Chronique

Au moins, on a Plekanec

Cher P.K.,

Ce n’est pas toi. C’est le CH.

Le Canadien n’aime pas quand ça fait trop d’étincelles. Le Canadien n’aime pas les joueurs qui détonnent. On l’oublie parce que le CH surfe encore sur sa légende de Flying Frenchmen, d’équipe primée et abonnée aux parades printanières. Mais le Canadien est aussi le club qui a échangé Patrick Roy, un autre fort en gueule qui savait assurer le spectacle. Ton échange survient aussi 26 ans après celui de Chris Chelios.

Mon cher P.K., tu as été le non-goaler le plus spectaculaire du Canadien depuis Guy Lafleur. Tu assurais le spectacle, tu insufflais une joie de vivre et une énergie pas possibles dans l’aréna. Ça n’a pas été suffisant pour que ce club morne t’aime. Trop ceci, pas assez cela, il paraît même que tu mettais le volume de la musique trop fort dans le vestiaire. Même les anciens picossaient, même Guy Lafleur trouvait que tu avais besoin de Ritalin, juste pour te dire comment tu ne fittais pas ici : même le rebelle Démon blond ne te piffait pas…

Au fond, P.K., tu es un joueur de soccer, un joueur de basket perdu dans le monde du hockey : dans ces sports, la manière compte, la célébration n’est pas un tabou. 

Au hockey, sport conservateur qui n’est toujours pas certain d’aimer la spectaculaire fusillade, tu le sais aussi bien que moi : les joueurs, on les préfère cachant leur joie, célébrant simplement en levant les bras et, de préférence, un seul.

Mon cher P.K., toute la ville te pleure, ou presque. Il ne s’agit pas de dénigrer Shea Weber, un super bon joueur, qui arrive ici à 30 ans, auréolé d’une super réputation. Peut-être que M. Weber est la pièce qui manquait au puzzle montréalais, peut-être que si lui, dans le vestiaire, met la musique à un volume convenable, c’est-à-dire moins élevé que toi, peut-être que Pacciorety va enfin exploser ! Qui sait…

Je pense que la ville te pleure parce que même si cette ville adore son club, elle sait que c’est un petit club moyen depuis 20 ans. Un petit club qui définit le « succès » comme une qualification dans les séries, peut-être une victoire en première ronde. Toi, dans cette beigitude flirtant avec la médiocrité, tu étais étincelant, tu étais Elvis sur la glace, un rocker en patin. C’est pour ça qu’on te pardonnait ces vilains revirements. Tant qu’à être moyen, tant qu’à rater les séries, tant qu’à ne rien oser… Il y avait toi.

Elvis ? Ce n’est pas la première fois que je dis que tu es Elvis sur des patins. Parce que tu détonnes, tu es rock and roll, tu fais suer certains coincés. Et là, P.K., tu t’en vas où ? Nashville ! Ça ne s’invente pas. Vont être all shook-up.

Mon cher P.K., je suis content que tu partes, au fond. Peut-être que Marc Bergevin a réalisé une transaction de génie qui va nous faire dire, dans un an, P qui ? Mais on savait tous que l’entraîneur ne t’aimait pas, on savait tous que le DG t’avait quasiment mis sur Kijiji pour se débarrasser de toi. C’eût été un peu plate pour toi de revenir porter ce maillot, te sachant si peu désiré.

Tu pars, P.K., mais MaxPac reste.

Ainsi que le coach.

Et Plekanec, oui, au moins on a Plekanec, le courant d’air en col roulé, personne ne le remarque, même quand vient le temps de distribuer les blâmes. Mais il est stoïque, et il ne dérange sûrement personne dans le vestiaire. On se doute aussi que ses choix de musique incitent à la détente, le genre à aimer mettre une ballade de Richard Marx avant les matchs. Ça va aider le coach à se concentrer, à trouver ce qui cloche avec l’attaque à cinq. Enfin !

P.K., merci pour ce but quand tu es sorti du cachot, dans les séries contre Boston en avril 2014. J’étais assis derrière le filet, à quelques mètres de toi, quand tu as déculotté Rask. 

Ce n’était pas du sport, c’était une œuvre d’art. Pas le but, je veux dire, mais l’ensemble : la manière, le moment, le suspense, le drame…

Mon fils n’a pas vu un but, ce soir-là, il a vécu un moment de grâce. Le sport peut être cela, le hockey aussi. Avec notre gardien en porcelaine, tu savais en insuffler, de la grâce, sur la glace. On t’aimait pour ça.

Mon fils… Cher P.K., je sors quelques minutes pour écrire ma tristesse sur mon iPhone dans un pays où on se fiche du hockey. Il y a au moins deux âmes en peine dans ce pays, parce que tu t’en vas faire tourner des rondelles sur ton nez dans un État où il n’y a pas de banquise. Mon fils n’y croit pas, à ton départ. Là, il dort. Mais avant d’aller au lit, il espérait que ce ne soit qu’un mauvais rêve, cette histoire d’échange à Nashville…

Il n’est pas le seul.

Mais bon, c’est juste du sport, on va tous s’en remettre, on va tous finir par pardonner au CH, aussi : on lui pardonne tout, toujours.

Cher P.K., bon voyage.

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