos jeunes infirmières, de leur rétention et de leur intégration au travail.

Les besoins réels des infirmières

D’autre part, la détermination de ratios infirmière-patients se fait par une approche du haut vers le bas (top-down), sans participation des principales intéressées et qui ne tient pas compte des besoins réels des infirmières du terrain. L’impact des ratios est généralement évalué selon des indicateurs de performance administratifs ou financiers qui considèrent peu les résultats sur la qualité des soins et la satisfaction du personnel.

Or, le système de santé est un environnement dynamique, en changement continu alors que les ratios sont des notions statiques, figées.

Les ratios ne peuvent être des normes fixes que l’on identifie une fois pour toutes ; ils ne peuvent être utilisés comme directives que l’on applique comme une recette toute faite.

L’évaluation de la charge de travail des infirmières et l’allocation des ressources appropriées doit donc se faire selon une approche continue, englobante et dynamique pour tenir compte des trois grands types de facteurs qui influencent la charge de travail des infirmières : caractéristiques du patient (acuité des soins), des infirmières et de l’environnement de soins. Il a été démontré que ces approches sont tout à fait réalisables et s’intègrent à une démarche continue de l’amélioration de la qualité des soins.

À la suite de ces travaux, menés ailleurs qu’au Québec, les gestionnaires en soins infirmiers et les infirmières disposent de plus en plus d’outils nécessaires à la prise de décision permettant plus de souplesse et une juste allocation des ressources. De plus, les variations dans l’allocation des ressources sont évaluées non seulement en fonction de critères économiques, mais surtout en regard de leurs effets sur la qualité de soins comme les infections nosocomiales, les erreurs de médicaments, les chutes, les plaies de pression, les agressions, les contentions, les omissions de soins, etc.

Les projets pilotes proposent-ils une évaluation systématique de la charge de travail en tenant compte rigoureusement des facteurs qui l’influencent ? À cet égard, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) recommandait, dans un communiqué le 2 avril dernier, que les projets pilotes tiennent compte des facteurs décrits ci-haut. De plus, ce communiqué insistait sur l’importance de l’évaluation de leur impact sur des indicateurs propres à la qualité des soins infirmiers.

Peut-on espérer que la crise actuelle soit une véritable occasion d’innovation ? Cette dite réforme sera-t-elle une occasion de repenser l’attribution des ressources en soins infirmiers pour redonner aux infirmières du pouvoir sur leur pratique et de la fierté à contribuer pleinement, selon leurs compétences, à la qualité des soins ?

L’annonce des projets pilotes a été accueillie positivement et devrait constituer une première étape pour mettre en œuvre des solutions efficaces et créatives au problème complexe de la surcharge de travail des infirmières. 

L’enjeu est de taille pour la profession infirmière et conséquemment pour une offre de soins de qualité et sécuritaires à toute la population.

Mais quelles garanties avons-nous que ces projets pilotes seront réalisés avec toute la rigueur qui s’impose ? Très peu. Nos craintes sont justifiées en raison du peu d’information disponible et du fait qu’au cours des 30 dernières années, les gestionnaires de soins ont été progressivement privés des leviers essentiels à la poursuite de leur mission de qualité et de sécurité des soins.

* Les cosignataires : Lisette Gagnon, infirmière retraitée ; Laurie Gottlieb, professeure, Ingram School of Nursing, Université McGill ; Gratienne Lamarche, infirmière retraitée ; Mélanie Lavoie-Tremblay, infirmière ; Carmen Millar, infirmière retraitée ; Patty O’Connor, infirmière ; Odette Plante-Marot, ex-directrice des soins infirmiers de l’Institut de gériatrie de Montréal et du CHUM ; Hélène Racine, infirmière ; Christian Rocheford, infirmier, professeur, École des sciences infirmières, Université de Sherbrooke ; Claire Thibault, infirmière retraitée ; Angèle Saint-Jacques, infirmière.

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