Chronique

Chérie, j’ai réduit nos impôts… mais c’est toi qui paies

Le fractionnement des revenus de pension est une pilule miracle qui réduit de 1,2 milliard les impôts de près de 1,3 million de couples d’aînés au Canada. Mais avec tous les effets secondaires qu’elle entraîne, Ottawa devrait en revoir la posologie.

Grosso modo, le fractionnement permet à un retraité d’attribuer jusqu’à la moitié de ses revenus de pension à son conjoint qui a un taux d’imposition inférieur. Grâce à cette mécanique, les couples peuvent réaliser des économies de plusieurs milliers de dollars.

Or, le conjoint qui a les revenus les plus faibles – le plus souvent la femme – se retrouve à payer davantage d’impôts, sans avoir réellement de revenus additionnels puisqu’il s’agit d’un transfert d’argent fictif qui reste dans la déclaration de revenus.

Pour bien comprendre, imaginons l’exemple de Jean-Louis qui reçoit une rente de 50 000 $, en plus de 7000 $ du Régime des rentes du Québec (RRQ) et de 7000 $ en pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV).

En fractionnant sa rente avec sa conjointe Huguette qui touche uniquement la PSV, il économisera 6491 $ par année. Mais sa femme devra payer 3464 $ de plus. Au total, le couple aura 3027 $ de plus dans ses poches. Chouette !

Si le couple répartit la facture fiscale équitablement, pas de problème. Sinon, c’est très injuste pour Huguette.

Malheureusement, le quart des retraités ne comprennent pas bien les subtilités du transfert fictif de revenus, selon une étude publiée hier par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

En outre, chez presque la moitié des couples qui utilisent le fractionnement (43 %), chacun des conjoints paie l’impôt dont le montant est indiqué sur sa déclaration. Ouch !

Pour éviter les injustices, il faudrait qu’Ottawa modifie sa déclaration de revenus afin de permettre le transfert du remboursement d’impôt d’un conjoint à l’autre, comme cela se fait au Québec, suggèrent les auteurs de l’étude, Luc Godbout, Suzie St-Cerny et Carole Vincent.

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Mais pourquoi s’arrêter là ? Le fractionnement a besoin de beaucoup plus qu’un petit tour de vis…

Depuis des années, des groupes de fiscalistes dénoncent l’iniquité flagrante du fractionnement. D’une part, les retraités qui reçoivent une rente – souvent dans la fonction publique – peuvent fractionner leur revenu, peu importe leur âge. Mais d’autre part, les retraités qui disposent d’un régime enregistré d’épargne-retraite (REER) doivent attendre 65 ans avant d’avoir le même avantage.

Ceux-ci sont doublement perdants. Non seulement ils doivent planifier leur retraite eux-mêmes, mais en plus Ottawa les prive d’un important cadeau. Complètement insensé !

En ce moment, plus du quart (26,9 %) des personnes qui utilisent le fractionnement ont moins de 65 ans. Dans un contexte où les gouvernements se fendent en quatre pour encourager les travailleurs d’expérience à rester sur le marché du travail, il est parfaitement incongru d’offrir des cadeaux à ceux qui prennent une retraite hâtive.

Ottawa devrait donc relever à 65 ans pour tout le monde l’âge d’admissibilité au fractionnement du revenu, comme Québec l’a d’ailleurs fait en 2004. Ce changement permettrait à Ottawa d’économiser 430 millions par année, calcule la Chaire.

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Mais tant qu’à y être, pourquoi ne pas aller encore plus loin ?

Il serait possible de métamorphoser le fractionnement de revenus en crédit d’impôt, comme le gouvernement Harper l’avait fait lorsqu’il avait instauré le fractionnement de revenu pour les familles avec des enfants (aujourd’hui remplacé).

En procédant ainsi, il ne serait plus nécessaire de transférer les revenus d’un conjoint à l’autre dans les déclarations de revenus. Voilà un problème de réglé.

Mais par-dessus le marché, le fractionnement n’aurait plus d’impact sur une foule d’autres mesures fiscales qui sont établies en fonction des revenus des contribuables, à commencer par la PSV.

Il faut savoir que la PSV diminue graduellement lorsque les contribuables gagnent plus de 75 000 $ pour tomber à zéro lorsqu’ils atteignent environ 125 000 $.

Même si c’est très rare, imaginons un couple dont les deux conjoints gagnent des revenus de 150 000 $ chacun. A priori, ce couple ne se sent pas visé par le fractionnement de revenus. Mais si l’un d’eux attribue une partie de ses revenus à l’autre, il n’aura plus à rembourser sa PSV du tout. Un gain de 7000 $ !

Je comprends que c’est agréable. Mais est-ce vraiment l’objectif du fractionnement de revenus ? Je ne crois pas.

Ce changement permettrait d’économiser 270 millions à Ottawa et 60 millions à Québec, estime la Chaire.

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Vous me direz que l’approche des élections fédérales n’est pas un moment propice pour retirer des avantages aux retraités.

C’est vrai. Mais la pilule passerait plus facilement si les économies dégagées servaient à remodeler d’autres mesures destinées aux aînés, en aidant davantage la classe moyenne et les gens qui tirent le diable par la queue.

Un exemple ? Beaucoup d’aînés à faibles revenus sont coincés dans une trappe à la pauvreté. S’ils décident de travailler pour arrondir leurs fins de mois, ils sont imposés à 100 %, comme je l’ai déjà dénoncé.

Cette aberration dépend notamment du fait que chaque dollar de revenu leur fait perdre 50 cents de leur Supplément de revenu garanti (SRG). Les salariés peuvent gagner jusqu’à 3500 $ sans impact sur le SRG, un seuil qui pourrait être relevé. Mais cette exemption n’existe pas pour les travailleurs autonomes qui se font gruger leur SRG dès leur premier dollar de revenu. Encore une iniquité qui devrait être corrigée.

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