Chronique

Avis de recherche pour un million égaré

Si vous pensez que l’argent ne tombe pas du ciel, laissez-moi vous raconter une histoire abracadabrante qui vous fera changer d’idée. Et qui sait, il y aura peut-être de l’argent pour vous à la fin ?

En septembre dernier, Renée Benoit a reçu un curieux chèque de 103 $ au nom de sa mère décédée en 2014. La dame était bien étonnée, car elle avait réglé minutieusement la succession en s’assurant de ne rien laisser en suspens.

Qui dit dividendes dit normalement actions. Justement, le talon du chèque mentionnait 322 actions de l’Industrielle Alliance. Bizarre… Mme Benoit, qui s’était toujours occupée des finances de sa mère, aurait pu jurer que celle-ci n’avait jamais investi en Bourse.

Alors, d’où viennent donc ces dividendes ? Et à qui appartiennent ces actions ?

Pour comprendre, il faut remonter 17 ans en arrière…

Le cadeau de la démutualisation

Je vous ramène en 2000, à l’époque où l’Industrielle Alliance a décidé de se démutualiser et de devenir une société publique inscrite en Bourse.

Dans le cadre de cette transaction, la compagnie d’assurances a émis 13,5 millions d’actions à quelque 130 000 titulaires de contrats de rentes. Dans ce lot, on retrouvait 57 rentiers d’un ancien régime de retraite Lavalin, dont la mère de Mme Benoit.

Lors de la liquidation de ce régime en 1994, 57 anciens employés avaient choisi d’utiliser l’argent accumulé dans la caisse pour s’acheter une rente auprès de l’Industrielle Alliance, rente qui leur a été versée rubis sur l’ongle.

Mais dans le processus de démutualisation, ils avaient droit à un petit « cadeau » sous forme d’actions de l’Industrielle Alliance. Malheureusement, ce cadeau est resté dans la boîte, car au lieu d’émettre les actions à leur nom, l’assureur a émis les relevés de propriété au nom du régime de retraite de Lavalin, même s’il n’existait plus depuis des années.

Or, personne ne s’est jamais aperçu de la bourde, parce que l’agent de transfert Computer Share a envoyé les relevés au nom personnel de Bernard Lamarre. C’est pour le moins étrange, car cet ancien patron de Lavalin avait cédé les rênes de l’entreprise en 1991.

Pour brouiller les pistes encore davantage, Computer Share postait les lettres à l’adresse de l’ancien siège social de Lavalin, que l’entreprise avait pourtant quitté au milieu des années 80.

Erreur par-dessus erreur !

Les actions des 57 retraités de Lavalin n’ont donc jamais été distribuées, pas plus que les dividendes qui ont continué d’être expédiés à la mauvaise personne, à la mauvaise adresse. Année après année, les lettres revenaient chez Computer Share qui conservait l’argent durant trois ans, puis le remettait au Registre des biens non réclamés du Québec.

Ce qui me dépasse, c’est que SNC-Lavalin est une entreprise archiconnue à Montréal. En voyant les lettres rebondir, il aurait suffi qu’un employé le moindrement réveillé ouvre le bottin pour trouver son numéro de téléphone ou son adresse.

Eh bien non ! En 16 ans, ce n’est jamais arrivé. Bravo ! Ça mérite un A+ pour le sens de l’initiative.

Un million à diviser

Ce malentendu aurait peut-être duré éternellement si un quidam n’avait pas téléphoné chez SNC-Lavalin, l’an dernier. Après avoir découvert de l’argent au nom du régime de retraite de Lavalin, il voulait offrir ses services pour aider l’entreprise à récupérer l’argent, moyennant une commission.

Si vous voulez savoir, SNC-Lavalin ne lui a jamais versé de rémunération. Mais l’entreprise s’est mise à démêler ce beau spaghetti.

Voici le bilan : les 57 retraités de Lavalin sont les heureux propriétaires de 16 282 actions de l’Industrielle Alliance, ce qui vaut environ 809 000 $ aujourd’hui.

Entre 2000 et 2013, ils auraient dû recevoir un total de 149 000 $ en dividendes qui ont été remis à la Direction des biens non réclamés.

Pour les années 2014 à 2016, Computer Share procédera sous peu à la redistribution de 46 240 $ en dividendes non encaissés qui demeurent dans ses coffres.

En additionnant ces sommes, on arrive à tout près d’un million de dollars ! Le gros lot, quoi ! Même en divisant par 57, ça fait 17 500 $ par personne. Quelle belle surprise !

Sur la piste des actionnaires perdus

Mais le défi sera de retrouver ces 57 rentiers, dont les plus jeunes ont 80 ans aujourd’hui. Depuis 16 ans, plusieurs ont déménagé. D’autres sont malheureusement décédés, comme la mère de Mme Benoit.

« C’est ça qui me fâche ! », m’a confié Mme Benoit qui craint que bien des familles ne passent à côté de la manne. « Je ne peux pas laisser ça comme ça. Je me sentirais coupable pour les gens qui ne sont pas au courant », dit-elle.

En effet, seulement la moitié des rentiers ont encaissé le chèque de dividendes envoyé par Computer Share pour la période de septembre à 2016 à mars 2017, m’a indiqué l’Industrielle Alliance. C’est ce fameux chèque qui avait mis la puce à l’oreille de Mme Benoit.

De ce nombre, combien ont réalisé qu’il y avait des actions associées à ces dividendes ? Combien ont fait les démarches pour les encaisser ? Combien vont réussir à récupérer les anciens dividendes qui dorment à la Direction des biens non réclamés ?

Au moins, la Direction possède maintenant les informations permettant d’identifier les participants et de diviser les sommes qui reviennent à chacun d’entre eux. Mais elle n’enverra pas des chèques automatiquement à tout ce beau monde. C’est aux actionnaires ou à leur succession de faire une réclamation.

Reste à savoir si d’autres actionnaires de l’Industrielle Alliance se sont retrouvés avec un certificat de propriété à leur insu, lors de la démutualisation.

« Comme c’est le cas pour l’ensemble des sociétés publiques, il est possible que des actionnaires demeurent introuvables », m’a répondu l’assureur du bout des lèvres. Dans ce cas, les dividendes continuent d’être versés jusqu’à ce qu’ils soient éventuellement réclamés par leurs propriétaires.

Épilogue

Il y a 363 millions de dollars qui dorment au Registre des biens non réclamés de Québec.

Allez-y. Tapez votre nom ou celui d’une vieille tante dont vous êtes l’héritier. Il y a peut-être de l’argent qui vous attend. En 2014, un ayant droit a réussi à récupérer une somme record de 3,9 millions provenant d’une société dissoute. Ça fait rêver !

Par un midi pluvieux, la semaine dernière, je me suis amusée à entrer le nom d’entreprises québécoises, en grignotant mon lunch.

J’ai trouvé des sous au nom de Jean Coutu, Couche-Tard, Metro Richelieu, Télé-Métropole et j’en passe. Avis au syndicat des employés de l’Université Concordia et au Club social d’Air Canada : quelques milliers de dollars vous attendent.

Même le gouvernement devrait jeter un coup d’œil au registre. Par exemple, plus de 4000 $ traînent depuis 2006 au nom du Centre de services sociaux du Montréal Métropolitain. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan du budget de la santé, mais ce ne serait pas bête de le récupérer.

J’ai même trouvé 269 $ au nom de La Presse. Hé, patron, ça me fait plaisir. Je ne prends pas de commission !

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