OPINION

LOI SUR LA LAÏCITÉ Un bien pauvre projet de société

Nous avons appris dans La Presse+ la semaine dernière que le ministre Simon Jolin-Barrette prépare un projet de loi sur la laïcité qui sera assorti de deux mesures afin d’en assurer l’adoption rapide.

L’une serait une clause de droits acquis selon laquelle aucun employé de l’État ne perdrait son emploi. L’autre serait une clause de dérogation. Celle-ci soustrairait la loi à toute contestation sous les chartes des droits et libertés. Loin d’être purement techniques, ces mesures seraient conséquentes et elles méritent un examen approfondi.

Clause de droits acquis

La clause de droits acquis, connue sous le nom de « clause grand-père », protégerait les employés de l’État qui seraient autrement visés par la loi. Au sein du gouvernement, toujours selon le journaliste, on craint l’apparition d’une « madame Lazhar » voilée dont le congédiement inspirerait une grande sympathie populaire.

Il serait toutefois erroné d’imaginer qu’une telle clause immunise la loi Jolin-Barrette contre des conséquences humaines injustes, concrètes et visibles.

Il n’y a pas nécessairement une ligne étanche entre les employés actuels et futurs. Que serait le sort de ceux et celles qui sont déjà en cours de route vers les occupations dites « d’autorité » que toucherait la loi ? Il suffit de penser à Sondos Lamrhari, la jeune femme montréalaise de 18 ans qui est inscrite en techniques policières au Collège Ahuntsic et qui a fait la manchette le printemps dernier. Pensez aussi aux étudiants inscrits dans les facultés des sciences de l’éducation.

En outre, il vaut la peine de scruter le message qu’enverrait la loi Jolin-Barrette aux minorités religieuses. La loi dirait à certains enfants de ne pas rêver à devenir enseignant ou policier. L’effet de la loi serait de réserver un groupe d’emplois payés à même des fonds publics – d’ailleurs, la plupart d’entre eux sont de bons boulots syndicalisés – aux gens qui n’osent pas manifester leur appartenance religieuse. Il s’en suivrait que certains Québécois auraient moins de chances de se voir représentés chez ceux et celles qui incarnent l’autorité de l’État.

Il est par ailleurs prévisible que le message de la loi en outrepasse les effets directs. Un sentiment de rejet pourrait être éprouvé par les membres de groupes religieux qui n’affichent pas de symboles religieux. Puisque c’est indéniable qu’une anxiété envers les musulmanes anime le processus législatif, même les musulmanes qui n’affichent aucun symbole religieux risquent de recevoir un message de méfiance.

Notons en passant que c’est un drôle de moment pour mettre en œuvre une telle politique. Le Québec souffre d’une pénurie d’enseignants. Il peine à diversifier la fonction publique.

Lorsque le bas taux d’intégration des minorités visibles au marché de travail freine notre productivité, le gouvernement s’apprête à limiter les possibilités d’emplois pour une cohorte qui est composée notamment de telles minorités.

Clause dérogatoire

Un rappel de la structure de nos chartes, tant québécoise que canadienne, s’impose. Les droits et libertés qui y sont enchâssés ne sont pas absolus. L’État peut les limiter dans la mesure où la loi répond à un problème urgent et réel, et cela, par des mesures proportionnées. Autrement dit, les limites raisonnables et justifiables aux droits et libertés sont permises.

L’inclusion d’une telle clause en amont de toute contestation judiciaire suggère donc un aveu que le gouvernement ne peut convaincre un magistrat québécois de son bien-fondé. Cet aveu n’est guère surprenant : apparemment, les avocats au ministère de la Justice disent à l’unanimité que la loi envisagée ne se conformerait pas aux chartes en raison de sa limitation injustifiable de la liberté de culte.

Ainsi, la clause de dérogation s’avère nécessaire pour immuniser la loi contre son échec anticipé devant les tribunaux.

C’est un projet de société bien appauvri qui consiste à fermer des avenues d’emploi aux gens minoritaires qui ne désirent que travailler au service de l’intérêt public.

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