Magalie Lépine-Blondeau

Artiste populaire

Magalie Lépine-Blondeau a remporté dimanche dernier deux prix à la 33soirée Artis. En plus de celui de l’interprète féminine dans une série dramatique pour son rôle de Nadine dans District 31, la comédienne a été sacrée Personnalité féminine de l’année. Discussion sur la popularité.

J’ai eu l’impression, en te voyant nommée Personnalité féminine de l’année, que c’était beaucoup à absorber. Je voulais te parler de ton rapport à la popularité. Tu as dit en montant sur scène : « Je n’ai jamais été quelqu’un de populaire, ni quand j’étais enfant ni quand j’étais ado… »

J’étais même aux antipodes de ça, je te dirais…

Par choix ?

Non. Pas nécessairement. Je n’ai jamais fait l’effet d’un aimant sur les gens. Je comprends que c’est lié à ma nature profonde.

Parce que tu es beaucoup dans ta tête ?

De moins en moins. Mais je l’ai été. C’était mon refuge, mon imaginaire. Mais par moments, c’était peut-être aussi une forme d’emprisonnement.

Le gala Artis, dans le fond, c’est un concours de popularité…

Si on se dit la vérité, c’est exactement ça !

Et donc, c’est ironique de gagner tout à coup un concours de popularité ?

J’ai plein de sentiments partagés. Il y a une partie de moi qui trouve ça franchement ironique, rigolo, étrange. Je suis submergée par une multitude d’émotions contradictoires, mais je mentirais si je te disais que je ne le reçois pas tout de même comme une tape dans le dos. Ça fait l’effet d’une surprise et je ne comprends pas trop ce à quoi ça correspond véritablement.

En montant sur scène, tu as dit : « On ne se connaît pas, vous et moi », en laissant entendre que c’était plus un prix pour ton personnage que pour ta personne. Ça me semble une façon lucide de voir les choses…

On ne peut pas dissocier ce prix-là du personnage de Nadine. De son omniprésence. J’ai accompagné l’intimité des gens à l’heure du souper, qui est une heure familiale, quatre jours par semaine pendant des mois. Il y aurait un manque d’humilité de ma part de ne pas comprendre que c’est lié au personnage. En même temps [elle hésite]… c’est tellement bizarre parce qu’on m’a souvent fait comprendre que l’image que je semblais projeter n’en est pas une à laquelle j’ai l’impression de correspondre. C’est-à-dire une fille hautaine, distante, snob. On me parle souvent de mon côté discret, secret. Et c’est sûr que c’est une forme de protection, tout ça. Je n’ai jamais eu l’impression de correspondre, en tant que personnalité, à ce que les Québécois aiment. Ça ne me dérange pas, parce que j’exerce mon métier et qu’on l’accueille. Au final, c’est ce que je souhaite.

Tu parles de l’anti-intellectualisme des Québécois ? Du regard suspicieux que certains portent sur les personnalités publiques qui ont du vocabulaire ?

Je parle de ce volet-là, oui, mais aussi du fait que de ne pas inviter les gens dans ma cuisine démontre pour certains un manque de reconnaissance quant à l’intérêt qu’on pourrait me porter. Ce prix-là fait en sorte que depuis quelques jours, je parle beaucoup de moi alors que je ne suis pas tellement mon sujet préféré ! [rires]

Crains-tu que cette nouvelle popularité change les choses ?

Je l’ai craint, avant le début de District 31. Je savais que l’aspect quotidien du projet changerait un peu les choses. Je l’ai apprivoisé doucement, parce que le travail a voulu que je sois totalement en retrait de la vraie vie pendant pratiquement un an. Je n’offrais pas d’entrevues, je ne sortais pas. Je n’ai pas été vraiment en contact avec ce public, que l’on disait si vaste et fan de la série. Après, ça a été un choc quand j’ai réintégré le monde ! [rires] Et ça s’est rééquilibré depuis. Je suis agréablement étonnée de la délicatesse avec laquelle on m’approche la plupart du temps. Le respect que l’on a de cette bulle que j’ai besoin de préserver autour de moi.

Qu’est-ce qui a changé ?

Les regards se retournent davantage. C’est un phénomène étrange, la popularité, d’autant qu’elle se meut. Te souviens-tu de Paris Hilton ?

Famous for being famous

J’ai l’impression qu’on assistait avec elle aux balbutiements de ce phénomène-là, qui est de plus en plus répandu. Aujourd’hui, tout le monde peut prétendre à une popularité en se mettant en scène. Mais c’est une popularité qui ne véhicule aucune valeur. Ça me fait peur pour les plus jeunes, parce que ce qu’on envoie comme message, c’est que l’image prévaut sur la matière, le talent, l’intelligence. Il n’y a aucune pérennité à ça. On confond les « likes » avec de l’amour. C’est flatteur, la reconnaissance. Mon métier n’aurait pas de sens sans l’œil du public. Mais je ne confonds pas la reconnaissance avec de l’amour. L’amour, ça vient des gens qui te tendent la main quand tu as trébuché, qui ne t’oublient pas quand les projecteurs ne sont pas rivés sur toi.

Il y a un décalage entre être sacrée Personnalité féminine de l’année au gala Artis et ce que tu vis quotidiennement dans ton métier ? L’année post-District 31 n’a pas été la plus faste…

C’est sûr que c’est ironique ! Au terme de l’année la plus occupée de ma vie, j’ai vécu l’année professionnelle la plus désertique. Ça m’a fait traverser toutes sortes de phases. Je me suis vraiment demandé, très sincèrement : est-ce que c’était juste ça ? Et par « juste », je ne veux pas diminuer l’importance que ce rôle-là a eue dans ma vie, mais j’ai 35 ans et j’ose espérer que les plus beaux et les plus grands défis sont encore devant moi ! En même temps, peut-être que c’est sain et que ça me force à une réflexion nécessaire. Est-ce que je me définis seulement par mon travail ? Il faut aussi cultiver autre chose. En plus, je suis une femme. Ce n’est pas banal dans ce métier-là.

De façon générale ?

De façon générale. D’abord, parce que les rôles sont moins nombreux. Ensuite, parce que le salaire n’est pas le même. La discussion collective qu’on a est de bon augure. Le simple fait d’en débattre, c’est déjà une avancée. Aussi, parce qu’il y a une intransigeance envers les femmes. Il y a des comportements que j’observe chez mes collègues masculins qui ne seraient jamais tolérés de la part d’une femme.

Par exemple ?

On interprète rapidement les demandes des femmes comme des caprices. Il y a aussi tout l’aspect physique. On croit encore, parce qu’on nous l’a répété pendant des millénaires, que notre meilleur atout est notre beauté. On est les premières à s’en vouloir quand on la sent disparaître, nerveuses de perdre notre place.

Et pourtant, on te retrouve souvent dans les palmarès des plus belles femmes du Québec…

Ça, c’est drôle ! Je n’ai jamais eu l’impression de correspondre à ça. Je n’ai jamais cru que j’étais assez belle pour pouvoir miser là-dessus. Ce n’est pas une confiance que j’avais ! Je trouve que dans ma feuille de route comme actrice, ce n’est pas tellement ça que j’ai mis de l’avant. J’ai essayé d’éviter tous les pièges, même si des fois c’était alléchant parce que j’avais besoin et envie de travailler. Presque toujours, j’ai eu de la chair autour de l’os, quelque chose à jouer. Oui, il a fallu que je me dénude. Même si je suis une fille archipudique. Je ne sais pas quelle carrière j’aurais eue si je ne l’avais pas fait, simplement parce que mes rôles auraient été vraiment moins nombreux.

Tu sentais cette pression-là ?

Une femme dans la vingtaine, le rôle qui lui est offert la plupart du temps, c’est d’être l’intérêt amoureux du personnage masculin. Ça vient avec des scènes d’intimité. Si j’avais refusé, je n’aurais pas fait Tu m’aimes-tu ?, 19-2, La reine-garçon, Un tramway nommé Désir

Tu parlais des rôles qui sont moins nombreux pour les femmes. Il y a aussi de plus en plus d’acteurs non professionnels à qui l’on confie ces rôles. Tu as fait l’École nationale de théâtre. Comment vois-tu ça ?

Je suis peut-être un dinosaure, mais je crois énormément à la formation. Comprends-moi bien : une formation, ce n’est pas garant d’avoir du talent, et il y a plein d’acteurs qui font une formation et qui n’arrivent pas à faire le métier pour X raisons. Tu passes trois ou quatre ans à non seulement travailler ta matière constamment, mais aussi à réfléchir à l’artiste que tu veux être. À être en présence de textes où l’évidence n’est pas écrite. Où tu comprends, en lisant Sophocle, Racine ou Shakespeare, l’origine du monde et les grands archétypes des personnages qu’on retrouve dans toute la culture populaire. C’est comme si on nous envoyait comme message que…

La formation d’acteur n’avait pas tant de valeur ?

Et que de dire de façon juste, c’est suffisant pour être un acteur. Alors que de ne pas fausser, ça ne fait pas de toi un chanteur. J’ai l’impression que mon métier, c’est habiter des silences, c’est avoir assez de référents pour être capable de donner une substance à un personnage qui n’en a peut-être pas à la base. C’est être capable d’avoir une ampleur même dans le chuchotement. Et je ne sais pas comment j’aurais pu acquérir tout ça sans le temps que cette formation m’a offert pour réfléchir le monde. Les choses ont beaucoup changé. C’est sûr que c’est confrontant. Ça renvoie à cette notion de popularité dont on parlait au début. Qu’est-ce qui reste quand le vernis de la popularité craque ?

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