FERTILITÉ ET SOCIÉTÉ

Réflexions d’une femme de théâtre « dopée aux hormones »

Dans son studio de répétition du quartier Hochelaga-Maisonneuve, Véronick Raymond nous accueille derrière un amoncellement de ses propres déchets médicaux qu’elle collectionne pour documenter sa recherche artistique et personnelle : des boîtes de fioles, des dizaines de seringues, des tests d’ovulation…

La volubile comédienne et metteure en scène nous présente un tutoriel en accéléré sur l’impact du resvératrol sur la qualité des embryons, l’apport de l’acide folique, l’arôme distinctif du Suprefact (« ça sent le char neuf »), les conséquences sur son corps de 43 ans de toutes ces potions fertilisantes qu’elle s’est auto-administrées dans les 19 derniers mois.

Bienvenue au royaume méconnu de la fécondation in vitro.

« Tu te retrouves avec des bleus partout sur le corps, t’es à bout, avec tous les symptômes possibles, des nausées, des maux de tête, des sautes d’humeur, des réactions aux odeurs, tu prends du poids. Et les seins qui te font tellement mal ! »

— Véronick Raymond

Véronick Raymond prend son expérience personnelle comme matière brute pour la création théâtrale.

Du 9 au 18 juin, à l’occasion du Festival Fringe, cette femme de théâtre « dopée aux hormones » monte sur la scène du MAI (Montréal, arts interculturels) et raconte sans économie de détails, avec projections à l’appui, son épopée en cours (elle vient de subir sa dernière ponction ovocytaire), dans le spectacle InVitro (ou comment ne pas faire de bébé).

C’est au début de la quarantaine que Véronick Raymond a cogné à la porte d’une clinique de fertilité, avec un désir mûri d’enfant, une carrière établie, une belle confiance en la solidité de son couple et un enthousiasme à toute épreuve. Trois ans, une « hypothèque de 50 000 $ sur son utérus » et des centaines d’injections plus tard, son parcours « encore sans bébé » la laisse avec une tonne de questions et de critiques sur notre façon, comme société, d’envisager la fertilité.

Celle qui s’est métamorphosée en fabrique de vie en a beaucoup, beaucoup à raconter sur le monde finalement très opaque de la procréation assistée.

« J’ai vu plusieurs amies en état de détresse avancé, après avoir fait des fausses couches en série, conséquences d’implantations destinées à l’échec. Ici au Québec, je me rends compte à quel point on n’a pas vraiment réfléchi à la question de la fertilité. La réalité, c’est que l’infertilité est passée d’un couple sur douze à un couple sur six, en 30 ans. Et en 2045, ce sera un couple sur trois, si on ne fait rien… », soulève celle qui signe un billet d’humeur hebdomadaire à l’émission de radio Les éclaireurs, et qui a mis son esprit scientifique à contribution dans sa propre démarche pour tomber enceinte.

La main de Dieu, la part d’Ovo

« On nous parle beaucoup de notre environnement, mais ce qui se passe dans notre corps, on préfère ne pas le regarder. Et je suis tellement tannée d’entendre des phrases abrutissantes comme “lâche prise”, “il y a plein de madames qui adoptent et tombent enceinte en même temps” ou “la nature fait bien les choses”. Mais aucune étude ne prouve tout ça ! », s’emporte Véronick Raymond.

Entre la culpabilité infligée à celles qui ont trop « attendu » pour se reproduire ou celles qui choisissent de ne pas devenir mères, l’infertilité « sociale » (l’homoparentalité, la monoparentalité « choisie »…), un manque de connaissances éclairées sur la fertilité, les idées fausses lancées à l’emporte-pièce, la prise en charge du corps des femmes par l’industrie de la fertilité… Véronick Raymond ne manque pas de matériel pour son spectacle solo, qui est un parcours théâtral ouvert et évolutif.

« Avec l’espérance de vie qui est prolongée, il est normal que certains événements, comme faire des bébés, soient retardés. Mais la biologie ne s’adapte pas. »

— Véronick Raymond

« Sans compter que certains de nos choix de société font que nous arrivons dans la vie active plus endettés, que nous prenons plus de temps à avoir un logement à nous et à réunir de bonnes conditions pour avoir un enfant », ajoute celle qui dit qu’elle aurait peut-être fait les choses autrement (comme congeler ses ovules) si elle avait été mieux informée dans sa vingtaine.

Dans InVitro (ou comment ne pas faire de bébé), Véronick Raymond se fait donc à la fois héroïne et communicatrice scientifique, et explique pourquoi elle a demandé de subir un processus d’accumulation d’embryons, qui lui a semblé plus garant de succès que le protocole habituel réalisé par les cliniques montréalaises.

À travers le théâtre, sa forme artistique préférée depuis l’école secondaire, la codirectrice d’Absolu Théâtre promet ainsi de lancer plusieurs questions éthiques qui, ultimement, ouvrent sur LA grande considération philosophique, personnelle et sociale : « Pourquoi fait-on des bébés ? »

Comme quoi, quand la procréation fait défaut, il y a la créativité pour prendre le pas sur la fertilité.

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