Emmanuelle walter et Philippe ducros

Road trip dans le Nord

Alors que se tient au pays une enquête nationale sur les femmes autochtones et qu’au Québec, on réclame une enquête sur le comportement des policiers à leur endroit, deux auteurs ont parcouru les vastes territoires du Nord-du-Québec à la rencontre de ses habitants. Entrevues croisées.

C’est sur le plateau d’une émission de Radio-Canada qu’Emmanuelle Walter, auteure de Sœurs volées, un essai important sur la disparition de femmes autochtones, a croisé le chemin du député du NPD Roméo Saganash. « Il m’avait lancé : “Bienvenue au Québec !” en cri et j’avais trouvé ça sympathique », raconte la journaliste rencontrée cette semaine pour la sortie de son nouveau livre, Le centre du monde.

« J’avais entendu parler de lui en lisant une chronique de Pierre Foglia pendant la campagne de 2011, poursuit cette Française qui vit au Québec depuis six ans. Sa circonscription comprend 54 % du territoire du Québec, c’est hallucinant ! Je me suis dit : "Pourquoi ne pas faire quelque chose avec lui ?" »

La journaliste est donc montée à bord d’un pick-up en compagnie du député cri et de son adjoint, Marc Gauthier. Un périple aller-retour de Val-d’Or à Radisson qui a duré huit jours. « Mon livre n’est pas une enquête exhaustive, précise l’auteure, c’est un portrait impressionniste. »

Une renaissance

En parcourant ce vaste territoire, Emmanuelle Walter a pu constater les nombreux acquis de la nation crie. « Ils ont créé quelque chose d’extraordinaire, note-t-elle, comme le droit d’enseigner le cri comme langue unique jusqu’à l’âge de 8 ans. Ils se sont réapproprié leur culture, l’ont revitalisée. Ils font vivre le territoire qui a précédé l’exploitation. On l’entend dans leur récit, quand on veut bien les écouter. Ils parlent d’avant, d’un territoire inviolé qu’ils vivent encore. C’est un gain psychique et politique essentiel, à mon avis, d’être en train de retrouver le territoire initial même s’il a été transformé. »

La journaliste a également été soufflée par l’expérience politique mise en place dans le Grand Nord. « La découverte du gouvernement régional paritaire [Jamésiens et Cris assis autour de la même table] a été pour moi un objet de surprise, avoue-t-elle. Ç’avait été présenté comme quelque chose de très plate alors que cette nouvelle gestion de la Baie-James est unique et très forte symboliquement. »

Mais, malgré toutes ces avancées, les problèmes sociaux persistent. 

« L’argent ne fait pas le bonheur. Les compensations financières n’ont pas tout réglé. Tant que la parole officielle ne reconnaîtra pas ce que les autochtones ont vécu, il n’y aura pas de guérison. Il faut nommer les choses. »

— Emmanuelle Walter

La journaliste fonde beaucoup d’espoir dans la nouvelle génération, en particulier les jeunes femmes. « Je pense aux quatre filles d’Idle No More – Natasha Kanapé Fontaine, Melissa Mullens, Widia Larivière, Maïté Labrecque-Saganash –, qui sont brillantissimes. Voilà une nouvelle génération hyperactive, à cheval sur deux cultures, déterminée à agir, à trouver des solutions. Elles sont dans une position offensive, mais elles sont animées d’une volonté de réconciliation. »

Transcender les témoignages

L’homme de théâtre Philippe Ducros arrive sensiblement à la même conclusion qu’Emmanuelle Walter dans La cartomancie du territoire, un texte théâtral qui raconte son road trip en terre autochtone. « Avant qu’il y ait une réelle guérison, il faudrait reconnaître ce qui s’est passé, croit-il. Or il y a encore un discours animé par la haine à l’endroit des autochtones. »

L’auteur et metteur en scène a l’habitude des longs séjours d’observation. Il a visité le Congo, la Palestine, Israël. « Le souci de ma compagnie Hôtel-Motel est de sortir le spectateur québécois, habitué au théâtre identitaire, des cuisines. J’essaie de créer un dialogue. »

Sur le terrain, il adopte toujours la même approche, soit observer, noter puis travailler ses carnets de voyage, les sculpter afin de les transformer en texte théâtral. 

« J’essaie de sublimer le côté journalistique, de parler de l’invisible, de l’indicible. »

—  Philippe Ducros

Pendant un mois, Philippe Ducros a donc parcouru le territoire des 11 nations autochtones du Québec, appliquant la même démarche qu’il utilise à l’étranger. Il voulait parler de racisme systémique, mais a constaté que son implication n’était pas la même puisqu’il n’était plus seulement l’étranger qui observait. Il faisait en quelque sorte partie du problème. « On ne peut pas se positionner complètement à l’extérieur, souligne-t-il, puisqu’on fait partie du système d’oppression. »

Il dit être revenu de son périple avec un sentiment ambigu. « De la tristesse, de la colère et aussi une grande admiration pour ces gens qui ont malgré tout survécu à un génocide culturel. »

Le centre du monde – Une virée en Eeyou Istchee Baie-James avec Roméo Saganash

Emmanuelle Walter

Lux, 146 pages

La cartomancie du territoire

Philippe Ducros

Atelier 10, 93 pages

Essais

Enquête sur un viol

On a déjà qualifié la petite ville de Missoula, dans l’État du Montana, de « capitale du viol ». C’est que pendant une période de trois ans, on y a recensé 80 viols et 350 agressions sexuelles. Pourtant, nous dit le journaliste Jon Krakauer (auteur du best-seller adapté au cinéma Into the Wild), cette ville n’est pas unique. Le véritable scandale, insiste-t-il, c’est que la ville de Missoula se situe légèrement SOUS la moyenne nationale. Dans son livre, Krakauer raconte l’histoire de Jordan Johnson, le cas classique du jeune footballeur prometteur accusé de viol et que sa communauté tente de sauver. L’université, qui avait expulsé le jeune homme, l’a finalement réintégré. Après la publication du livre, Krakauer a dû se présenter devant les tribunaux pour tenter d’obtenir les informations justifiant cette décision. Il y aura sans doute une nouvelle édition de ce récit passionnant qui montre encore une fois que dans les cas de viol, c’est la victime qui se retrouve au banc des accusés.

Sans consentement – Enquête sur le viol

Jon Krakauer

Presses de la Cité, 412 pages

Essais

Revenir à l’équilibre

Titulaire de la Chaire de gestion John Cleghorn à l’Université McGill, Henry Mintzberg est aussi un auteur prolifique qui a publié plusieurs livres sur le management. Dans ce pamphlet qui fait beaucoup de bien, l’universitaire nous brasse la cage. « Notre monde est dangereusement en déséquilibre et nous avons besoin de renouveau radical, écrit-il. Les gens devront le faire. Pas “eux”, mais vous et moi, individuellement et ensemble ; non pas en nous concentrant sur ce qu’“ils nous font”, mais en reconnaissant ce que nous pouvons faire par et pour “nous-mêmes”. » Avec d’excellents arguments et un esprit de synthèse admirable, Mintzberg s’éloigne du sempiternel débat public-privé et propose un modèle basé sur trois piliers : le public, le privé et la collectivité. Il prône aussi une culture de la solidarité. Bref, des propos dynamisants.

Rééquilibrer la société –  Pour un renouvellement radical au-delà de la gauche, de la droite et du centre

Henry Mintzberg

Éditions Somme toute, 152 pages

Essais

Leçons de vie

On est porté à oublier que Maya Angelou nous a quittés il y a plus de deux ans, tellement sa présence se fait encore sentir dans la vie littéraire et culturelle américaine. Souvent cités – elle compte Oprah Winfrey et Michelle Obama parmi ses admiratrices –, les écrits de madame Angelou sont plus actuels que jamais dans une Amérique déchirée par les tensions raciales. Dans cette lettre adressée à « la fille qu’elle n’a jamais eue », l’écrivaine, poète et militante à la vie riche et mouvementée nous rappelle son parcours. Ce texte publié en version originale en 2008, et qui paraît en français ces jours-ci, est on ne peut plus d’actualité : « Ces quatre dernières décennies, écrit Angelou, notre esprit patriotique et notre joie de vivre ont vu leurs couleurs se faner. Nos aspirations nationales se sont flétries. […] Comment en sommes-nous arrivés là ? À quel moment avons-nous abandonné notre désir de haute autorité morale à ceux qui salissent le paysage national de propos vulgaires et d’hypothèses grossières ? » Prémonitoire ?

Lettre à ma fille

Maya Angelou

Notabilia, 137 pages

Essais

Un savant à vélo

Avec un nom de famille qui est devenu générique avec les années – ne dit-on pas « un vrai petit Einstein » ? –, on peut dire que l’auteur de la théorie de la relativité est sans doute le scientifique le plus connu de l’histoire contemporaine. Mais que savons-nous de la vie de ce brillant personnage ? Pas grand-chose. Il fallait un physicien, Étienne Klein, pour nous raconter son histoire en fragments… Bien qu’il ne s’agisse pas d’une biographie dans le sens classique du terme, on apprend tout de même à connaître le jeune Albert dans ce livre qui explore sa formidable et unique manière de réfléchir et d’analyser les choses. L’auteur nous décrit le contexte dans lequel Einstein a élaboré les théories qui ont fait sa renommée. Jeune homme hors du commun, il était passionné par ses recherches. La lecture d’un article sur la production de rayons cathodiques par la lumière ultraviolette le remplit de bonheur, confie-t-il à sa compagne Mileva. Vrai, il ne faut pas que la science nous rebute pour plonger dans ce livre qui demeure toutefois accessible et qui ravira les amateurs d’histoire.

Le pays qu’habitait Albert Einstein

Étienne Klein

Actes Sud, 243 pages

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