Grand Prix cycliste de Montréal

Pour que Clément soit « présent avec les pros »

Clément Ouimet aurait apprécié l’ajout d’une côte sur le parcours du Grand Prix cycliste de Montréal. « C’était un grimpeur », dit sa mère, Catherine Bergeron.

Normalement, il aurait assisté à la course sur la montagne, aujourd’hui. La veille, il aurait pris part au critérium national sur l’avenue du Parc, comme en 2016. L’an dernier, il n’a pas pu : il s’alignait dans une course au Mexique. Le jeune homme de 18 ans rêvait de devenir cycliste professionnel.

« C’était son objectif et il était en train d’organiser sa vie en conséquence », explique sa mère. Il s’était trouvé un emploi dans une boutique et s’apprêtait à se joindre à une nouvelle équipe. Après avoir participé au Tour de l’Abitibi et à la Green Mountain Stage Race, dans le Vermont, il devait s’envoler pour l’Italie en prévision du critérium Red Hook de Milan, une course de pignon-fixe, sa première passion.

Il n’est jamais parti. Le 4 octobre, sa vie s’est arrêtée brutalement. Il descendait la voie Camillien-Houde, son terrain d’entraînement, quand, au sortir d’une courbe, un véhicule utilitaire sport a subitement fait demi-tour devant lui. La manœuvre était illégale. Il n’a eu aucune chance. « Clément, il s’est carrément fait tourner dans la face. Il a eu à peine dix mètres pour s’arrêter », relate sa mère.

Clément Ouimet ne sera donc pas sur le mont Royal ce matin pour encourager les meilleurs cyclistes au monde. En grimpant Camillien-Houde à 16 reprises, ceux-ci pourront quand même sentir sa présence.

À quelques mètres de l’accident, son vélo est accroché à un poteau en bordure de la route. Le vélo blanc qu’il devait enfourcher pour sa course à Milan. La semaine dernière, Catherine Bergeron, sa fille Marjolaine et des amis de Clément sont venus arranger la monture, vandalisée durant l’hiver. Ils ont changé la chaîne rouillée, appliqué des retouches de peinture, accroché une nouvelle photo au guidon.

« Je m’étais dit : “Le Grand Prix s’en vient, le premier anniversaire, ce serait le fun que le vélo soit beau”, dit Catherine Bergeron. C’était comme si Clément allait être présent avec les pros qui allaient monter. »

« Salut Clément »

Au pied du mémorial, des gens ont repeint l’inscription « Salut Clément » sur l’asphalte. Sur le garde-fou, des vandales avaient recouvert de peinture grise les mots tracés par les amis du cycliste lors de l’inauguration du vélo blanc, le 25 octobre.

« C’est ce qui nous a le plus attristés. On a remis une peinture blanche en se disant que si les gens veulent réécrire, ils pourront le faire. »

Elle songe à une autre façon de réinscrire cette citation de Saint-Exupéry directement sur le vélo : « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve. » « C’est le mot qui représentait beaucoup Clément pour nous. C’est sa sœur Marjolaine qui l’a trouvé. »

En mars, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a annoncé qu’il ne porterait pas d’accusations contre le conducteur qui a causé la mort de Clément Ouimet, faute de données pour établir une culpabilité de conduite dangereuse hors de tout doute raisonnable.

« Accusations ou pas, ce n’était pas ce qui allait changer comment j’allais gérer mon deuil, indique Catherine Bergeron. Mais ça nous a ébranlés plus qu’on l’aurait voulu. Je me suis dit : “Ça n’a pas d’allure, ce qui est arrivé. Comment ça se fait qu’il n’y a rien qui se passe ?” »

Deux mois plus tard, des policiers et un expert en reconstitution du SPVM ont rencontré les parents pour faire un récit détaillé des événements. « Tout le long du processus, ils ont été extraordinaires, super délicats, toujours en disant les vraies affaires, souligne-t-elle. On a compris que tout avait été considéré. »

Le lendemain de cette visite, elle est montée sur son vélo pour descendre Camillien-Houde. Elle s’était remise au cyclisme deux mois plus tôt en prévision de sa participation au Grand Défi Pierre Lavoie. C’était la deuxième fois qu’elle dévalait la côte depuis la mort de son fils. Elle s’est arrêtée sur les lieux de l’accident.

« Là, j’ai regardé, et on dirait que j’ai tout compris. Tout s’est placé dans ma tête. C’était important pour continuer à avancer, ne pas rester accrochée à des choses négatives. »

« Ça nous appartient d’être attentifs »

Le conducteur, un touriste américain, a reçu un constat d’infraction en vertu de l’article 327 du Code de la sécurité routière, qui prohibe « toute action susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes ». L’amende s’élevait à 3000 $, le maximum prévu par le code.

L’homme l’a acquittée.

Les parents de Clément Ouimet étaient au Grand Défi quand ils ont reçu l’information. Avec des amis de leur fils, ils ont constitué l’équipe Salut Clément, dont l’objectif est de conscientiser les gens au partage de la route. Ovationnés au départ, ils ont vécu « une expérience magnifique ». L’équipe sera aussi ambassadrice d’un projet de sensibilisation de la Ville de Montréal. Le message est très simple : soyez attentifs.

« C’est sûr qu’il faut de bons aménagements, des lois, des règlements, mais ultimement, ça nous appartient d’être attentifs, d’être conscients de notre environnement, peu importe le véhicule sur lequel on se trouve », insiste Catherine Bergeron, qui avait agi comme porte-parole du Tour du silence au début de l’été.

Ce matin, James Piccoli sera l’un des 145 partants du Grand Prix de Montréal. Membre de l’équipe nationale, le Montréalais de 27 ans vivra un rêve en s’y alignant pour la première fois. Le mont Royal est son terrain de jeu depuis le début de son adolescence. Il ne connaissait pas Clément Ouimet, mais se reconnaît aisément dans son parcours de jeune coureur.

À la fin de son dernier gros entraînement, en début de semaine, Piccoli a photographié son vélo sous celui du disparu. « Je pensais à la course, à ma vie, à tous les hauts et les bas qui m’ont mené jusqu’ici, expliquait-il vendredi avant le départ du GP de Québec. Je me sens proche de son histoire. Je suis privilégié d’être ici. »

Catherine Bergeron a été touchée en voyant la photo publiée sur Instagram. « C’est ce que je voulais, que les gars soient inspirés par le vélo de Clément. »

Aujourd’hui, elle sera parmi les milliers de spectateurs du Grand Prix de Montréal, avec sa fille et des amis de Clément. Son petit grimpeur n’y sera pas. Son vélo blanc brillera quand même.

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