Archéologie

L’ancien parlement montréalais dévoile ses secrets

Des livres calcinés enfouis depuis un siècle et demi. Des tampons encreurs uniques qu’on n’avait aucun espoir de trouver. Des coquilles d’huîtres et des bouteilles de champagne à foison. Montréal a brièvement abrité le parlement du Canada, et une récente campagne archéologique menée par le musée Pointe-à-Callière a permis d’en extraire pas moins de 300 000 artéfacts. Coup d’œil sur quelques trésors exhumés qui viennent éclairer une période méconnue de l’histoire canadienne.

Montréal, capitale du Canada

Plaque tournante du commerce grâce à son port, centre financier, métropole du pays. En 1843, Montréal est un choix évident pour devenir la capitale du Canada-Uni. En 1844, le parlement est aménagé dans la bâtisse du Sainte-Anne, aujourd’hui sur la place d’Youville. Le bâtiment de trois étages compte notamment une bibliothèque et un restaurant. Des politiciens comme John A. MacDonald, George-Étienne Cartier et Louis-Hippolyte La Fontaine le fréquentent. Mais en 1849, une loi liée à la révolte des Patriotes enrage l’opposition. Une émeute éclate et le parlement est brûlé. Montréal perd son statut de capitale peu après.

Les plus grandes fouilles archéologiques au Québec

En 2013, des premières fouilles archéologiques sont menées sur le site de l’ancien parlement, permettant d’extraire 500 000 artéfacts. La campagne menée l’été dernier, qui se terminera d’ici un mois, en a exhumé 300 000 de plus. « Les résultats des fouilles de 2017 ont surpassé nos attentes, tant par le nombre de pièces que par leur importance historique », a dit hier Francine Lelièvre, directrice générale de Pointe-à-Callière, lors d’une conférence de presse menée sur le site. Autour, les archéologues continuaient de remonter des seaux remplis de terre grise, espérant y découvrir de nouveaux trésors.

Tampons encreurs

Ils ont été présentés comme la « grande révélation » des fouilles actuelles. Il s’agit de deux tampons encreurs, qui portent les inscriptions LEGISLATIVE ASSEMBLY CANADA et LEGISLATIVE COUNCIL LIBRARY. « Ce sont des éléments rares qu’on ne pensait pas retrouver. C’est parce qu’un incendie très rapide et violent s’est déclaré que ces objets officiels sont restés sur le site », explique Louise Pothier, conservatrice et archéologue en chef de Pointe-à-Callière. Aucun équivalent de ces objets n’existe nulle part. Les archéologues ont même acquis un document officiel qui porte le sceau du premier tampon. « Pour un archéologue, c’est complètement inhabituel d’avoir un lien direct entre le bien archéologique et le bien historique », commente Hendrik van Gijseghem, chargé de projet en archéologie au musée Pointe-à-Callière.

Livres

Fait rare, une trentaine de fragments de livres ont été découverts. Ils s’ajoutent à une trentaine d’autres, exhumés lors de la première campagne de fouilles, en 2013. « Trouver du papier en contexte archéologique est presque inédit », commente Hendrik van Gijseghem, qui rappelle que les livres sont très vulnérables à l’humidité. Dans ce cas, le fait qu’ils aient été calcinés et enterrés profondément dans le sol a aidé à les préserver. Petit miracle, les archéologues ont même pu lire une page d’un livre complètement carbonisé. C’est l’Institut canadien de conservation d’Ottawa, en utilisant des poudres spéciales et des techniques de congélation, qui a réalisé l’exploit. Il s’agissait de procès-verbaux provenant de la chambre des députés de France. On estime que la bibliothèque de l’ancien parlement contenait 22 000 documents.

Huîtres et champagne

Preuve qu’on ne faisait pas qu’écrire des projets de loi au parlement du Canada-Uni, les archéologues y ont découvert des coquilles d’huîtres, qu’ils croient provenir des Maritimes. « On en a trouvé de grandes quantités, ce qui nous fait croire que les huîtres étaient très appréciées au restaurant du parlement », dit Louise Pothier. Les bouteilles de champagne y étaient aussi nombreuses, ainsi que différentes bouteilles du Bordelais. Des flasques de spiritueux à l’effigie des francs-maçons ont aussi été retrouvées. Les parlementaires de l’époque mangeaient dans de la vaisselle portant l’inscription « Japanese », pourtant importée d’Angleterre et montrant des scènes évoquant davantage l’Inde que le Japon.

Effets de toilette

Rasoirs, manche de blaireau, ciseaux, porte-savon, pot à crème, brosses à dents, bols et brocs pour l’eau :  un grand nombre d’effets de toilette ont été retrouvés sur les lieux – une surprise considérant qu’on était ici dans un parlement. « Les députés et le personnel du parlement devaient passer de longues heures sur place, alors on sait qu’ils avaient des espaces pour faire leur toilette ou se rafraîchir. On a retrouvé des objets assez raffinés servant cette fonction », explique Louise Pothier.

Faire parler le passé

Outre le plaisir de trouver des objets, les recherches archéologiques visent surtout à éclairer le contexte historique entourant le bref épisode pendant lequel Montréal fut la capitale du Canada. « Il y a encore beaucoup de travail à faire sur la contextualisation, explique Hendrik van Gijseghem. Qu’est-ce qu’on retrouve où ? En compagnie de quoi ? Ça va permettre d’enrichir le récit. » Cet automne, le site sera rempli de sable et un espace urbain sera aménagé sur le dessus. Mais les gens de Pointe-à-Callière ne cachent pas leur rêve de le déblayer à nouveau et de l’ouvrir un jour au grand public.

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