OPINION

LOI SUR LES LANGUES OFFICIELLES
Rien de plus qu’un épouvantail

La pérennité du français au Canada exige une révision profonde de la Loi sur les langues officielles fédérale.

Il reste peu de temps au gouvernement de Justin Trudeau pour laisser sa marque en la matière, à défaut de former un deuxième gouvernement majoritaire. Certes, le gouvernement libéral semble déterminé à améliorer le statut du français au Canada.

Or, jusqu’à maintenant, il n’a procédé qu’au cas par cas. Pour qu’il progresse, le bilinguisme canadien requiert des changements structuraux qui ne peuvent être mis en œuvre que par la voie législative.

C’est en 1969 que Pierre Elliott Trudeau parraine la première Loi sur les langues officielles. Le Parlement souhaitait alors éviter « la destruction du Canada », présagée par la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Cette loi ne sera modernisée qu’une fois, en 1988, à l’initiative de Brian Mulroney et de son champion des langues officielles, Lucien Bouchard.

L’internet n’existait pas. Les provinces et le gouvernement fédéral opéraient en vase clos. L’on rêvassait à la gestion scolaire francophone hors Québec. Aujourd’hui, certaines provinces protègent mieux le français que le gouvernement fédéral, et il y a de quoi surprendre. Louis Riel serait ravi d’apprendre que l’Assemblée législative du Manitoba a récemment adopté des lois protégeant la langue française. Même l’Alberta s’est dotée d’une politique relative aux services en français ! Selon les sondages du Commissariat aux langues officielles du Canada, le « Rest of Canada » ne craint plus le français ni le Québec.

Jadis éclaireur, le gouvernement fédéral doit maintenant se rattraper. Le français est de plus en plus marginalisé malgré l’augmentation du nombre absolu de ses locuteurs et l’engouement de la majorité anglophone pour l’immersion, voire le français en général.

La Loi sur les langues officielles fait défaut. Ses carences sont structurelles et multiples. Comment est-ce possible qu’il n’existe toujours pas un droit d’être compris en français, sans interprète, par tous les juges de la Cour suprême du Canada ?

Comment est-il possible que les services en français ne soient pas assurés en tout temps à l’aéroport international de la capitale fédérale, grossièreté dénoncée par la députation québécoise (notamment créditiste) pendant les années 60 !

Selon les experts, le diagnostic est double. D’abord, la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles a cessé d’être une priorité. Ensuite, son libellé est dépassé. La Loi sur les langues officielles n’est plus qu’un épouvantail. Il suffit, pour s’en convaincre, de feuilleter les rapports du Commissaire aux langues officielles. En 2017, le Commissariat invitait le Parlement à moderniser la Loi sur les langues officielles.

Le ministère de la Justice défend l’application restrictive de la Loi sur les langues officielles, non sans succès. La semaine dernière, la Cour fédérale retenait l’argument fédéral selon lequel la Loi sur les langues officielles, qui énonce l’obligation gouvernementale d’appuyer l’épanouissement et le développement des minorités francophones du Canada, « n’impose pas d’obligations précises et particulières aux institutions fédérales », car «  [r]ien dans le langage utilisé au paragraphe 41 (2) n’évoque quelque spécificité que ce soit » (Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Canada). La Cour fédérale nous enseigne qu’en raison de son imprécision et de son « incongruité », plusieurs articles de cette loi ne formulent que des promesses vides de sens.

La ministre du Patrimoine canadien, elle, tente tant bien que mal de « susciter et d’encourager la coordination de la mise en œuvre par les institutions fédérales de [l’]engagement » d’appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire. S’il y a lieu de saluer son plus récent Plan d’action pour les langues officielles, il ne saura malheureusement pas réussir là où presque tous ses prédécesseurs ont échoué.

À sa base, le problème n’est pas autant financier que structurel : la Loi sur les langues officielles piège la ministre du Patrimoine en lui demandant d’assurer une coordination transversale sans pourtant l’investir de pouvoirs horizontaux. Seule une agence centrale y parviendrait.

Bien que le Conseil du Trésor puisse, à l’heure actuelle, jouer un tel rôle, il n’est pas tenu d’agir. Une obligation d’agir doit désormais lui être imposée. Chargé d’un tel mandat, le Conseil du Trésor aurait certainement exigé que la Banque de l’infrastructure puisse offrir ses services en français dès son inauguration…

Dans sa facture actuelle, la Loi sur les langues officielles ne permet pas d’assurer la pérennité du français en Amérique. Certains parlementaires ont fait preuve de clairvoyance. Un comité du Sénat mène une étude d’envergure sur la question, alors qu’un comité de la Chambre des communes sommait les décideurs politiques à l’action en mai dernier. Qui est à l’écoute ?

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