Marc Séguin

Paroles d’avenir

Le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et le Festival du Jamais Lu ont donné carte blanche à l’artiste Marc Séguin pour un événement baptisé La diseuse de bonne aventure dont les trois seules représentations affichent complet. Séguin a invité neuf personnalités issues de multiples horizons à parler d’avenir. Seront réunis les Robin Aubert, Jean-Martin Aussant, Rose-Aimée Automne T. Morin, Fabien Cloutier, Charles-Antoine Crête, Natasha Kanapé Fontaine, Safia Nolin, Joëlle Paré-Beaulieu et Maude Veilleux. En attendant la première, ce soir, Marc Séguin répond à nos questions.

Comment sont nés l’idée et le sujet de la soirée, soit l’anticipation de l’avenir ?

Le mérite revient au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et au Festival du Jamais Lu. Ils m’ont pressenti pour me donner carte blanche sur l’anticipation. Je les ai rencontrés au printemps… je m’y suis rendu à pas de souris pour les écouter. J’avais 10 jours pour réfléchir. Puis est née l’idée de donner la parole à des gens sur l’avenir. Le théâtre documentaire existe depuis des décennies, mais il semble de plus en plus pertinent aujourd’hui. Il y a quelque chose dans le théâtre classique qui est devenu un peu ampoulé. Nous n’avons pas fait le tour, mais il y a une autre façon de parler aux gens. J’ai déjà été « priseur » de parole au FTA [Festival TransAmériques] et au Combat contre la langue de bois, et j’ai vu la portée que cela pouvait avoir.

Auriez-vous pu croire qu’on remette en question un jour le fait d’avoir des enfants, vu l’avenir sombre de la planète ?

Tu sais quoi ? Dans le désir de survie, c’est l’une des pulsions les plus fortes. Les humains veulent autant survivre que les virus ou les rats. La seule façon est de se reproduire et de trouver des solutions à la patente… On ne peut pas abdiquer.

Le temps est-il une obsession pour toi ?

Comme bien d’autres choses… Peut-être qu’il y a des âges ou des époques dans nos vies où l’avenir prend différentes formes. Vais-je pouvoir avoir une maison, faire des enfants, les faire vivre ? Il y a cet avenir plus près d’une survie biologique, mais aussi une autre survie plus préoccupante. On le voit avec la conscience sociale qui vient de naître… Enfin, elle a toujours été là, mais elle est plus apparente. L’avenir, c’est autant « va-t-on gagner la Coupe Stanley ? » que les horoscopes et les biscuits chinois qui existent encore. Il y a ce désir humain de vouloir deviner. Le déchirement entre le destin et la prise en main. Cela existe depuis des siècles.

Une cartomancienne professionnelle, Christine-Claire Mallet, sera justement du spectacle. Pourquoi ?

Malgré la science, il y a des gens dont c’est le métier de voir des gens qui ont mal à l’avenir. Le tarot, comme elle me l’expliquait, ce sont des archétypes de la psyché humaine condensés sur des images. La cartomancienne fait parler les gens sur ce qu’ils voient et vers où ils vont. Je trouve cela beau. Il n’y a rien de mieux que quelqu’un qui veut croire et qui se responsabilise par rapport à son avenir. Christine-Claire dit aux gens qui vont la voir : « Je ne peux pas voir quelque chose qui ne vient pas de vous. » Dans le show, on fait aussi des liens avec les nouveaux oracles que sont devenus les artistes. On les écoute autant du point de vue du commerce que dans la morale… Si une youtubeuse vante les vertus d’un shampoing, il y a des chances que mes filles l’achètent.

Est-ce que tu aurais préféré que tes filles naissent dans un monde où les réseaux sociaux n’existent pas ?

Non… Nous avons l’art et la technologie que nous méritons. Il faut faire avec… Mais ce n’est pas parce que nous avons plus de façons de communiquer que nous communiquons plus. On fuit un peu à travers cela. Les réseaux sociaux effritent la démocratie. Ils minent la vérité, donc c’est à nous de nous ajuster et d’en être la police. Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des utilisateurs.

En quoi le théâtre rend-il possible quelque chose qui ne l’est pas en peinture, à l’écrit ou en cinéma ?

Nous avons justement tellement de technologie dans nos vies… Quand un corps te parle devant toi, et pas un écran, il y a un effet presque pervers.

Qu’est-ce qui unit vos invités ? Pourquoi les avoir choisis, eux ?

En fait, rien ne les unit sinon que ce sont des gens que j’ai croisés dans ma vie. J’ai aimé leur franchise, leur pensée sociale, ce qu’ils représentent. Ce sont des personnes intelligentes et sensibles. Je les admire, ou je les jalouse !

Et la musique de Dear Criminals ?

Frannie Holder, quand elle chante, elle t’hypnotise. Elle pourrait chanter au Stade olympique et on entendrait une mouche voler. Elle est hallucinante. Je n’ai pas demandé à Dear Criminals de nous accompagner. Ils sont là pour ce que leur musique a à dire. J’aime les gens qui pensent en dehors du cadre et qui repoussent certaines limites. Ne pas être mainstream, c’est beau.

Tu es actuellement sur la route, au bout du fil. Tu passes beaucoup de temps derrière le volant, mais tu es super occupé. N’est-ce pas un paradoxe ?

Je ne suis pas intéressant si je n’ai pas du temps dans la vie pour réfléchir. Et des gens avec qui je travaille me permettent d’avoir les coudées franches. J’ai une situation assez privilégiée et facile. Le Théâtre d’Aujourd’hui m’a donné accès à une équipe formidable qui me permet d’être à New York la veille de ma générale. Mais l’endroit où j’ai passé le plus de temps cette année est sans doute mon potager. Il faut faire autre chose dans la vie que juste son travail.

La veille du dévoilement d’une œuvre ou d’une première, est-ce que le stress t’habite ?

Oui ! Je stresse et je me demande pourquoi j’accepte de faire ces choses. Plus je vieillis, plus je suis anxieux des patentes. On dit souvent que c’est le contraire, mais il y a une espèce de fragilité qui s’installe.

La diseuse de bonne aventure, ce soir, demain et vendredi au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui

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