Pour la suite du hockey féminin

Caroline Ouellette et Marie-Philip Poulin ont largement contribué à l’évolution de leur sport. Et elles entendent bien transmettre cette passion à une nouvelle génération.

Vivre le rêve de jouer au hockey

Caroline Ouellette s’assoit dans un coin tranquille de l’aréna avec sa petite fille Liv, 8 mois, sur les genoux. Son camp de hockey bat son plein juste à côté, sur la glace d’un vieil aréna qui sent le vieil aréna. Une maman croisée dans les gradins en est à son troisième camp et assure qu’il est sans pitié.

On le voit : les exercices de patin s’enchaînent à un rythme effréné. Pas de pause, sauf le temps de manger une lasagne entre deux séances. Elles sont 70 jeunes filles, âgées de 12 à 17 ans, qui veulent vivre leur rêve de jouer au hockey.

Caroline Ouellette a eu la passion à 7 ans. Elle jouait au baseball à Rosemont et ses coéquipiers masculins jouaient au hockey l’hiver. Elle voulait faire comme eux, mais elle a eu besoin de deux ans pour convaincre son père.

« Mon père m’avait amenée à la ringuette. Je n’aimais pas ça du tout parce que je voulais jouer pour les Canadiens. Grâce à ma mère, j’ai eu ma première paire de patins, puis mon père a fini par accepter. J’ai commencé atome C avec les garçons. J’ai joué jusqu’à midget deux lettres avec les garçons, mises en échec et tout. »

Pendant des années, Ouellette était l’une des rares filles sur la glace. Elle a connu sa première véritable expérience de hockey féminin à 12 ans, au camp de France St-Louis, une pionnière de son sport. St-Louis a toujours été l’inspiration de Ouellette. Elle est devenue mentore, puis amie. En 2012, Ouellette a voulu elle aussi fournir sa part en créant son camp de hockey pour joueuses d’élite.

« On fait des conférences, des séances vidéo, comment ça se transpose sur la glace, quelle tactique choisir. Il y a aussi des séances hors glace, pour la force, la puissance, les techniques de patin. On essaie de montrer l’entraînement d’élite. »

« J’ai la passion de leur enseigner les habiletés que ça prend pour atteindre un autre niveau. »

— Caroline Ouellette

Au moment de la visite, c’est la double médaillée olympique Lauriane Rougeau qui racontait son parcours. Sur la glace, la meilleure joueuse du monde, Marie-Philip Poulin, donnait ses instructions. Poulin s’est associée au camp de cinq jours cette année, car la naissance de Liv a obligé Ouellette à déléguer un peu plus.

« Le patin est rendu tellement important, dit Poulin. Le hockey est rendu plus rapide, il faut savoir protéger la rondelle. Mais surtout, je veux qu’elles s’amusent. Elles sont sur la glace à temps plein. Les voir s’amuser, essayer de nouvelles choses, sortir de leur zone de confort, c’est ce qu’on souhaite comme entraîneuse. »

Comparaison injuste

Caroline Ouellette et Marie-Philip Poulin ont largement contribué à l’évolution du hockey féminin sur la glace. Elles veulent transmettre leur passion à une nouvelle génération. Mais l’amour de leur sport va bien au-delà. C’est viscéral. Et ce n’est certainement pas une question financière.

Jouer pour les Canadiennes donne entre 2000 et 5000 $ par année. Vous avez bien lu, il ne manque pas de 0. Le brevet gouvernemental est de 20 000 $ pour faire partie d’Équipe Canada. Poulin est l’une des rares qui peuvent seulement vivre du hockey, grâce aux commanditaires. Ouellette, elle, comptait beaucoup sur ses camps de hockey.

« On a une planificatrice financière, plein d’enseignantes, une agente immobilière, une policière chez les Canadiennes », dit Ouellette. Poulin en rajoute : « Les filles travaillent de 7 à 5, vont pratiquer le soir, jouent les fins de semaine. Ce n’est pas une job à temps plein. On espère pousser ça, avoir des commanditaires qui vont nous aider à ce que la ligue soit professionnelle. Un jour, si on avait juste un peu le salaire des garçons, ce serait fantastique. »

Voilà le cœur du problème. Les matchs des Canadiennes se déroulent devant quelques centaines de spectateurs. On est loin du Centre Bell rempli soir après soir. Ouellette a des objectifs réalistes, elle aimerait un jour entre 3000 et 5000 partisans, un peu comme les équipes juniors du Québec. Elle doit toutefois encore faire de l’éducation : le hockey féminin souffre, selon elle, d’une comparaison injuste avec son pendant masculin.

« Marie-Philip est la meilleure de son sport, elle ne travaille pas moins que Sidney Crosby, mais elle ne sera jamais aussi forte, aussi puissante, aussi rapide, explique Ouellette. On ne peut pas comparer les deux. Elle ne pourra jamais se mesurer à un joueur de la LNH. Personne ne demande à Serena Williams de jouer contre Roger Federer. Nous, on entend encore ça. »

Elle fait valoir que le hockey féminin est, ni plus ni moins, un sport distinct. Il y a plus de passes, plus de possession de rondelle, moins de robustesse, presque pas de rondelles renvoyées dans le fond de la zone adverse. Les tirs moins puissants de la ligne bleue forcent les joueuses à se rapprocher des filets pour marquer.

« On veut que les gens réalisent que c’est différent comme jeu, mais que ce n’est pas moins intéressant. La vision de jeu est la même, la passion, l’engagement à l’entraînement sont les mêmes. On doit convaincre un amateur à la fois de venir nous voir. D’habitude, ils adorent la passion des filles, l’intensité du jeu. »

Ouellette et Poulin sont d’avis que la présence de deux ligues dilue le sport (la Ligue canadienne de hockey féminin, à sept équipes, et la Ligue nationale féminine de hockey, à cinq équipes). La fusion s’impose. Puis, selon Ouellette, l’avenir passe par un partenariat solide avec la LNH, sur le modèle de la WNBA, pour créer une ligue professionnelle. La WNBA appartient carrément à la NBA, et ce partenariat permet aux joueuses d’empocher en moyenne plus de 70 000 $ par année et de jouer devant plus de 7500 spectateurs.

« Il y a un partenariat entre notre équipe et les Canadiens, mais c’est à un petit niveau, juge Ouellette. On aimerait que la LNH voie qu’elle peut créer le même rêve qu’avec les jeunes garçons et la Coupe Stanley. Les jeunes filles n’ont pas ce rêve-là. Elles ne peuvent pas rêver, si elles deviennent les meilleures de leur sport, de gagner leur vie avec le hockey. »

« On a eu la chance d’aller présenter un trophée aux NHL Awards, renchérit Poulin. C’est après une année olympique, puis pendant trois ans, on est oubliées. Pourquoi ne pas inviter à chaque événement un modèle féminin pour inspirer les petites filles ? Qu’elles puissent rêver, voir que tout est possible. Moi et Caro, on veut leur dire de rêver grand et d’être elles-mêmes. »

« Je ne pensais pas que c’était possible d’aimer autant »

— Caroline Ouellette

En plein milieu de l’entrevue, Caroline Ouellette demande une pause. C’est l’heure de donner le boire à la petite Liv, 8 mois. Impossible, donc, de passer à côté du sujet de maternité dans le sport féminin.

Mike Babcock en a fait sourciller quelques-uns en déclarant il y a quelques années, à l’époque des Red Wings de Detroit, que Niklas Kronwall allait jouer le match de séries le jour même où sa conjointe était en train d’accoucher. Sa justification ? « Pourquoi pas ? Ce n’est pas lui qui accouche. »

La disparité est énorme entre un monde où la venue d’un enfant ne fait même pas rater un match, et un autre où elle signifie au moins un an d’arrêt, et peut-être la fin de la carrière. Mais pour Caroline Ouellette, l’enjeu va bien au-delà du sport.

« Ça va venir plus tard dans la carrière. C’est difficile d’avoir un enfant et de revenir au même niveau. J’en ai vu avec l’Équipe canadienne qui ont essayé de le faire et seulement quelques-unes ont réussi. La plupart des athlètes retardent cette étape-là de la vie.

« Moi, j’ai toujours voulu des enfants et c’est arrivé au moment parfait. »

— Caroline Ouellette

« J’ai tout vécu ce que j’avais à vivre avec mon sport, j’ai adoré chaque journée où j’ai été une athlète. J’étais prête pour ça. Tu arrives à un moment de ta vie où tu es prête à t’investir pour quelqu’un d’autre et que cette personne-là devienne ta priorité. Je ne pensais pas que c’était possible d’aimer autant. »

La réponse vient du cœur. Mais sportivement, elle contient une certaine fatalité. La maternité change une vie, vient avec de nouvelles, et belles, responsabilités, qui sont parfois incompatibles avec le rythme d’une athlète. Ouellette avoue qu’à 39 ans, elle remet en question sa carrière de joueuse. Elle est arrivée à un moment où le métier d’entraîneuse la branche autant que celui de joueuse, et d’un autre côté, elle n’a plus le temps de tout faire. Elle pense donc à la retraite, avec un grand regret.

« J’aurais juste tellement aimé jouer au hockey et que ce soit mon gagne-pain, ma vie. J’aimerais continuer à le faire dans le coaching, et de savoir que si je deviens l’une des meilleures mentores, je vais avoir une opportunité de travail à temps plein de ce côté-là. C’est ça qui me brise le cœur. On travaille tellement fort pour notre sport, et on espère que ces jeunes-là au camp vont pouvoir un jour s’investir à temps plein dans leur sport. »

Le plan

Il est là, le plan de Ouellette pour la suite : entraîneuse sur la glace et ambassadrice pour donner à la prochaine génération les occasions qu’elle n’a pas eues.

Elle est présentement entraîneuse adjointe pour l’équipe féminine de l’Université Concordia. Elle faisait partie du groupe d’entraîneuses aux Championnats du monde de 2017. Elle est restée impliquée dans le programme d’Équipe Canada jusqu’à la naissance de sa fille. Ouellette sait qu’en empruntant cette nouvelle voie, elle devra refaire ses preuves, repartir à zéro.

Pour Marie-Philip Poulin, aucun doute que Caroline Ouellette a les qualifications pour être l’entraîneuse de n’importe qui, femmes comme hommes. Mais pour Ouellette, elle sent un devoir de redonner à son sport et ne cherche pas à travailler du côté des hommes. Un peu comme l’a fait Hayley Wickenheiser, entraîneuse invitée au camp de développement des Maple Leafs de Toronto.

« Je suis fière de Hayley, c’est l’une des meilleures professionnelles qu’on a eues dans notre sport, pour vivre le style de vie qui te permet d’être le meilleur possible. Mais je veux gagner ma vie comme entraîneuse au hockey féminin. Le rêve d’avoir un rôle avec les Canadiens, ce serait extraordinaire, mais j’ai une responsabilité envers mon sport. Je trouve valorisant ce que je fais [au camp ou comme entraîneuse]. J’accompagne les filles dans leur adolescence. On leur a ouvert des portes, on leur a permis de comprendre leur potentiel si elles s’investissent. »

Le rêve ultime : entraîneuse-chef de l’équipe canadienne de hockey féminin aux Jeux olympiques.

En attendant, elle aimerait aussi avoir sa chance de commenter le hockey à la télévision. Elle l’a vécu une première fois la saison dernière pour les matchs des Canadiennes. Ouellette a adoré l’expérience et aimerait s’investir un peu plus dans ce métier. Dans un paysage médiatique très masculin, elle pourrait aider à défricher le terrain.

Ce ne serait pas la première fois.

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