Société

dans la peau d’un ado autiste

Après avoir exploré les thèmes du suicide et de l’anorexie, Netflix s’intéresse au trouble du spectre de l’autisme (TSA). Beaucoup moins controversée que les séries 13 Reasons Why et To The Bone, la comédie Atypical  est accueillie ici avec beaucoup d’enthousiasme.

UN DOSSIER DE JEAN SIAG

Au cœur de la série Atypical

Il s’appelle Sam, il a 18 ans et il vit avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) – du type Asperger. Hypersensible au bruit et au toucher, il est carrément brillant, mais sur les plans émotif et social, il a d’énormes défis. Le jeune homme, peu enclin à sourire, fait une fixation sur l’Antarctique et les habitudes de vie des manchots, mais il a surtout très, très envie de rencontrer une fille.

Voici en quelques lignes l’argument de la nouvelle série de Netflix créée par la scénariste américaine Robia Rashid (How I Met Your Mother), qui dit s’être inspirée d’une personne de son entourage pour donner vie au personnage de Sam.

« Je me suis rendu compte qu’il y a toute une génération de jeunes qui grandissent en étant tout à fait conscients d’être dans le spectre, mais qui veulent être indépendants, a confié la scénariste au magazine Vulture. C’est ce qui m’a intéressée dans ce projet. De raconter cette quête d’indépendance et d’amour, mais du point de vue d’un adolescent autiste. »

Rendre justice aux personnes autistes

Cette sensibilité au sujet n’est pas étrangère au succès de la comédie dramatique lancée le mois dernier, qui semble avoir trouvé le bon ton.

L’acteur Keir Gilchrist, qui interprète le personnage de Sam (il n'est pas autiste), participe à la narration du récit, permettant ainsi au spectateur de mieux comprendre les comportements et maladresses de son personnage – ses crises, ses manies, sa franchise déroutante, ses stratégies de contournement, etc. Un choix heureux qui résulte d’un immense travail de recherche.

Une spécialiste de l’autisme (Michelle Dean) a d’ailleurs passé au peigne fin chacun des gestes et des répliques de Sam pour éviter les caricatures.

Robia Rashid explique dans cette entrevue accordée à Vulture que ce souci du détail et de la réalité découle d’un désir profond de rendre justice aux personnes autistes, mais aussi à toutes celles qui les entourent. La série explore ainsi la relation des autres membres de la famille Gardner – les parents de Sam, mais aussi sa sœur Casey. Même sa thérapeute y passe.

« J’ai voulu montrer comment les membres d’une même famille étaient affectés par la présence d’un enfant autiste », précise-t-elle.

« C’est une série qui aborde aussi la question de la normalité en nous rappelant que personne n’est tout à fait normal ! »

— Robia Rashid, scénariste et créatrice de la série Atypical

« Et puis je voulais montrer que cette quête d’être compris et aimé et entouré concerne tout le monde », poursuit-elle.

Robia Rashid a déployé beaucoup d’efforts pour doser le contenu dramatique et humoristique de la série, de manière à rendre compte de la réalité des personnes autistes avec respect, mais surtout sans pathos. Des personnages secondaires se greffent à la famille Gardner, dont le très divertissant collègue de travail de Sam, Zahid, et sa blonde, Paige, insupportable !

Dans le dernier épisode, Sam pète les plombs après avoir été rejeté par un des personnages-clés de la série. Une scène crève-cœur où il s’effondre dans un bus. La scénariste confie avoir sangloté durant le tournage de la scène. Mais dans le dernier segment du même épisode, elle a écrit une scène hilarante qui se passe dans un igloo. Comme quoi drame et comédie peuvent cohabiter.

Les coquilles

Réalité

Le personnage de Sam porte des coquilles – casque antibruit – dans les huit épisodes de la série. Est-ce vraiment aussi systématique ? « Ça dépend des gens, nous dit Dominic Daunais, éducateur spécialisé et consultant TSA à la clinique montréalaise Autisme et Asperger. Chacun a un comportement différent. Mais oui, l’hypersensibilité au bruit est fréquente. » Selon la psychologue et sexologue Isabelle Hénault, de 50 à 60 % des personnes avec un TSA ont des hyper ou des hyposensibilités. « Les bruits soudains, les bruits de fond peuvent poser problème », confirme-t-elle. Dans une scène magique d’Atypical, on assiste à une « danse silencieuse ».

L’absence de sourire

Réalité

Rares sont les moments où l’on voit le personnage de Sam sourire. Est-ce vraiment si fréquent ? Marie-Josée Cordeau, qui est elle-même atteinte du trouble du spectre de l’autisme, se rappelle qu’au même âge, elle non plus ne souriait pas. « C’est comme s’il y avait un décalage entre ce que je pensais et mon langage non verbal. » Elle a particulièrement apprécié la scène où la thérapeute de Sam lui explique comment sourire à une fille qui l’intéresse. Son rictus est tellement artificiel qu’elle lui demande de « réduire » son sourire de 70 %.

La lubie de l’Antarctique

Réalité

L’Antarctique, la banquise, les manchots, Sam fait une fixation sur ces sujets, qu’il connaît en profondeur. Ça arrive souvent ? « Oui encore, nous dit Dominic Daunais. Quand un sujet les intéresse, ils peuvent approfondir leur recherche au point d’avoir un savoir encyclopédique. Que ce soit sur les trains, les dinosaures, peu importe. Ils vont connaître leur sujet de façon exagérée. » Marie-Josée Cordeau, elle, se souvient d’être tombée dans la marmite de la poésie, en se lançant dans une lecture boulimique de Rimbaud et Verlaine.

Les crises de colère

Réalité

Dans quelques-unes des scènes d’Atypical, Sam perd les pédales. Que ce soit en repoussant une fille qui le caresse doucement ou dans un moment de grande tension pour lui, lorsqu’une spectatrice (assise devant lui) balance sa queue de cheval sous son nez. Ses accès de colère ont-ils été exagérés ? « La gestion des émotions – incluant la gestion de la colère – est l’un des grands défis des personnes autistes, nous dit Dominic Daunais. Lorsque quelque chose les dérange, ils peuvent avoir des comportements imprévisibles. Mais en leur donnant des outils (souvent des actions répétitives), ils arrivent à trouver le moyen de s’apaiser. »

L’autisme et la sexualité

Isabelle Hénault, psychologue et sexologue, a conçu un programme éducatif sociosexuel adapté aux personnes autistes. Elle nous offre son point de vue sur le désir d’amour et de sexe du personnage de Sam.

Cet intérêt pour les affaires de cœur est courant, n’est-ce pas ?

Absolument. La très grande majorité des adolescents et adultes TSA avec lesquels je travaille ont le désir d’avoir un amoureux ou une amoureuse et, en général, leur partenaire est neurotypique (non atteint du TSA). Leur désir est similaire à celui de n’importe quel ado de l’âge du personnage de Sam.

Quelle est la particularité des personnes dans le spectre de l’autisme, alors ?

Il y a souvent un décalage entre leur désir et leur maturité affective. Ils sont aussi souvent maladroits, trop directs et ils manquent d’expérience. Il faut leur enseigner certaines habiletés sociales, leur parler de consentement. Il faut être très concret avec eux. On fait des jeux de rôles avec eux pour les préparer à une rencontre amoureuse.

Est-ce possible qu’ils perdent intérêt dans leur quête amoureuse ?

Pas plus que n’importe qui d’autre. S’ils ont vécu plusieurs échecs amoureux, ils pourraient vivre des épisodes d’anxiété ou de dépression qui provoqueront des blocages. Mais c’est habituellement temporaire. Plus ils apprendront à être habiles socialement, moins ils feront d’erreurs.

Quels sont les autres défis des personnes autistes ?

Un des défis est de maîtriser leur hypersensibilité au toucher ou aux odeurs. Il se peut qu’ils préfèrent les touchers plus profonds, plus fermes. Ils doivent apprendre à le communiquer à leur partenaire. Parfois, c’est les odeurs corporelles qui sont en jeu, donc ils doivent trouver le moyen de l’exprimer.

La peine d’amour est-elle vécue plus ou moins durement que chez une autre personne ?

Tout le monde est à risque à partir du moment où on prend l’initiative d’entrer en relation avec quelqu’un, ça fait partie de la vie. On peut par contre les préparer à un refus, pour qu’ils ne réagissent pas de façon agressive ou inappropriée. Le risque est beaucoup plus de surprotéger son enfant. Il faut les protéger, mais par l’éducation.

Une fiction réaliste

Ils savent de quoi ils causent. Parce qu’ils ont un enfant autiste, parce qu’ils sont eux-mêmes autistes ou parce que ce sont des spécialistes du TSA. Nous leur avons demandé quelle était leur appréciation de la première saison de la série Atypical

Dominic Daunais

Éducateur spécialisé et consultant TSA à la clinique montréalaise Autisme et Asperger

« J’avoue qu’avant de voir la série, j’avais des appréhensions, explique Dominic Daunais. Mais le comportement de Sam est très fidèle à ce qu’on voit en clinique. On sait que le spectre est large, mais il y a plusieurs caractéristiques qui sont très bien exposées. Que ce soit son hypersensibilité au bruit ou au toucher, sa difficulté à décoder les émotions, son besoin d’établir des règles, ses maladresses sociales, la recherche a été très bien faite. » Dominic Daunais estime que la série est une belle occasion de démystifier certains comportements observés chez des personnes dans le spectre de l’autisme. « La plupart des gens que l’on voit à la clinique sont assez unanimes pour dire que ç'a été très bien fait. »

Marie-Josée Cordeau

Blogueuse et conférencière

A eu un diagnostic tardif d’autisme (Asperger) à l’âge de 45 ans.

Marie-Josée Cordeau se réjouit de voir une série avec un personnage autiste qui renvoie une autre image que celle de Rain Man. « Le fait que ce soit une comédie est aussi intéressant, parce que oui, comme personne autiste, j’ai des difficultés, mais ce n’est pas tout noir. » Elle-même se rappelle ses maladresses sociales et sa franchise un peu rêche quand elle avait 18 ans. « Je me souviens d’une entrevue où je me suis levée au milieu de la conversation. Je leur ai dit que je n’étais pas intéressée par le poste et je suis partie ! » Elle s’est également reconnue dans les crises d’anxiété de Sam (la scène de l’autobus).

Laurence Nadeau

Mère d’un enfant autiste de 9 ans

Laurence Nadeau avoue avoir eu des craintes avant de regarder la série. « Parfois, c’est mal fait, c’est plein de clichés, souligne-t-elle, mais ce n’est pas du tout le cas. J’ai été prise de plaisir en regardant cette série. J’ai beaucoup rigolé, surtout quand Sam a l’idée d’amener une fille dans un magasin d'électronique pour voir la luminosité des écrans ! J’ai deux autres enfants, donc j’ai apprécié de voir la dynamique familiale, notamment avec la sœur de Sam [Casey], qui a une maturité très grande. » Si elle n’a pas encore été témoin des élans amoureux de son fils, elle a reconnu plusieurs traits caractéristiques chez Sam, même s’il y a des différences avec son fils, plus « cajoleux ». « La relation qu’il a avec son ami [Zahid] est aussi très intéressante, parce que les personnes autistes ont besoin d’avoir un traducteur social. »

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