Analyse

Après les belles paroles, les gestes suivront-ils ?

QUÉBEC — Il est facile de faire des déclarations solennelles, la main sur le cœur, en présence du leader environnementaliste Dominic Champagne. C’est une chose d’être théoriquement favorable à une économie plus verte, c’en est une autre quand vos décisions mettent en jeu des emplois, ont un impact sur le développement d’une région.

Comme tous ses prédécesseurs, François Legault est devant ce dilemme. La différence, c’est que le débat sur l’environnement a pris une proportion telle que toutes les décisions se mesurent, désormais, à l’aune des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Bien sûr, les enjeux environnementaux ne datent pas d’hier. C’étaient les pluies acides sous René Lévesque ; Robert Bourassa avait eu de la difficulté à faire passer Norsk Hydro ; Lucien Bouchard avait eu à se dépêtrer des coupes à blanc de la forêt boréale, de la prolifération des porcheries ; pour Jean Charest, ce fut l’abandon de la centrale au gaz du Suroît que réclamait Hydro-Québec ; Pauline Marois a fermé Gentilly à Bécancour, mais donné le feu vert à la cimenterie McInnis en Gaspésie, qui restera, pour des décennies, le champion des pollueurs parmi les industries du Québec.

La semaine dernière, dans un comité du Conseil des ministres, un scénario prévisible : deux camps se sont affrontés, un premier clivage au sein d’un tout nouveau gouvernement. L’aile économique, Legault en tête, appuyé par le titulaire des Finances, Éric Girard, et le responsable de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, était déterminée à ce que le gouvernement donne le feu vert à un projet d’usine d’urée et de méthane à Bécancour. Le ton a monté quand des adversaires, MarieChantal Chassé, Marie-Eve Proulx, Andrée Laforest et même le titulaire de l’Éducation, Jean-François Roberge, ont tenté de leur barrer la route. En vain. La décision est tombée, le projet sera soumis au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

La nouvelle mouture de l’usine IFFCO, pilotée par la Coop fédérée et Investissement Québec, causera autant d’émissions de GES que 180 000 automobiles supplémentaires. C’est trois fois moins que la cimenterie de Port-Daniel, mais tout de même autant que l’aluminerie de Bécancour ou la cimenterie de Lafarge. Devant cet enjeu, il n’est pas surprenant que l’entourage de François Legault ait désigné hier le député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, pour aller défendre le projet devant les journalistes. L’usine représente un investissement de 1,3 milliard, dans un parc industriel qui n’a pas eu de bonne nouvelle depuis 15 ans. Les 200 emplois prévus seront les bienvenus dans une région où la fermeture de Gentilly, il y a six ans, a fait mal.

On ne peut pas miser sur la sensibilité environnementale de François Legault. Pour courtiser la région de Québec, il s’est dit, rappelons-le, favorable à un troisième lien entre Québec et Lévis, une autoroute vers l’étalement urbain, source d’émissions polluantes.

En pleine campagne électorale, François Legault admettait que son plan d’action sur cette question devenue pourtant centrale était plutôt famélique. Il promettait même de puiser dans les idées de ses adversaires si elles lui paraissaient intéressantes. Puis, ce fut la série des contritions : il admit qu’il devrait être davantage à l’écoute de la population, on ne peut plus sensible aux enjeux environnementaux. Il a ouvert la porte à l’auteur et metteur en scène Dominic Champagne il y a quelques jours et, sans le signer, a paru favorable aux objectifs généraux du « Pacte pour la transition ». Il faut prévoir que le message inaugural, mercredi prochain à l’Assemblée nationale, martèlera des engagements vagues pour la réduction des émissions polluantes. Mais les gestes suivront-ils ?

Pour l’heure, le gouvernement Legault est celui qui voit d’un bon œil le projet d’IFFCO à Bécancour, se questionne sur la nécessité de soumettre au BAPE le projet de mine de lithium de Sayona, firme australienne qui veut exploiter un gisement à 30 kilomètres d’Amos, à un jet de pierre des sources d’eau parmi les plus pures du monde, où s’alimente l’embouteilleur Eska. Pour éviter le BAPE, la production avait été fixée à 1900 tonnes par jour, juste en deçà des 2000 tonnes qui auraient rendu automatique l’examen environnemental.

Le gouvernement Legault verra aussi d’un œil favorable le projet de Gazoduq, un oléoduc de 750 kilomètres qui passerait sur les territoires autochtones pour amener le gaz naturel à une usine de liquéfaction au Saguenay. GNL, un projet de 7 milliards, vise à transformer ce gaz de l’Ouest puis le mettre sur des navires-citernes pour l’exportation. Les projets aux conséquences environnementales importantes seront nombreux durant l’actuel mandat caquiste. Et il y a fort à parier qu’à chaque occasion, le camp des ténors économiques l’emportera sur les verts du Conseil des ministres.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.