Chronique

Avant de se traiter de racistes

« Message d’intérêt public : la Gazette ne veut pas publier cette caricature sur la CAQ et le KKK. Qu’en pensez-vous ? L’auriez-vous laissée passer ? »

J’ai sursauté en voyant la caricature publiée par Terry Mosher, alias Aislin, dans les réseaux sociaux, jeudi soir. Une caricature injurieuse faisant un parallèle entre la Coalition avenir Québec et le Ku Klux Klan. Comparer un gouvernement élu à un mouvement suprémaciste blanc ultraraciste et violent, ce n’est ni juste, ni drôle, ni d’intérêt public. C’est une condamnation sans appel.

À la question « L’auriez-vous laissée passer ? » posée par le caricaturiste, je réponds donc sans hésiter : non, je ne l’aurais pas publiée. Pour les mêmes raisons invoquées par la rédactrice en chef du Montreal Gazette, Lucinda Chodan, en entrevue avec mon collègue Philippe Teisceira-Lessard. « Je ne pensais pas que c’était juste ou responsable de publier une caricature faisant un parallèle entre le gouvernement du Québec élu démocratiquement et un groupe terroriste qui a assassiné des milliers de gens. »

On comprend que le rôle d’un caricaturiste de presse est de porter un regard critique et satirique sur l’actualité en exagérant. Mais il y a bien sûr des limites à ne pas franchir. Même si on est Charlie.

Est-ce un cas de censure ? Non. C’est une question de jugement. En refusant de publier ce dessin, la rédactrice en chef du quotidien Montreal Gazette a tout simplement bien fait son travail.

Terry Mosher n’en est pas à sa première controverse du genre. Ses dessins n’ont pas toujours versé dans la subtilité et le bon jugement. On n’a qu’à penser à ses caricatures de Louise Beaudoin qui la faisaient passer pour une dominatrice habillée de cuir aux airs de louve des SS – ce qui n’était pas son intention, a déjà plaidé le caricaturiste. « Bien que je me sois beaucoup amusé aux dépens du Parti québécois, il reste quand même qu’il s’agit d’une entité gouvernementale élue démocratiquement. Je n’aurais donc aucun intérêt à comparer les péquistes à des nazis (et ce, à l’encontre de ce que font d’autres commentateurs plus engagés dans les médias anglophones comme, par exemple, Howard Galganov) », écrivait-il en 1998.

Quelle mouche a donc piqué le caricaturiste pour qu’il en vienne à comparer cette fois une autre entité gouvernementale élue démocratiquement au KKK ? Je l’ai appelé hier pour essayer de comprendre. Terry Mosher m’a expliqué que cette caricature lui avait été inspirée par la controverse autour du projet de loi de la CAQ sur le port des signes religieux. 

« Personnellement, la façon dont les gens s’habillent, je m’en fiche. Et selon moi, il y a un élément de racisme dans la position très ferme de la CAQ sur cette question. »

— Terry Mosher

Terry Mosher dit qu’il savait très bien que sa caricature ne serait pas approuvée pour publication dans le Montreal Gazette, où il est pigiste. S’il a jugé bon de la publier lui-même dans les réseaux sociaux (avant de finalement la retirer hier soir), c’est pour provoquer un débat. « Comme caricaturiste, j’ai exagéré, c’est vrai. Mais cela a suscité une fantastique discussion. »

Mais peut-on parler de simple « exagération » lorsqu’on compare un gouvernement élu démocratiquement à un mouvement ultraraciste qui a tué des Noirs en les lynchant ? Ne pense-t-il pas au contraire que la caricature va tellement loin qu’elle met fin à toute possibilité de discussion ? « Je vous accorde que c’est vraiment exagéré et que je suis probablement allé trop loin. Il ne s’agissait pas de prendre le message au pied de la lettre. Je ne crois certainement pas que les membres de la CAQ sont tels des membres du KKK ni qu’ils emploieraient leurs méthodes. Si des gens ont été peinés par ce dessin, je tiens à m’excuser. »

Il avoue qu’il a fait le dessin sur un coup de tête. « L’objectif, c’était de mettre en lumière le fait que les politiques de la CAQ peuvent être perçues comme racistes. »

En discutant avec le caricaturiste, ce qui m’a frappée, c’est le fossé abyssal entre francophones et anglophones lorsqu’il est question du port des signes religieux. De façon générale, il y a vraiment une incompréhension entre les Québécois et les Canadiens anglais autour de ces enjeux.

Comment expliquer qu’une plus grande proportion de Québécois que de Canadiens anglais veulent restreindre le port de signes religieux ? La réponse simpliste consiste à croire que ce n’est qu’une question de xénophobie, qui serait plus répandue au Québec qu’ailleurs au pays. Mais une étude publiée récemment dans le Canadian Journal of Political Science montre que cette différence d’attitude s’explique plutôt par une conception fondamentalement différente des valeurs sociales libérales.

Au Québec, un citoyen qui adhère à de telles valeurs a tendance à approuver des restrictions au port de signes religieux. Ailleurs au Canada, un citoyen qui adhère à ces mêmes valeurs sociales libérales risque davantage de s’opposer à toute restriction sur le port de signes religieux.

Cela ne veut pas dire que la xénophobie ne joue aucun rôle dans le débat sur les signes portés par des minorités religieuses. Elle façonne l’opinion publique sur ces enjeux au Québec comme dans le reste du pays. Mais elle ne la façonne pas plus ici qu’ailleurs. D’où notre dialogue de sourds sur ces questions, comme l’observait, en entrevue au Devoir, Antoine Bilodeau, professeur de science politique à l’Université Concordia et coauteur de l’étude. « Dans la dynamique canadienne-anglaise, l’essentiel des gens qui veulent restreindre les symboles religieux, ce sont des gens qui sont mal à l’aise avec la diversité ethnoculturelle, alors qu’au Québec, ce n’est pas seulement ça. »

À méditer avant de se traiter mutuellement de racistes.

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